Vagues de chaleur : un fardeau économique sous-estimé

Si le changement climatique reste une chose abstraite pour certains, les températures de ces dernières années prouvent bien que quelque chose cloche. En attendant une prise de conscience généralisée sur ce fléau, les impacts sont là : surconsommation énergétique, métiers en souffrance, effet domino sur le PIB…
« Ce n’est que le début », alertait le climatologue Davide Faranda dans une interview accordée au journal Le Point. Dans différentes régions du monde, la chaleur extrême torture les citadins et les zones rurales. Comme 2024, l’année 2025 s’ajoute à une liste qui ne cesse de s’allonger. Selon les experts du GIEC, ce sont les émissions anthropiques de gaz à effet de serre qui sont la cause de la hausse de la fréquence et de la sévérité des vagues de chaleur dans le monde. Et le constat alarmant est que ces montées de chaleur ne sont pas sans conséquence sur la vie économique. C’est le constat, au demeurant amer, d’Allianz Trade. D’après Allianz Trade, les conséquences sont lourdes. Les journées de très forte chaleur (à partir de 32°C selon les auteurs de l’étude) à répétition pèsent en effet directement sur la croissance. En se basant sur deux articles académiques analysant les conséquences sur la productivité et sur la production d’une journée de chaleur extrême, les experts d’Allianz Trade ont effectué « un premier calcul simple » des conséquences sur le PIB du nombre de jours où les températures devraient dépasser les 32°C, selon les prévisions, entre le 1er mai et le 14 juillet. « Globalement, en utilisant les poids du PIB mondial, la canicule se traduit par une réduction de 0,5 point de pourcentage de la croissance du PIB de l’Europe pour 2025, et d’environ 0,6 point de pourcentage au niveau mondial, soulignant le fardeau croissant du risque climatique physique », rapporte Allianz Trade.
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Dans le détail, l’assureur estime que « la Chine, l’Espagne, l’Italie et la Grèce pourraient perdre près d’un point de PIB chacune en raison de la vague de chaleur actuelle », et que « les États-Unis et la Roumanie pourraient être confrontés à une baisse d’environ -0,6 point chacun, tandis que la France pourrait perdre jusqu’à un tiers de point ».
0,5 point en 2025
« La vague de chaleur qui frappe actuellement l’Europe aura un impact non négligeable sur la croissance. Le produit intérieur brut (PIB) du continent pourrait abandonner 0,5 point en 2025 sur l’autel de la canicule », estime Ludovic Subran, chef économiste de l’assureur, dans une note publiée mardi 1er juillet. « Macroéconomiquement, du fait de l’effet de taille, les principales économies occidentales et asiatiques sont celles qui pèsent le plus, en valeur absolue, en termes de pertes liées au réchauffement climatique. En revanche, en valeur relative, les économies moins développées, notamment africaines, devraient clairement pâtir, car encore assez largement agraires et n’étant pas spécifiquement outillées en climatisation, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les maisons », nous confie l’économiste Omar Firano. Selon le rapport du Lancet Countdown cité par les experts d’Allianz Trade, en 2022, les fortes chaleurs ont potentiellement fait perdre 139 heures de travail en moyenne par personne dans le monde. Allianz estime que le PIB mondial pourrait chuter cette année, suite aux différentes vagues de chaleur enregistrées ces dernières semaines.
Sur le plan de l’énergie, les externalités sont également présentes. Selon une source du confrère Le360, la consommation d’électricité a atteint, le lundi 30 juin, un pic de 7.940 MW à la pointe du soir, dépassant le record de 7.620 MW enregistré le 19 juin dernier à 21 h 30. Ce phénomène est dû principalement à un recours massif à la climatisation ou à des ventilateurs pour se rafraîchir.
Le monde du travail doit-il s’adapter aux urgences climatiques ?
Un rapport de l’agence des Nations Unies pour l’emploi a averti en mai dernier que plus de 70 % de la main-d’œuvre mondiale est susceptible d’être exposée à une chaleur excessive au cours de sa carrière. Agriculteurs, ouvriers du bâtiment, ces professions sont les premières à subir les conséquences du dérèglement climatique. En France par exemple, le gouvernement Attal a pris la question très au sérieux. Depuis le 14 mai dernier, le Premier ministre envisage de renforcer l’arsenal légal des salariés sur la question du réchauffement climatique. Concrètement, le dispositif permettrait de mieux protéger les employés en cas de températures caniculaires ou de grand froid.
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En attendant, depuis juin 2023 en France, la canicule est devenue un nouveau motif de chômage technique pour les salariés du BTP. Selon Santé publique France, « près de la moitié de ces accidents du travail mortels sont survenus dans le cadre d’une activité professionnelle de construction et de travaux ». « Le réchauffement climatique est une réalité, dont les impacts sont directs et indirects. Les explications sont relativement simples et peuvent être résumées en deux principales thématiques. D’une part, les phénomènes de canicule engendrent une consommation accrue en eau au niveau du secteur agricole, ce qui induit une hausse des coûts de production et donc de l’inflation, érodant ainsi le pouvoir d’achat. D’autre part, la productivité des salariés s’en ressent grandement, notamment dans les économies moins développées, où la climatisation n’est pas démocratisée. Un salarié qui a très chaud au travail, puis chez lui le soir, se fatigue plus vite et se repose moins », explique l’économiste.
En entreprise, que dit le code du travail ?
Après nos investigations, nous avons constaté qu’il n’existe pas encore de dispositions spécifiques concernant les fortes chaleurs dans le Code du travail marocain. À l’heure où les vagues de chaleur persistent dans le temps, il devient urgent, au nom de la santé publique, de se pencher sur cette question. En France par exemple, l’article R 4121-1 du Code du travail stipule que tout employeur doit prendre en considération les risques liés aux « ambiances thermiques » dans le cadre de sa démarche d’évaluation des risques pour la santé et la sécurité de ses travailleurs. Une mesure rappelée dans le plan canicule : les employeurs sont tenus d’assurer la sécurité et la santé de leurs salariés en tenant compte notamment des conditions climatiques.