Comment le Maroc reconstitue son cheptel

Entre sécheresse, flambée des prix et raréfaction des ressources, le Maroc traverse l’une des pires crises de son histoire en matière d’élevage. Pour sauver la filière et sécuriser l’approvisionnement en viande rouge, les autorités déploient un plan massif de reconstitution du cheptel, fort de 6,2 milliards de DH.
Le cheptel national marocain n’a jamais été aussi menacé. Entre 2016 et 2024, sa taille a chuté de 38 %, et la baisse est particulièrement dramatique chez les femelles reproductrices – passées de 11 à 8,7 millions de têtes. Cette dynamique alarmante est le résultat d’un enchaînement de crises : sécheresse prolongée, raréfaction des ressources hydriques, flambée des prix de l’alimentation animale et abandon massif de l’élevage par des milliers d’acteurs ruraux.
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Certaines régions sont plus durement touchées que d’autres, notamment l’Oriental, Marrakech-Safi, Drâa-Tafilalet, Souss-Massa, Guelmim-Oued Noun, Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab, où l’eau et les pâturages sont devenus des ressources quasi inexistantes. Dans ces territoires, l’activité d’élevage s’est effondrée, et près de 30 % des éleveurs ont été contraints de quitter une activité devenue économiquement invivable.
Une pression inédite sur le marché de la viande
Cette diminution drastique du cheptel a des conséquences immédiates et très concrètes : une baisse de l’offre en viande rouge, alors que la demande reste soutenue. Résultat : les prix s’envolent, mettant une pression supplémentaire sur le pouvoir d’achat des ménages, déjà fragilisé par l’inflation. Chaque année, près de 10 millions de têtes d’ovins et caprins sont consommées, dont 5,5 à 6 millions à l’occasion de l’Aïd Al-Adha, période particulièrement sensible pour la consommation de viande.
Mais cette année, le constat est sans appel : le nombre de têtes disponibles pour l’Aïd ne dépassait pas les 3 millions, selon les données du recensement national 2024 et des campagnes de vaccination. Face à cette pénurie, et pour éviter un abattage massif qui aurait porté un coup fatal au cheptel reproducteur, la décision royale de suspendre le sacrifice de l’Aïd s’est imposée comme une nécessité nationale.

Une réponse coordonnée
Dans la foulée de cette décision exceptionnelle, un plan structurant a été lancé sur instructions royales, mobilisant 6,2 milliards de DH. Ce programme, piloté par les autorités locales et guidé par des principes de professionnalisme, d’objectivité et de transparence, entend assurer la régénération du cheptel marocain à tous les niveaux. Son ambition : garantir la souveraineté alimentaire en matière de viande rouge, soutenir les éleveurs en difficulté et créer les conditions d’un redémarrage durable de l’élevage dans les zones rurales.
Le plan est articulé autour de cinq axes complémentaires, et sera déployé en deux phases : 3 milliards de DH dès 2025, et 3,2 milliards l’année suivante.
Le premier pilier de cette stratégie vise à alléger le fardeau de la dette des petits et moyens éleveurs. Un budget de 700 millions de dirhams sera mobilisé pour restructurer les crédits. L’État prendra en charge l’annulation de 50 % des dettes inférieures à 100.000 dirhams, représentant 75 % des bénéficiaires. Il effacera également 25 % des dettes comprises entre 100.000 et 200.000 dirhams, soit 11 % des cas. Pour les montants supérieurs, une exonération des intérêts de retard est prévue.
Le deuxième axe du plan concerne le soutien à l’alimentation animale, avec la mise en place d’un dispositif massif de subvention. Le prix de l’orge est fixé à 1,5 dirham le kilo et celui des aliments composés à 2 dirhams le kilo, dans une limite de 7 millions de quintaux chacun. Ce soutien vise à soulager les charges des éleveurs et relancer l’engraissement des bêtes dans de meilleures conditions. Près de 2,5 milliards de dirhams seront alloués à cette mesure.
La reconstitution du cheptel ne peut se faire sans la sauvegarde des femelles reproductrices. Une vaste opération de marquage des brebis et chèvres est ainsi prévue, avec un objectif de 8 millions de têtes d’ici mai 2026. Pour chaque femelle marquée et non abattue, l’éleveur recevra une aide directe de 400 dirhams. Ce mécanisme vise à protéger les bases du renouvellement du cheptel tout en compensant les coûts de conservation.
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Un autre volet du programme prévoit une campagne de traitement préventif pour protéger 17 millions de têtes contre les maladies liées à la sécheresse. Cette opération, dotée d’un budget de 150 millions de dirhams, s’inscrit dans une logique de résilience sanitaire pour éviter de nouvelles pertes qui viendraient compromettre les efforts de relance.

Enfin, le cinquième axe du programme repose sur l’encadrement technique des éleveurs et l’amélioration génétique du cheptel. Il s’agit de renforcer la productivité à travers la création de plateformes d’insémination artificielle, la diffusion de bonnes pratiques et l’accompagnement des professionnels sur le terrain. Une enveloppe de 50 millions de dirhams est dédiée à cet effort.
Un pari sur l’avenir de la souveraineté alimentaire
Au-delà de l’urgence, ce programme ambitieux porte une vision stratégique. La reconstitution du cheptel marocain vise à redonner de la vitalité à un secteur essentiel pour la sécurité alimentaire du pays et pour l’équilibre socio-économique du monde rural. Mais cette relance ne pourra réussir sans une mobilisation collective, ni sans un encadrement rigoureux à tous les niveaux.
Les hautes directives royales fixent le cap : professionnalisme, équité, coordination. La circulaire du ministère de l’Intérieur vient clarifier les responsabilités de chaque acteur, afin de garantir le bon déploiement du programme.
Le Maroc, qui importe désormais jusqu’à des abats, joue ici une partie décisive pour préserver un savoir-faire séculaire, relancer un moteur économique rural, et retrouver son autonomie dans un secteur vital.