La Fédération Marocaine des Éditeurs de Journaux rejette le projet de loi relatif au Conseil National de la Presse : Un pas de plus vers une nouvelle dégradation de la pratique professionnelle dans notre pays

Le bureau exécutif de la Fédération Marocaine des Éditeurs de Journaux (FMEJ) a tenu, vendredi 4 juillet 2025, sa réunion périodique, dont l’ordre du jour était consacré à un seul point concernant les deux nouveaux textes législatifs adoptés par le gouvernement.
Comme il a été annoncé, le Conseil du gouvernement a approuvé, lors de sa réunion du jeudi 3 juillet 2025, le projet de loi n°26.25 relatif à la réorganisation du Conseil National de la Presse (CNP), ainsi que le projet de loi n°27.25 modifiant et complétant la loi n°89.13 relative au statut des journalistes professionnels.
Ces deux textes législatifs sont aujourd’hui au cœur d’une vive controverse au sein de la profession et dans les milieux politiques, des droits humains et de la société civile en général.
Le bureau exécutif a une fois de plus constaté le piétinement, par le ministère chargé du secteur de la communication, et avec lui le gouvernement, sur l’approche participative en engageant cette démarche législative sans aucune consultation préalable avec une organisation professionnelle de longue histoire telle que la FMEJ. Et ce en rupture avec la tradition de concertation adoptée par tous les gouvernements précédents.
Le projet de loi approuvé par le Conseil du gouvernement relatif au Conseil National de la Presse prévoit « la délégation » des représentants de la catégorie des éditeurs, à l’opposé de « l’élection » pour la catégorie des journalistes. Cette disposition suffit, à elle seule, à rendre le texte catastrophique sur les plans professionnel, juridique et constitutionnel, en ce sens que ce texte consacre une discrimination entre les professionnels dans leur mode d’élection et éloigne l’instance, dans sa globalité, de sa vocation d’être une institution d’autorégulation, et se trouve en contradiction avec l’article 28 de la Constitution relatif à la démocratie et à l’indépendance de sa composition, laquelle considère les élections comme son expression suprême. C’est pourquoi si cette « innovation » gouvernementale venait à être officialisée, elle ferait perdre à cette institution toute légitimité et crédibilité auprès des professionnels et de la société dans son ensemble.
Et ce que le bureau exécutif considère comme un scandale, c’est le dépassement du principe « une entreprise-une voix », au profit d’un système qui permettrait à une seule entreprise de disposer de vingt voix en fonction de sa taille et de son chiffre d’affaires. Ainsi, ces voix ne sont pas exprimées à travers des d’élections, mais elles sont comptabilisées en tant que poids de représentativité. C’est sur cette base que l’organisation professionnelle la plus représentative est désignée, et c’est elle qui nomme les sept membres représentant les éditeurs ! Tout cela fait que la loi est taillée sur mesure pour les entreprises à plus grand capital, consacrant ainsi le monopole, la domination et l’hégémonie, au détriment du pluralisme et de la diversité. C’est ce que rejettent toutes les expériences démocratiques à travers le monde, d’autant plus que le capital, le chiffre d’affaires et les revenus publicitaires ne sont pas des critères de représentation au sein d’une institution d’autorégulation et d’un conseil dont l’une des principales compétences est la déontologie professionnelle.
Le bureau exécutif a également relevé de nombreuses aberrations dans cette loi, dont les élections ouvertes aux journalistes sans spécification des catégories entre presse écrite, audiovisuelle et agence, ce qui menace l’équilibre de la représentativité.
Il a également noté le maintien de la présidence de la commission des entreprises au profit des éditeurs et le retrait de la présidence de la commission des cartes qui était réservée aux journalistes. Il relève également que les membres de la commission de supervision des élections que préside un juge sont composés des éditeurs et des journalistes, alors qu’ils étaient désignés par le chef du gouvernement et une seule organisation professionnelle. De plus, une nouvelle sanction a été ajoutée aux compétences du Conseil, à savoir la suspension des journaux, outre la tentative de rendre obligatoire l’arbitrage des conflits du travail alors qu’il est à l’origine de nature conventionnelle, l’abolition du principe de rotation de la présidence du Conseil entre journalistes et éditeurs, et l’abandon de la limitation de la présidence à un seul mandat, qui a été porté de quatre à cinq ans.
