À l’ère de l’IA, les talents marocains redessinent les règles du jeu professionnel

Plus connectés, plus lucides et infiniment plus exigeants, les cadres marocains bousculent les codes classiques du travail, à l’heure où l’intelligence artificielle s’impose comme un moteur de transformation globale. Entre adoption accélérée des technologies, rejet croissant de l’entreprise à impact négatif et réinvention du rapport au travail, les cadres marocains se révèlent être les pionniers d’un nouveau paradigme professionnel. Une étude mondiale signée BCG, The Network et ReKrute éclaire cette mutation profonde à travers un prisme local.
Le Maroc ne se contente plus de suivre les grandes tendances mondiales en matière d’emploi : il les anticipe. C’est ce que révèle une étude d’envergure mondiale menée par le Boston Consulting Group (BCG), The Network et ReKrute. En effet, 150 000 actifs interrogés dans 185 pays – dont 1 097 au Maroc – ont permis de dresser un état des lieux inédit des attentes professionnelles à l’ère de l’intelligence artificielle.
Et les résultats sont sans appel : les cadres marocains adoptent massivement l’IA, se montrent exigeants vis-à-vis de leurs employeurs, et n’hésitent pas à se réinventer pour rester dans la course.
Ce qui en ressort pour le Maroc est saisissant : non seulement les cadres y sont parmi les plus avancés au monde en matière d’adoption de l’IA, mais ils s’affirment aussi comme des professionnels engagés, exigeants et proactifs. L’époque du simple chercheur d’emploi est révolue : les talents marocains veulent choisir, peser et contribuer à un projet de société.
Le pouvoir passe du recruteur au candidat
La première rupture majeure révélée par l’étude est celle du rapport de force. Aujourd’hui, 18 % des cadres marocains sont démarchés chaque semaine, 25 % chaque mois. Dans un marché en tension, cette hyper-sollicitation renforce leur confiance : 78 % se disent en position de force pour négocier les conditions de leur futur poste.
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Le niveau d’exigence n’est plus seulement élevé – il est devenu structurant dans le processus de décision. Le contenu de l’offre compte, mais la forme du processus aussi : les candidats marocains sont parmi les plus sévères du monde sur la qualité de l’expérience de recrutement.
Ainsi, 24 % peuvent refuser une offre simplement à cause d’un processus mal conduit (contre 38 % dans le monde), tandis que 36 % rejettent une entreprise suite à une impression négative en entretien. Moins tolérants aux failles, les talents locaux valorisent désormais des critères plus profonds.
Des professionnels lucides et responsables
Une des révélations les plus fortes de l’étude : 46 % des cadres marocains refusent une offre d’emploi si les produits ou services de l’entreprise ont un impact négatif sur la société. Ils sont également 39 % à écarter une entreprise non inclusive, et tout autant à rejeter celles n’offrant pas de bénéfices familiaux. Des niveaux supérieurs à la moyenne mondiale, et qui témoignent d’un changement de mentalité radical : les talents ne cherchent plus seulement un emploi, mais une mission, une cohérence entre leur éthique et l’environnement de travail.
« Cette étude est un véritable miroir des transformations du marché de l’emploi. Les talents marocains, connectés, lucides et ambitieux, ne cherchent plus seulement un emploi mais un projet qui fait sens. L’IA ne les inquiète pas : elle les stimule. C’est une chance pour les entreprises, à condition de savoir écouter ces nouvelles aspirations », commente Alexandra Montant, Directrice Générale Adjointe de ReKrute.
Une hiérarchie des motivations redessinée
Les leviers de motivation évoluent aussi. Là où l’évolution de carrière et le challenge primaient auparavant, c’est désormais la sécurité de l’emploi qui domine. Ce facteur, absent du top 10 en 2020, arrive en tête aujourd’hui – signe d’une recherche de stabilité dans un monde mouvant.
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L’apprentissage et la reconnaissance suivent de près, mais selon les tranches d’âge, les priorités changent:
-Les 21-30 ans recherchent surtout : 1. sécurité de l’emploi, 2. développement de carrière, 3. reconnaissance.
-Les 30-40 ans privilégient : 1. développement de carrière, 2. sécurité de l’emploi, 3. équilibre vie pro/perso.
Autrement dit, si les jeunes professionnels veulent progresser dans un cadre sécurisant, leurs aînés recherchent un équilibre global, où le développement ne se fait pas au détriment de leur bien-être.
L’IA, outil de pouvoir et levier d’émancipation
C’est l’un des enseignements les plus surprenants de cette enquête : avec 52 % d’utilisateurs réguliers, le Maroc se classe 4ème au monde pour l’adoption de l’IA par les cadres – à égalité avec la Chine, devant l’Inde et le Pakistan.
Mais au-delà de l’usage, c’est la finalité qui impressionne :
-44 % des Marocains utilisent l’IA pour apprendre, faire de la recherche, explorer de nouvelles connaissances.
-35 % pour créer du contenu professionnel.
-34 % pour la R&D, contre seulement 24 % au niveau mondial.
Ce sont donc des usages complexes, stratégiques, porteurs d’innovation. Mieux encore : 24 % des cadres marocains considèrent l’IA comme un partenaire régulier dans leur quotidien professionnel (vs 17 % dans le monde).
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« Les talents marocains ne se contentent pas d’exécuter, ils réfléchissent, s’adaptent et anticipent. L’IA n’est pas un obstacle pour eux, mais un outil de progrès », souligne Alexandra Montant.
Seul bémol : malgré cette appropriation technologique avancée, les professionnels marocains révèlent un déficit de sens critique. À peine 36 % vérifient systématiquement les contenus générés par l’IA, contre 42 % à l’échelle mondiale.
Cela traduit un double enjeu : renforcer les compétences d’analyse et développer une maturité numérique indispensable à la gestion responsable de ces outils. Comme le souligne le rapport : « Ceux qui sauront allier sens critique et compétences techniques seront les mieux armés pour tirer parti de cette révolution ».
Une envie massive de se requalifier
Autre enseignement fort : les cadres marocains se montrent plus proactifs que la moyenne mondiale dans leur volonté de se requalifier. 63 % affirment être prêts à apprendre de nouveaux métiers, quelles que soient les circonstances (contre 57 % dans le monde).
Mais cette ambition rencontre des freins. En effet, 47 % réclament plus de clarté sur les compétences à acquérir, 42 % souhaitent de meilleurs programmes de formation et 38 % estiment manquer de ressources financières pour se former. Une situation paradoxale : les talents sont prêts, mais attendent un accompagnement structuré pour passer à l’action.
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En somme, le message est limpide : les entreprises marocaines ont devant elles une génération prête à apprendre, à s’engager, à se transformer. Mais cette promesse ne se concrétisera que si elles répondent à trois grands défis : d’abord créer un environnement de travail porteur de sens éthique, inclusif et aligné avec les aspirations sociales des talents, ensuite, investir dans la requalification de leurs collaborateurs, en les accompagnant avec des programmes clairs, accessibles et ambitieux et enfin intégrer l’IA intelligemment, comme un outil de progrès humain et non une fin en soi, en valorisant le sens critique, la collaboration et l’autonomie.
Comme le résume Zineb Sqalli, Associée au BCG « Le Maroc dispose d’un capital humain remarquable, mais encore sous-exploité. À l’heure où l’intelligence artificielle redéfinit les contours du travail, il est urgent que les entreprises marocaines adoptent une posture plus à l’écoute, plus collaborative et plus responsable. »
En d’autres termes, le Maroc a tous les atouts pour faire de cette révolution technologique une success story humaine. À condition d’écouter la voix de ses talents.