Culture

«Modernités arabes» au Maroc : Un accrochage qui fera date!

L’exposition «modernités arabes, collection de l’Institut du monde arabe, Paris», qu’abrite le Musée Mohammed VI d’art Moderne et Contemporain depuis le 1er mars 2023, est une première.  A voir absolument !

La Fondation Nationale des Musées continue sa saga de plus belle! Des musées restaurés, d’autres créés…des expositions organisées ici et ailleurs. Comment oublier les accrochages des César, Giacometti, Picasso, les impressionnistes, Delacroix, Cartier-Bresson… Sans oublier les figures nationales, les  Gharbaoui, Cherkaoui, El Glaoui, Chaïbia, Bellamine …Comment oublier «L’Afrique en Capitale», «Lumières d’Afriques», et actuellement, «Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui, de la restitution à la révélation. Volet contemporain»…

Après l’inauguration récente de Jamaâ El Fna, musée du patrimoine matériel et immatériel à Marrakech, Agadir s’apprête à ouvrir son espace, juste après le ramadan, avec une donation généreuse de Khalil Belguench. Des initiatives concrétisées grâce aux partenaires nationaux et internationaux, dont l’Institut du Monde Arabe.

L’IMA à Rabat

Depuis la signature de la convention bipartite en 2013, l’Institut du Monde Arabe(IMA) de Paris et la Fondation Nationale des Musées de Rabat ne cessent de nous convier à de grands événements artistiques, organisés en partenariat et synergie. Après «le Maroc contemporain» (Paris en 2014/Rabat en 2015), «les trésors de l’Islam de Tombouctou à Zanzibar», concocté avec la complicité de l’Académie du Royaume du Maroc en 2019, «modernités arabes, collection de l’Institut du Monde Arabe, Paris» débarque dans la capitale du royaume. La collection de l’IMA, entamée dans les années quatre-vingt, est enrichie d’une manière prodigieuse entre 2018-2022 par la donation du couple France et Claude Lemand. On passe de 400 œuvres à plus de 2377! De là le chantier du nouveau musée de l’IMA, dont l’ouverture est prévue pour 2025/2026, qui réunit la plus grande collection d’art moderne et contemporain en Occident. Le musée Mathaf à Doha, a une collection de 9 000 œuvres et le musée de Sharjah, de la Fondation Barjeel, réunit 1 300 œuvres. Pour la première fois, une sélection de la collection de l’IMA, de 116 œuvres, est donnée à voir en dehors de Paris et de la France.  Une chance inouïe pour le public national et les touristes, car elle préfigure la nouvelle métamorphose de l’Institut du Monde Arabe. Une première! 

Un parcours

Comment présenter l’histoire de l’art moderne et contemporain arabe en une centaine d’œuvres, sélectionnées parmi les 2377? N’est-ce pas réducteur ? Nathalie Bondil, Commissaire de l’exposition et Directrice du nouveau musée de l’IMA disait justement que «la sélection aurait pu être plus vaste tant le fonds de l’IMA est maintenant important. Certains choix furent déchirants, des œuvres étant déjà engagées et l’espace étant contraint pour un si vaste sujet.»

Avec les équipes de la FNM, de l’IMA et la complicité de la scénographe Isabelle Timsit, la Commissaire nous guide dans un parcours conçu en quatre escales : un monde arabe en miroir : aux sources de traditions inspirantes, territoires pluriels de l’abstraction : affirmations nationales et internationales, entre meurtrissures et espoirs, le poids de l’histoire et enfin, Et demain? Une humanité en marche. L’expo, à travers une baie vitrée, nous invite à la déambulation. Un accrochage lumineux, aéré, ouvert…c’est l’impression qu’on ressent quand on entame la visite. Les diverses salles, les tons des murs, la lumière, les bancs pour s’asseoir…L’alternance des toiles, sculptures, photos…bref, une scénographie étudiée pour valoriser les œuvres, les offrir tellement elles respirent ! 

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De la quaraouiyine de Mammeri Azouaou (1890/1950) à i’m sorry/i forgive you 2012 de Arwa Abouon (1982/2020), les œuvres défilent. Toutes les écoles, les médiums, les préoccupations…des artistes du monde arabe nous convient à un plongeon dans l’histoire des avant-gardes et au-delà des drames, espoirs et actualité brûlante d’un Maghreb/Machrek en ébullition. Un art Longtemps incompris, marginalisé, des artistes persécutés, des infrastructures inexistantes, les premières écoles furent créées pendant la période coloniale, le cas du Maroc avec ses écoles «française» et «espagnole» est saisissant…Mais des noms incontournables, chacun dans son pays, ont cru à leur idéal. Des associations furent créées dont l’union générale des artistes arabes en 1971, des rencontres dont l’incontournable Festival Al Wassiti, des galeries, à l’instar de celle de Youssef Khal à Beyrouth en 1963 ou l’atelier de Rabat en 1971, voient le jour, des revues…bref, un débat suscité par les questions lancinantes de tradition/modernité est lancé.

A scruter les œuvres de l’accrochage l’une après l’autre, c’est tout cet univers qui surgit. On admire ces pionniers qui exécutent des œuvres à l’académisme occidental, ces militants de la décolonisation, du socialisme, nationalisme, panarabisme… La question palestinienne, reste une grande inspiratrice. Les abstractions géométriques et lyriques puisent dans l’archéologie et la généalogie des cultures préislamique, sumérienne, pharaonique, berbère, les arts populaires et l’univers de l’Islam, calligraphie, miniature, arabesque, mosaïque…L’artiste arabe, via ce détour, essaye de créer une spécificité au-delà des tendances occidentales et d’un patrimoine figé. Michel Serres n’écrivit-il pas que «la création résiste à la mort, en réinventant la vie; cela se nomme résurrection.»

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Assistons-nous à la résurrection d’un art dit moderne et contemporain arabe? L’effervescence des années quatre-vingt, dont l’IMA, surnommé «le Beaubourg arabe», et Paris «capitale de la culture arabe», en sont témoins, est suivie par cette impulsion donnée par les pays du Golfe. Le Mathaf ouvre à Doha en 2010, des foires internationales ont initié Sharja en 1993, Art Dubaï en 2007, l’installation de Christie’s et Bonhams à Dubaï en 2006/08, Sotheby’s à Doha en 2009. Les artistes arabes aujourd’hui se situent dans l’universel et tout le monde cher à Edouard Glissant. A l’ère mondialisée et globalisée, des noms à l’instar des  Mona Hatoum, Youssef Nabil ou encore Mounir Fatmi jouissent d’une reconnaissance internationale. L’Afrique et le monde arabe sont-ils tendance? La Tate Modern, le British Museum ou le Guggenheim ne créent-ils pas des comités d’acquisition d’œuvres du monde arabe? Avec le choc boursier de 1987, le marché de l’art s’emballe et la toile devint refuge et bon placement. Les pétrodollars du Golfe dopent la situation actuelle. Bisness ou jouissance? Là, est le dilemme ! 

 
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