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L’informel au Maroc. Une économie parallèle qui résiste aux réformes

Malgré des réformes ambitieuses, l’économie informelle continue de prospérer au Maroc, pesant lourdement sur le marché du travail et les finances publiques. Mais quelles sont les raisons de cette persistance et comment transformer cette réalité ?

Le secteur informel au Maroc, malgré des efforts pour l’intégrer à l’économie formelle, reste un phénomène endémique et complexe, englobant une large partie des activités économiques et des emplois. Selon un rapport récent de la Banque mondiale, ce secteur informel représente une part colossale de l’économie du pays, avec 83 % des entreprises opérant en dehors du cadre formel. Un chiffre frappant qui place le Maroc parmi les nations les plus affectées de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA).

Depuis plusieurs décennies, le secteur informel est un moteur de l’économie marocaine, notamment depuis les années 1970. L’émergence d’une économie moderne et structurée semble compromise par cette réalité, dont les racines plongent profondément dans le tissu économique national.

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Malgré les efforts de la Banque mondiale et d’autres institutions internationales pour pointer du doigt l’ampleur du phénomène, l’informel ne cesse de se développer, impactant directement l’emploi, la production, ainsi que les finances publiques. Une étude de Bank Al-Maghrib révèle que ce secteur informel représente environ 30 % du Produit Intérieur Brut (PIB) marocain, un poids considérable dans une économie qui cherche à se moderniser.

Une économie parallèle : entre flexibilité et exclusion

L’économie informelle, ou économie parallèle, est souvent perçue comme un havre pour les travailleurs exclus du formel, sans accès aux emplois réguliers, et une réponse aux déséquilibres sociaux et économiques. Cette économie, dominée par des petites productions, des emplois précaires et des activités de rue, est en réalité une bouée de sauvetage pour de nombreuses familles, notamment en milieu urbain et rural. Selon certains experts, elle joue même un rôle d’amortisseur social, en offrant une forme de résilience face à la pauvreté.

Dans ce contexte, de nombreux travailleurs et petites entreprises n’ont d’autre choix que de se tourner vers le secteur informel pour survivre. Le gouvernement et plusieurs organismes internationaux commencent cependant à reconnaître les avantages d’un tel secteur dans des économies fragiles, bien que les effets de cette informalité restent ambigus et souvent perçus comme un frein à l’innovation et à la compétitivité.

L’informel : des coûts invisibles mais réels

Si l’informel peut offrir des solutions immédiates à certains défis économiques, il n’en demeure pas moins que ses coûts sont colossaux à long terme. L’une des conséquences les plus visibles de l’informalité est le manque à gagner pour les finances publiques. En effet, l’évasion fiscale, le recours à des fausses factures et la dissimulation de revenus sont des pratiques courantes qui privent l’État de milliards de dirhams chaque année. Selon les estimations, l’économie informelle représente entre 50 et 60 milliards de dirhams en termes de pertes fiscales.

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Les entreprises formelles, qui respectent les obligations fiscales et légales, subissent la concurrence déloyale des acteurs informels, ce qui nuit à leur rentabilité, freine l’investissement et empêche l’innovation. L’informel génère ainsi une spirale de déclin, où la qualité des produits et services se dégrade, où les prix chutent, et où les normes de sécurité et de qualité sont souvent ignorées.

De plus, l’emploi dans l’informel se caractérise par une précarité criante : les travailleurs sont souvent privés de protections sociales, de droits au chômage, de conditions de travail décentes et d’un salaire équitable. Les salariés informels sont ainsi piégés dans un cercle vicieux d’instabilité et de faibles revenus.

Les solutions gouvernementales : réformes et incitations

Face à ce phénomène persistant, le gouvernement marocain a mis en place plusieurs réformes visant à intégrer progressivement l’économie informelle à l’économie formelle. Parmi les mesures phares, on trouve la simplification du statut de l’auto-entrepreneur, qui permet à un large éventail d’activités de se structurer sous un cadre juridique simplifié. Le programme Intelaka, dédié au financement des jeunes entrepreneurs, a également été renforcé pour faciliter l’accès aux crédits à des conditions avantageuses.

