Dossier

Chômage et crise économique. Le retour en grâce du secteur informel ?

Alors que le taux de chômage ne prête guère à l’optimisme, le gouvernement peine à résorber les pertes d’emploi dues à une crise économique doublée d’une conjoncture internationale déplorable. Et l’informel dans tout cela ?

Plus que jamais, les chiffres de l’emploi ou pour être plus précis ceux du chômage, donneraient du tournis et devraient constituer une forte inquiétude à tout gouvernement normalement constitué. Alors que l’exécutif a fait de l’emploi une question centrale, le chômage a pourtant atteint en 2023 un niveau inédit depuis le début de ce siècle. Une situation qui fait que le royaume souffre d’un taux de chômage de 12,9 % à un niveau presque comparable aux pires années des années 2000 (13,4 %).

Le coup de frein enregistré dans certains secteurs pèse lourd sur la croissance marocaine. Malgré la création de 230.000 emplois en 2021, due à un sursaut inédit de l’activité économique grevée par le lourd passif de la crise du Covid-19 qui a fait perdre au pays plus de 430.000 postes d’emploi en 2020, l’année 2023 et avant elle 2022, n’ont pas connu la reprise espérée. Les idées de l’exécutif restent intéressantes pour atténuer la crise mais le chemin qui mène au plein emploi est semé d’embuches. On peut citer à titre d’exemples la hausse du budget de l’investissement public, le lancement des programmes comme Awrach ou Forsa censés créer des opportunités d’emploi à des jeunes instruits ou sans diplôme, il y a aussi les aides directes au secteur agricole mis à mal par une sécheresse endémique qui a causé d’énormes pertes dans l’emploi rural, notamment chez les jeunes et les femmes. Près de 90% des pertes d’emplois accusées entre mars 2022 et mars 2023 sont des emplois non rémunérés.

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Si l’exécutif s’évertue à courir après les grands objectifs du fameux plein emploi dans une situation de crise internationale, la tâche apparaît maintenant de plus en plus ardue. Cet objectif qui apparaît sans espoir, est pourtant une réalité dans l’économie informelle comme le notent la plupart des rapports nationaux et internationaux sur cette question dont le dernier rapport de la Banque mondiale sur le secteur informel dans la région MENA. Un rapport qui révèle que le secteur informel au Maroc est le premier pourvoyeur d’emplois avec un taux de 77,3% de la population active, taux nettement supérieur à celui de l’Égypte (62,5 %) et de la Tunisie (43,9 %), qui ont des caractéristiques et un potentiel comparable. On peut certes déplorer le caractère précaire et fragile de ces emplois mais une chose est sûre, l’informel contribue à la croissance économique et, par là, à la paix sociale.

Et si la véritable question était : comment profiter de ce dynamisme économique au lieu de chercher à l’éradiquer ? Selon ce principe de base de la sagesse populaire, « si on n’est pas capable de changer une situation, du moins il faut tenter de l’améliorer ». Il ne s’agit pas de vanter «les vertus » de l’économie informelle mais juste d’explorer des pistes originales pour profiter de ses avantages en attendant de réguler ce secteur. Remarquons, au passage, que l’emploi informel est loin d’être une garantie de moralité (des transporteurs qui vivent de petits trafics ne cessent pas d’être malhonnêtes et que ces emplois, aussi condamnables et immoraux qu’ils soient permettent de faire vivre beaucoup de familles pour autant. Une vision certes en contradiction avec une grande part de la littérature économique ambiante mais cela ne nous empêche pas de nous interroger sur la pertinence de nombre de politiques de l’emploi du XXIe siècle.

Quand on regarde l’économie nationale, le secteur informel représente une part importante et par ricochet influe beaucoup sur la productivité, tenant aussi un rôle majeur dans la création d’emplois .
Les décideurs devraient s’intéresser ainsi aux potentialités d’un secteur qui jusqu’à présent, malgré ses aspects négatifs que personne ne peut nier à maintenir l’économie du royaume sur ses deux jambes, la libérale et la sociale. Ce qui veut dire en clair que l’informel concilie un système de protection sociale bien particulier avec les attentes de plein-emploi. Il n’y a qu’à faire un petit tour au marché de Derb Ghallef, que d’aucuns n’ont pas hésité à surnommer la « Silicone vallée » du royaume pour observer de visu la santé de l’activité économique de la marge avec les milliers de personnes employées au quotidien, même si personne jusqu’à présent n’a réussi à évaluer les milliards de dhs du chiffre d’affaires de cet ensemble.

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Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que cette activité économique non reconnue, affiche un taux de plein emploi insolent et même si le modèle social n’est pas l’idéal en la matière, il maintient une plus grande flexibilité de l’emploi que lui envieraient les économistes les plus libéraux. Dans l’informel, alors que paradoxalement, et malgré le fléau du chômage, l’économie formelle enregistre des pénuries de recrutement dans de nombreux secteurs, l’équilibre se fait par une régulation spontanée qui profite autant aux employeurs qu’aux travailleurs.

Dans des pays comme le Maroc où des taux de croissance de la population élevés entraînent une urbanisation sans freins, c’est le secteur informel qui absorbe la plus grande partie de la main d’œuvre dans les zones urbaines. L’emploi informel offre une stratégie de survie indispensable dans les pays où il n’existe pas de filets de sécurité, comme l’assurance chômage, où les salaires et les pensions sont faibles, notamment dans le secteur public. En outre, on oublie souvent que les imbrications entre l’informel et l’industrie dans l’économie formelle sont telles qu’il est impossible à certaines entreprises de survivre sans une sous-traitance confiée à̀ de petites entreprises, dont la majorité travaille dans le secteur informel. L’économie informelle représente ainsi un défi pour les décideurs qui cherchent à profiter des réalités changeantes du monde du travail, pour s’attaquer au casse-tête de l’emploi.

Comme l’objectif absolument stratégique de résorber le chômage à défaut du plein emploi fixé par le gouvernement reste impossible à atteindre sans entreprendre les réformes structurelles nécessaires, l’exécutif gagnerait à remettre en cause les théories surannées de la Banque Mondiale sur un secteur informel qu’il faudrait combattre à n’importe quel prix. Accusé de tous les maux, l’informel qui emploie pourtant un large pan de la population, a toujours été pointé du doigt sous le soupçon de nuire à la productivité, tout en échappant aux recettes fiscales de l’État. On l’accuse également de précariser l’emploi, avec ses bas salaires, ses mauvaises conditions de travail, et l’absence de perspectives de carrière, sans oublier ses effets négatifs sur la compétitivité … Toutes ces accusations devraient faire aujourd’hui l’objet d’un diagnostic précis pour séparer le bon grain de l’ivraie.

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Le sentiment d’urgence à agir si on veut baisser le chômage, impose de remettre tous les sujets sur la table, y compris les plus inattendus. Cela commence d’abord par un intérêt réel pour un secteur dont on manque cruellement de statistiques et notamment sur l’aspect de l’emploi informel. D’autant plus que l’on sait que ce secteur est essentiel pour des catégories de la population fragiles comme les femmes ou les jeunes, sachant qu’il s’agit là d’une importante source de revenus pour les femmes, notamment dans les zones où il leur est encore interdit de travailler à l’extérieur de leur domicile. Cela nécessite aussi de reconnaître au génie populaire Marocain sa part de méritocratie pour empêcher que les cerveaux du secteur informel ne cèdent aux nombreuses sirènes des chasseurs de tête qui n’ont, pour leur part, aucun scrupule à aller recruter ces « génies » dans les petites baraques de fortune qui leur servent d’atelier.

 
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