Marocains du Monde

Compétences marocaines de l’étranger : le défi de la mobilisation

Les Marocains résidant à l’étranger qui contribuent bon an mal an à plus de 7% au produit intérieur brut (PIB) du pays, sont une ressource à haut potentiel pour le développement économique du Maroc. 5,1 millions de Marocaines et de Marocains étaient, en avril 2021, officiellement enregistrés auprès des consulats du Royaume à l’étranger. A ce chiffre, qui représente environ 15% de la population marocaine, peut s’ajouter l’effectif des personnes vivant à l’étranger et non immatriculées dans les consulats, les Marocaines et Marocains nés au Maroc et expatriés, ainsi que les nationaux ou binationaux nés et résidant à l’étranger dont au moins un parent est marocain. Les pouvoirs publics ont depuis longtemps conscience du rôle de cette diaspora marocaine et se sont saisis de cet enjeu. Mobiliser les compétences et les talents de ces personnes pour le développement de leur pays suppose de mieux les connaître et de mieux cerner leurs aspirations, leurs besoins et leurs attentes. 

Forte de plus de 5 millions de personnes à travers les cinq continents, la communauté marocaine à l’étranger représente près de 15% de la population totale du Royaume et contribue à plus de 7% au produit intérieur brut (PIB) du pays. Leur sentiment d’appartenance et le poids structurel de leur contribution aux besoins sociaux et à l’équilibre macroéconomique du pays est à la fois une opportunité et un défi. 

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La migration a permis aux Marocains du monde (MDM) d’élargir leurs horizons, de changer leurs conditions de vie et celles de leurs familles, et d’enrichir leurs expériences professionnelles. Ils évoluent entre des univers socioculturels aux histoires, identités, cadres de vie et environnements politiques différents. Les MDM apportent leur labeur, leur énergie créatrice et leurs ressources aux sociétés qui les accueillent comme à celle de leur pays d’origine. 

Zakia Khattabi, ministre fédérale belge du Climat, de l’Environnement, du Développement durable et du Green Deal.

Un capital humain inestimable

Il faut dire que la communauté marocaine à l’étranger regorge de compétences qui représentent un capital humain inestimable (intellectuel, financier, social, culturel et entrepreneurial) et un vaste réservoir d’expériences et de savoir-faire pour le Maroc. Les compétences marocaines à l’étranger peuvent apporter une valeur ajoutée et représentent un capital important pour le pays, qui peut bénéficier de leur expertise, de leur expérience et de leur réseau pour se développer et renforcer son rayonnement à l’étranger. Les MDM sont souvent bien formés et hautement qualifiés, avec des compétences dans des domaines variés. Ils peuvent apporter une plus-value significative dans de nombreux secteurs, tels que l’entrepreneuriat, l’investissement, la recherche et développement, la médecine, la santé, le commerce équitable, les nouvelles technologies…  

Qu’il s’agisse d’éminents professeurs, chercheurs et scientifiques ou de grands décideurs politiques, les MDM constituent aujourd’hui une élite reconnue partout. Les exemples ne manquent pas (voir portraits). 

Le grand scientifique marocain Rachid Yazami a inventé l’anode en graphite utilisée aujourd’hui dans plus de 95% des batteries rechargeables au lithium-ion.  Depuis, le natif de Fès collectionne les prix les plus prestigieux à travers le monde pour ses travaux considérés comme ayant contribué à de grandes avancées dans le domaine de l’ingénierie. D’autres scientifiques d’origine marocaine sont de renommée internationale. 

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Othmane Benafan dirige le projet de durabilité de l’aviation de la NASA.

Othmane Benafan, autre scientifique marocain, Ingénieur de recherche en science des matériaux au centre de recherche Glenn, est aux commandes du nouveau projet de durabilité visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et les coûts financiers de l’industrie aéronautique de l’agence spatiale américaine NASA. Ses recherches sont axées sur le développement d’alliages plus légers qui sont également capables de changer de forme à des fins aérospatiales. Ses recherches et son expérience sur les alliages à mémoire de forme aident à créer des dispositifs pour la recherche planétaire sur Mars, selon le site Web de la NASA précisant que cette même technologie est utilisée pour produire des alliages pour l’industrie aéronautique.