La digitalisation de l’économie est vue comme un levier clé pour accélérer cette transition. L’introduction de la facturation électronique et l’encouragement des paiements mobiles visent à réduire les coûts administratifs et à améliorer la traçabilité des transactions, facilitant ainsi le passage du secteur informel vers le formel.

Des secteurs spécifiques confrontés à des défis uniques

La réforme du secteur informel ne peut pas être uniforme : chaque secteur présente des spécificités qui nécessitent des solutions adaptées. Dans le domaine de l’artisanat, par exemple, il est crucial de mettre en place des plateformes de soutien à l’exportation pour permettre aux petites entreprises de se faire connaître au-delà des frontières marocaines. Quant au commerce ambulant, qui représente une part importante du secteur informel (près de 270 000 petits commerces), des licences simplifiées et des espaces dédiés pourraient permettre de régulariser cette activité et de mieux encadrer les petits commerçants.

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Dans le secteur agricole, où 77% des exploitations fonctionnent sans être enregistrées, des programmes d’accompagnement à la transition vers la formalité sont urgents. L’accès aux crédits et à des formations spécialisées serait essentiel pour soutenir les agriculteurs dans cette démarche.

Enfin, le secteur du transport informel, qui emploie plus de 500 000 travailleurs, a besoin d’un cadre réglementaire clair pour éviter les dérives et améliorer les conditions de travail des conducteurs et des usagers.

Malgré la mise en place de dispositifs incitatifs et de réformes pour encourager la formalisation, la tâche reste ardue. L’obstacle majeur à la transition vers une économie formelle réside dans le cadre institutionnel et réglementaire complexe. Les procédures administratives sont souvent perçues comme lourdes et décourageantes pour les petites entreprises, qui préfèrent rester dans l’informalité plutôt que de faire face à des coûts et des démarches administratives élevés.

Textile : l’informel menace un secteur clé
L’industrie du textile et de l’habillement fait face à une concurrence déloyale alimentée par l’économie informelle, qui représente 54 % de l’activité du secteur, selon une étude de la CGEM. Ce taux dépasse celui du BTP, du transport routier ou de l’agroalimentaire. La confection et le tissu d’ameublement sont les filières les plus affectées, en raison de la facilité de production dans des unités clandestines, souvent installées à Casablanca, Tanger, Fès ou encore Guercif.
L’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith) ne cesse de tirer la sonnette d’alarme : ces ateliers, employant quelque 200 000 personnes dans des conditions précaires, inondent le marché de produits de qualité médiocre, parfois 50 % moins chers que ceux issus des circuits formels. Résultat : chute des prix, contrefaçon de modèles, fermeture d’unités structurées.
Face à cette menace, les professionnels appellent à un plan d’action global : contrôles renforcés, incitations à la formalisation, régulation stricte, campagnes de sensibilisation, et soutien accru aux entreprises conformes. Il y va de l’avenir d’un secteur stratégique pour l’économie nationale.

Lutte contre l’informel : Le plan en quatre axes du patronat
La Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) propose un plan d’action structuré autour de quatre chantiers prioritaires pour freiner l’économie informelle. Le premier vise à renforcer l’attractivité du secteur formel. Pour cela, le patronat suggère de réduire le gap fiscal entre formel et informel, en allégeant la fiscalité sur le travail, en simplifiant la TVA et en augmentant les droits de douane sur les produits finis importés. À l’instar de la Turquie, qui a réduit son taux d’informalité de 20 % en baissant TVA et cotisations sociales, le Maroc pourrait s’inspirer de ces réformes.
Deuxième axe : accompagner les unités de production informelles vers le formel grâce à un cadre réglementaire incitatif, un meilleur accès au marché et le renforcement de leurs capacités. Troisième priorité, la CGEM souhaite être associée au processus de détection des fraudes et à l’élaboration des référentiels.
Enfin, le quatrième pilier cible l’assèchement de la contrebande, via le transfert progressif de la main-d’œuvre vers l’économie productive et le renforcement des contrôles. En soutien, deux leviers transversaux sont identifiés : l’éducation et la lutte contre la corruption, notamment par la digitalisation des services publics et la réduction des paiements en cash.

 
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