Emploi

Chômage. Pourquoi les diplômés de la formation professionnelle sont les plus touchés ?

Annoncée comme la voie adéquate vers une insertion rapide sur le marché du travail, la formation professionnelle a encore du mal à convaincre. En 2024, selon le HCP, ses diplômés affichent le taux de chômage le plus élevé, dépassant même les filières universitaires longtemps pointées du doigt. Explications.

La formation professionnelle, longtemps présentée comme un remède contre le chômage des jeunes, semble aujourd’hui à bout de souffle. D’après les dernières données du Haut-Commissariat au Plan (HCP), les détenteurs d’un diplôme de technicien spécialisé ou supérieur affichent en 2024 un taux de chômage alarmant de 31,1 %. Ce chiffre surpasse celui des diplômés des filières universitaires à accès ouvert, pourtant souvent décriées, comme les facultés de droit, d’économie, de lettres ou de sciences, qui culminent à 26,2 %.

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Ce constat renverse une idée reçue profondément ancrée : celle d’une formation courte, pratique et professionnalisante garantissant une insertion rapide. « Il y a une inadéquation criante entre les formations dispensées et les besoins réels du tissu économique », analysent plusieurs experts du marché de l’emploi.

Anouar El Basrhiri, DG à TMS Consulting affirme à cet effet, que « ce paradoxe s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, il existe un décalage entre l’image de la formation professionnelle comme voie rapide vers l’emploi et la réalité du terrain. En réalité, si on prend le secteur privé, une partie significative des écoles de formation professionnelle est perçue comme peu valorisante, voire comme un choix par défaut. Cela fait que de nombreux bacheliers avec un bon niveau préfèrent opter pour l’université ou tenter les grandes écoles, délaissant ainsi cette voie qui peine à attirer les profils les plus qualifiés. D’autre part, malgré leur caractère « opérationnel », les formations proposées ne correspondent pas toujours aux compétences réellement recherchées sur le terrain. Beaucoup de jeunes se retrouvent mal orientés ou insuffisamment préparés aux exigences du marché ».

En effet, pendant des années, les politiques publiques ont encouragé les jeunes à se tourner vers la formation professionnelle, souvent au détriment de l’université. Mais la promesse d’une insertion accélérée s’est heurtée à la réalité d’un marché du travail saturé, où les postes techniques sont soit peu nombreux, soit occupés par des profils expérimentés.

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Dans certains secteurs, les diplômés peinent à rivaliser avec des travailleurs informels, moins qualifiés mais souvent plus flexibles et moins coûteux pour les employeurs. D’autres subissent l’obsolescence rapide de leurs compétences, en raison de formations mal actualisées face aux mutations technologiques.

Ce paradoxe alimente une crise de confiance : les jeunes hésitent de plus en plus à emprunter la voie de la formation professionnelle, tandis que les entreprises se montrent peu enclines à intégrer ces profils. Une double fracture qui complique davantage la transition vers l’emploi.

Face à cette situation, une refonte s’impose. Les acteurs institutionnels sont appelés à mieux arrimer les programmes aux besoins économiques actuels, à renforcer les stages et les liens avec l’entreprise, et à revaloriser socialement les parcours techniques.

Le défi est de taille : redonner à la formation professionnelle son rôle de passerelle vers l’emploi et non de cul-de-sac. Car sans réforme structurelle, elle risque de perdre définitivement sa crédibilité auprès des jeunes et des familles… et d’alourdir encore les chiffres du chômage.

3 questions à Anouar El Basrhiri,DG à TMS Consulting

«Il faut encourager l’innovation dans la formation professionnelle, au lieu de l’encadrer de manière trop rigide»

Challenge : Les programmes de formation professionnelle sont-ils réellement alignés avec les besoins du marché du travail, ou existe-t-il un décalage entre les compétences acquises et les profils recherchés ?
Anouar El Basrhiri : Effectivement, le décalage est malheureusement bien réel. Si certains efforts ont été réalisés pour mieux connecter les programmes aux réalités économiques, beaucoup d’établissements fonctionnent encore avec des référentiels rigides et rarement actualisés.
Dans un marché qui évolue rapidement, digitalisation, IA, nouveaux métiers…, la réactivité est primordiale. Le problème est d’autant plus prononcé dans certaines filières saturées ou en déclin, où l’on continue à former massivement sans réelle perspective d’embauche. Par ailleurs, les soft skills, la culture d’entreprise, et les capacités d’adaptation sont encore trop peu intégrées dans les cursus, alors que ce sont précisément les éléments différenciants aujourd’hui dans le recrutement.

Challenge : Quelles responsabilités partagent les entreprises, les établissements de formation et les pouvoirs publics dans cette situation paradoxale où l’insertion professionnelle promise semble échouer ?
La responsabilité est collective. Les centres de la formation professionnelle doivent remettre à plat leurs programmes et renforcer leurs liens avec les exigences du marché. Mais les entreprises aussi ont un rôle clé à jouer, notamment en s’impliquant davantage dans l’accueil de stagiaires, la formation en alternance, ou la co-construction des contenus. Quant aux pouvoirs publics, leur rôle de pilotage stratégique est encore trop centralisé et bureaucratique. Par exemple, dans les centres de formation privés, les démarches pour ouvrir une nouvelle filière — pourtant en demande sur le marché — sont longues, et complexes. Ce manque de flexibilité freine l’adaptation des offres de formation aux besoins réels. Il faut encourager l’innovation dans la formation professionnelle, au lieu de l’encadrer de manière trop rigide.

Challenge : Quelles réformes concrètes seraient nécessaires aujourd’hui pour restaurer la crédibilité et l’efficacité de la formation professionnelle en matière d’employabilité des jeunes ?
A mon avis, deux chantiers sont à lancer de manière urgente. Le premier consiste à moderniser les contenus de formation, en intégrant des compétences techniques actualisées mais aussi comportementales (soft skills, communication…). Le deuxième, à faciliter l’adaptation des filières, notamment dans les centres privés, en assouplissant les procédures de création de nouveaux parcours alignés sur les besoins locaux. Il faut aussi revaloriser l’image de la formation professionnelle à travers une communication positive, des success stories, et surtout en montrant qu’elle peut déboucher sur des emplois stables, voire sur l’entrepreneuriat. Sans cela, elle restera perçue comme une voie de secours et non comme un levier d’insertion puissant.

 
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