La recherche scientifique qui regorge de compétences marocaines de très haut niveau, est loin d’être le seul domaine où les MDM brillent. La politique n’est pas en reste. Rien qu’en Belgique, par exemple, deux femmes politiques belges d’origine marocaine font partie du gouvernement belge. Il s’agit de Zakia Khattabi, Ministre de l’Environnement et du Climat et Meryame Kitir, Ministre de la Coopération au développement et en charge des Grandes villes. La première, est l’une des figures emblématiques de l’écologie politique en Belgique. Quant à la deuxième, elle a derrière elle une carrière bien accomplie dans le syndicalisme ouvrier à l’usine Ford de Genk. D’autres grands noms d’origine marocaine évoluent dans les sphères politiques en France, en Italie ou encore aux Pays-Bas. Les domaines où interviennent les Marocains sont multiples : littérature, cinéma, vie associative…. C’est dire l’énorme vivier de Marocains du Monde qui évoluent au sein des pays d’accueil. 

Rachid Yazami est un physico-chimiste marocain et l’inventeur de l’anode graphite pour les batteries lithium-ion.

Des initiatives pour attirer les compétences marocaines de l’étranger

Ainsi, bien que le Maroc ait pris conscience que tardivement de cet atout, la mobilisation des compétences marocaines à l’étranger est devenue depuis quelques années, un enjeu déterminant pour le Maroc, car elle permet de renforcer les liens entre la diaspora et le pays d’origine, de stimuler l’innovation et la créativité, de favoriser la coopération internationale et de contribuer au développement économique et social du Royaume.

Malgré cela, ces ressources sont généralement sous-utilisées et elles ne sont pas toujours bien intégrées dans les politiques de développement territorial et régional, alors qu’elles pourraient être mobilisées pleinement et d’une manière plus efficace au service du développement du Maroc. 

Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le Maroc a, en effet, développé depuis les années 1990 des dispositifs visant à identifier et mobiliser les compétences de ses ressortissants à l’étranger, notamment le TOKTEN (Transfer of knowledge through expatriate nationals, 1993), le FINCOME (forum international des compétences marocaines résidant à l’étranger, 2006), ou la plateforme MAGHRIBCOM (2013) qui se présente comme l’outil de mise en œuvre de la «stratégie de mobilisation des compétences marocaines résidant à l’étranger» (2009) , ou encore le programme « MRE Academy»(2020). En 2021, un énième programme pour mobiliser 10.000 profils hautement qualifiés parmi les Marocains du monde, a été aussi lancé. Ces initiatives avaient vocation à ouvrir les opportunités de mise en réseaux des compétences MDM avec leurs homologues au Maroc. Le TOKTEN a, par exemple permis de réunir des centaines de compétences MDM (chercheurs, experts et industriels) de tous horizons, lors de 3 grandes rencontres ; la plateforme MAGHRIBCOM a donné naissance à la création de l’Université internationale de Rabat (UIR) dans le cadre d’un partenariat public-privé; l’initiative MRE Academy a permis la signature, par le département chargé des Marocains résidant à l’étranger, l’OFPPT et le réseau des compétences germano-marocain (DMK), d’une convention innovante pour le développement de l’offre de formation professionnelle dans le secteur de l’automobile. Cependant, on peut déplorer le caractère limité et souvent sans lendemain de ce type d’initiatives. Le faible niveau de coordination entre les acteurs, la limitation et la discontinuité des budgets, le peu de suivi, de continuité et de capitalisation des expériences antérieures conduisent au découragement des acteurs. «La population des universitaires et scientifiques mériterait de faire l’objet de mesures spécifiques. Il est rare que les universitaires et experts industriels envisagent leur réinstallation définitive dans leur pays d’origine, eu égard aux contextes scientifiques et technologiques et à leurs choix de vie dans les pays d’accueil. Il y aurait cependant avantage pour le Royaume de formaliser des dispositifs réglementaires rendant possibles les mobilités scientifiques pour permettre à ces talents de tisser des liens actifs et réciproques avec les réseaux scientifiques des équipes marocaines », confie un chercheur d’origine marocaine. 