Compte tenu de tout ce qui a été mentionné ci-dessus, et de nombreux autres éléments qui seront détaillés dans un mémorandum que préparera la FMEJ, lequel traitera également des aberrations du projet de statut des journalistes professionnels, la Fédération souligne ce qui suit :
1. Ce que le gouvernement a entrepris, lors de sa dernière réunion, constitue un acte législatif régressif, et un coup sévère à notre pays, à son capital démocratique et aux droits humains.
2. La loi relative à la réorganisation du CNP est en contradiction avec l’article 28 de la Constitution et enterre tout sens à l’institution d’autorégulation des journalistes et place aujourd’hui au Maroc la profession de journalisme face à une alliance d’intérêts commerciaux, rentiers et hégémoniques.
3. Celui qui prétend représenter le secteur, en mettant en avant sa force sur le terrain et la « grande taille » de ses entreprises, ne devrait pas craindre de se soumettre au verdict des urnes et d’acquérir une légitimité représentative par les voix de ses pairs, et non en s’appuyant sur une loi arbitraire ou sur une ingérence flagrante du gouvernement à travers une législation planifiée à partir de rancunes subjectives momentanées ou d’un état d’esprit hégémonique et rentier.
4. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’un conflit entre entreprises de presse, ni entre éditeurs, ni entre professionnels, mais plutôt d’un pas de plus vers une nouvelle dégradation de la pratique professionnelle dans notre pays, vers une fragmentation accrue du corps professionnel national, et un nouveau coup porté aux acquis démocratiques et aux droits humains accumulés par notre pays. Dans tout cela, le gouvernement et son ministère du secteur ont joué le rôle de chef d’orchestre dans la mise en scène d’un scénario de contenu et de réalisation médiocres.
5. Outre le ministère de tutelle et la commission provisoire, qui ont tous deux contribué à dessiner les contours de ce déclin culminant, aujourd’hui couronné par deux lois régressives, la responsabilité de certaines parties professionnelles connues est aujourd’hui claire, quant à la situation à laquelle nous sommes parvenus et à l’ampleur des désastres qui frappent le secteur déjà sinistré. Par conséquent, les calculs égoïstes et limités ne permettront jamais de bâtir un sérieux projet alternatif, ni même d’amorcer un redressement réel de cette presse que les personnes sincères souhaitent aujourd’hui voir revenir ne serait-ce qu’à son niveau d’avant la pandémie de Covid-19.
6. Nous attendons des membres du Parlement, dans ses deux chambres, de dépasser la logique d’appartenance à la majorité étroite, de prendre conscience de l’ampleur du préjudice contenu dans les deux textes qui leur seront soumis par le gouvernement, et d’œuvrer pour corriger leurs aberrations. Ce faisant, ils assumeront pleinement leur responsabilité historique envers l’image démocratique générale du Royaume. Nous espérons qu’ils offriront au Parlement l’honneur de triompher pour la presse et sa liberté.
7. La FMEJ, fière de son histoire et de ses positions de principe, consciente de sa capacité à innover en matière de solutions, d’idées et de programmes, de sa force de plaidoyer et de propositions, ainsi que de son expérience accumulée en matière d’organisation, d’encadrement et d’action sur le terrain depuis plus de deux décennies, continuera d’être présente avec tout le sérieux et la responsabilité qui lui sont connus.
8. Elle déclare aujourd’hui son rejet de ce qui a été approuvé par le gouvernement lors de sa dernière réunion, sa ferme condamnation de la mentalité d’exclusion odieuse qui marque le comportement du gouvernement actuel et de son ministère de tutelle. Elle appelle toutes les entreprises de presse, écrite et électronique, les syndicats de journalistes crédibles, l’ensemble des professionnelles et professionnels, les organisations de défense des droits humains, les forces démocratiques nationales, ainsi que tous les défenseurs de la liberté de la presse, de la crédibilité du journalisme, de l’indépendance de l’instance d’autorégulation et de l’image démocratique de notre pays, à se ranger du côté de la profession et des fondements de l’État de droit, et à s’opposer à cette régression, à cette dégradation et à cette absurdité concernant une profession qui constitue le poumon de la démocratie.