Opinions

L’informel, cet arbre qui cache la forêt

La perception négative de l’informel a fait son temps. Elle est basée sur une compréhension binaire et superficielle qui ne permet guère de comprendre la complexité d’une réalité humaine bien ancrée dans l’histoire de la formation sociale marocaine. De ce fait, cette perception n’a jamais pu offrir des solutions réelles et pratiques. Elle a juste permis de cacher les faiblesses structurelles d’une économie en mal de développement et de justifier les situations de rente, caractéristique principale du capitalisme local, fortement dépendant de l’extérieur et incapable de voler de ses propres ailes. L’« informel de survie » est une réalité quotidienne où des milliers d’êtres humains essaient, coûte que coûte, d’exercer une micro-activité génératrice de revenus, de manière illicite et/ou licite, avec parfois des « zones grises ou mixtes ». Les micro-activités informelles à caractère licite (MAICL), observables et identifiables, méritent d’être encadrées, accompagnées et appuyées. Celles à caractère illicite (mendicité, prostitution, trafic de drogue…) peuvent être encouragées à changer de domaine et à rejoindre les MAICL. Les grands chantiers sociaux actuellement en cours, notamment la généralisation de la protection sociale, devraient contribuer très favorablement à ce passage de l’illicite au licite. C’est aussi le cas de la tendance croissante de l’utilisation des modes de paiement traçables. Une approche multidisciplinaire est indispensable, intégrant l’aménagement spatio-temporel des espaces publics, l’accès au financement bancaire ou autre, la lutte contre l’analphabétisme et la formation professionnelle, les médias locaux, la fiscalité locale (…), avec des équipes pluridisciplinaires comprenant des sociologues, des économistes, des juristes, des agents d’autorité, des élus locaux, les chambres professionnelles (…).

Lire aussi | Prolongation de l’amnistie fiscale pour les entreprises inactives au Maroc

Pour réussir cette approche multidimensionnelle, les personnes exerçant des MAICL doivent elles-mêmes être les principaux acteurs du processus d’intégration. Car il s’agit d’une transformation sociale dont le succès dépend fortement de la participation et de l’adhésion des personnes concernées. Reste l’informel-fraude (IF) qui se nourrit surtout de la corruption et de l’impunité. Là se cachent souvent des entreprises bien structurées qui préfèrent « nager dans l’eau trouble ». L’intégration des MAICL devrait permettre d’isoler l’IF et de le rendre plus vulnérable. Il sera ainsi plus visible. Même s’il s’agit de « requins », le « gros poisson » ne pourra pas vivre sans eau. Les alternatives existent. Nombreuses sont les études de qualité réalisées sur ce phénomène sociétal, études restées dans les tiroirs ou dans les placards. Car c’est avant tout une question de volonté politique. « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer » (Karl Marx). L’« Etat social » exige aujourd’hui de la part des responsables politiques des actes concrets de changement et non plus seulement des déclarations politiques de bonnes intentions ou des actes de gestion d’un équilibre, synonyme de statu quo.

Lire aussi | L’aventure marocaine du français Betom Ingénierie prend fin prématurément

Le changement est parfois nécessairement douloureux, mais il peut l’être moins en écoutant et en impliquant les acteurs concernés qui, souvent, sont capables de proposer des alternatives légitimes et durables. Car, in fine, il est avant tout question de contribuer à l’émergence d’un vivre ensemble où le respect de la dignité humaine est l’objectif ultime et central.

 
Article précédent

Maroc. Le temps ce vendredi 15 décembre

Article suivant

Ewane établit une alliance stratégique avec le ministère de la Communication sénégalais