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Pour Abdeslam Touhami, Economiste, il est à remarquer que les organismes dédiés aux MDM semblent davantage agir en solo que de façon coordonnée, partenariale et en convergence, dans une logique de service aux MDM. A cela s’ajoute l’instabilité, d’un gouvernement à l’autre, du dispositif institutionnel (ministère MDM, ministère délégué, puis département en charge des MDM, etc.). «Il en résulte une redondance de certains programmes, une multiplicité d’acteurs en charge des affaires des MDM et le manque d’un interlocuteur unique pour les MDM, un chevauchement parfois dans les attributions desdits acteurs, un défaut de visibilité des actions envers les MDM, une déperdition des ressources, une tendance à un essoufflement des projets, une insuffisance en matière d’orientation, de suivi, et d’évaluation ainsi que d’instruments de déploiement…», liste-t-il.

Le chantier de la création d’un mécanisme d’accompagnement des compétences

Pourtant, la protection des MDM, leur participation à la vie économique et sociale, ainsi que l’accessibilité, l’efficacité et l’équité en matière des services publics mis à leur disposition sont des constantes dans les Discours Royaux, soulignant la sollicitude particulière que le Souverain accorde à cette composante de la communauté nationale. L’année dernière, dans le discours du 20 août 2022, le Souverain a formulé une série de directives pour entreprendre un certain nombre de réformes nécessaires au sujet du dossier multidimensionnel des Marocains résidant à l’étranger. Il a ainsi appelé à questionner le bilan et la pertinence des législations et des politiques publiques dédiées à la Communauté marocaine à l’étranger, soulignant également la nécessité d’établir une relation structurelle suivie avec ces compétences, y compris avec les Marocains juifs. : «Nous devons nous poser en permanence les questions suivantes : qu’avons-nous fait pour renforcer le sentiment patriotique de nos émigrés ? Le cadre législatif en place et les politiques publiques tiennent-ils compte de leurs spécificités ? Les procédures administratives sont-elles adaptées à leurs attentes du moment ? Leur avons-nous assuré l’encadrement religieux et éducatif nécessaire ? Leur avons-nous apporté l’accompagnement requis et les conditions favorables à la réussite de leurs projets d’investissement?». Aujourd’hui, où en est-on dans la concrétisation des différentes dispositions prévues par le programme exécutif relatif à la mise en œuvre du contenu du discours royal ? Sur la question, nombreux sont les acteurs dans le domaine de la migration qui pointent du doigt la lenteur dans la mise en place de ce qu’ils considèrent comme une feuille de route.

Les MRE, une force de frappe financière

Les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE) constituent une manne financière d’une importance capitale pour l’économie nationale. Ils dépassent désormais les 7 % du PIB, avec un montant de plus de 100 milliards de DH en 2022. Si le volume de ces flux témoigne de la puissance du lien des MDM avec leur pays d’origine, leur poids structurel dans les équilibres macroéconomiques est porteur de défis lourds : ces flux et leur potentiel de croissance sont exposés à des risques de durabilité dont l’évidence est soulignée par la gravité et la succession des chocs économiques ; la capacité du Maroc à en flécher la destination vers des activités productives et des investissements de long terme mérite aussi d’être questionnée. Ces interrogations deviennent cruciales au regard du climat d’hostilité aux migrations qui se développe un peu partout dans le monde, et au regard aussi de la modification, à travers les générations, du rapport des MDM aussi bien à leurs pays d’accueil qu’à l’égard du Maroc.

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Cette manne financière primordiale pour l’économie nationale est par exemple menacée par un projet de directive de l’Union européenne. Ladite directive prévoit d’interdire aux banques étrangères non établies dans l’Union européenne (UE) d’offrir directement des services bancaires de leur pays d’origine à leurs clients résidant dans les pays de l’UE. A cela, s’ajoute le débat actuel sur les échanges automatiques de renseignements relatifs aux comptes financiers avec les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE- dont les membres sont des pays développés pour la plupart-), qui refait surface au Maroc; soulevant à nouveau un vent de panique parmi la communauté des MRE ayant des biens dans le Royaume. « D’après la section 2 de la convention, il s’agit de l’échange d’informations sur les divers avoirs financiers (comptes bancaires, détention d’actions, intérêts et dividendes touchés), ainsi que le produit brut de la vente ou du rachat d’un bien versé ou crédité sur le compte au cours de l’année civile ou d’une autre période adéquate. L’accord précise à la section 5 qu’il doit y avoir le respect de l’obligation de confidentialité pour toutes les informations échangées, mais chacun comprend que dans ce qui pourrait être considéré comme l’intérêt national d’un pays, ces données peuvent circuler entre diverses administrations de ce même pays, y compris pour des objectifs non fiscaux», explique Abdelkrim Belguendouz, Professeur universitaire et Chercheur en matière de migration.

L’entrée en vigueur de cette convention sur l’échange des données fiscales, que le Maroc avait signée en juin 2019, a été discutée au Parlement le mardi 18 juillet. Quelle marge de manœuvre pour le gouvernement marocain? Le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita, a rassuré tout le monde à l’issue de la séance législative. Il a souligné que le Maroc, tout en étant engagé dans l’effort international visant la lutte contre l’évasion fiscale, le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent, ne peut entreprendre aucune action susceptible de porter atteinte aux droits de la communauté marocaine à l’étranger, qui jouit d’une attention particulière de SM le Roi Mohammed VI. Sa déclaration fait suite à la décision à l’unanimité du report du vote de deux projets de loi portant approbation, respectivement, de l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays et de l’accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, paraphés par le Royaume du Maroc le 25 juin 2019. Le gouvernement a suivi de près le débat suscité par certaines dispositions de ces conventions, notamment auprès des membres de la communauté marocaine à l’étranger, «qui ont formulé des interrogations légitimes et un certain nombre de craintes, ainsi qu’un ensemble de remarques pertinentes», a indiqué Bourita. Les dispositions de ces accords suscitant le débat feront l’objet, si nécessaire, d’une explication pour lever la confusion et éviter toute mauvaise interprétation dans le futur, a assuré le ministre, ajoutant que le gouvernement est disposé à «apporter davantage de garanties en faisant en sorte, le cas échéant, d’introduire des modifications sur certaines clauses».Dans ce sens, Bourita a noté que le gouvernement a réagi de manière positive au report du vote de ces deux projets de loi, en vue d’apporter davantage de précisions à ces accords ou de les renégocier. «Toutes les questions touchant à la communauté marocaine résidant à l’étranger sont importantes et l’ensemble des craintes et remarques doivent être prises en considération», a-t-il insisté, affirmant qu’aucune convention «ne peut être approuvée avant de s’assurer que toutes les garanties sont réunies et que les droits de la communauté marocaine à l’étranger ne souffriront d’aucune atteinte ».

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Mais pour Mohamadi El Yacoubi, Président du Cercle des fiscalistes du Maroc, «les conventions fiscales internationales ont une supériorité sur les lois internes. Les pays sont contraints de modifier leurs lois pour s’y conformer». A noter, que c’est surtout les MRE qui ne mentionnent pas dans leurs déclarations fiscales les comptes bancaires et les avoirs détenus au Maroc, qui sont inquiets. Car, avec une telle disposition, ils risquent de contrevenir aux lois des pays d’accueils. L’échange automatisé des données bancaires pourrait alors les mettre dans une position délicate vis-à-vis de l’administration fiscale du pays de résidence.  Malgré tout, le désir d’émigrer persiste, vers de nouveaux horizons, notamment en direction de l’Amérique du Nord, et avec une segmentation croissante de la population marocaine migrante, majoritairement jeune, de plus en plus féminisée, diplômée, laborieuse au point d’accepter souvent des positions sous-qualifiées. Si la population marocaine émigrée compte de brillants succès, aux compétences de rang mondial dans de nombreux secteurs, elle comprend aussi de larges catégories vulnérables, dont une partie difficile à estimer est dépourvue de titres de séjour.

 
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