Consommation

Sacré Ramadan. Quand le jeûne devient synonyme de gaspillage

A l’arrivée de chaque Ramadan, le quotidien des citoyens se trouve plus que jamais refaçonné par une frénésie de consommation qui vire souvent au gaspillage. Cependant, discrètement, des fissures lézardent l’apparente boulimie de ce mois sacré avec de plus en plus de Marocains qui refusent de se laisser entraîner dans la spirale consommatrice.

L’ouverture en série de supermarchés et la pullulation de souks informels dans les quartiers sans oublier les bousculades de rigueur, sont sans doute le symbole le plus évocateur de l’avenir à la fois prometteur d’une économie en croissance, mais également l’indicateur le plus certain d’une frénésie de consommation qui touche désormais toutes les couches de la société, un phénomène qui atteint des proportions énormes avec l’avènement du mois du jeûne. Ce phénomène qui explose en ce mois béni est déjà bien ancré dans les mentalités des Marocains, puisque les estimations du Programme des Nations unies pour l’environnement, parlent de 3.319.524 tonnes de nourritures qui sont mises à la poubelle au Maroc, soit 91kg par habitant, par an avec une augmentation notable de ces chiffres pendant le Ramadan.

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Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), pendant la période du Ramadan, pas moins de 84,4% des foyers marocains jettent de la nourriture préparée et pourtant propre à la consommation. Si ce gaspillage alimentaire impacte gravement la santé des citoyens et l’environnement, il représente également un poids économique énorme. Gaspiller de la nourriture, c’est aussi s’attaquer aux réserves en ressources naturelles, à commencer par l’eau. Pour un pays comme le Maroc qui vit désormais sous la menace d’un stress hydrique permanent, les enjeux sont de taille puisque le gaspillage de la nourriture, qui impacte directement les trois ressources les plus gaspillées que sont l’énergie, le carburant et l’eau, de ces trois éléments, l’eau, qui est essentielle à toutes les étapes de la production alimentaire, quel que soit le type d’aliment produit, qui est la plus touchée.

Chaque année, ce sont ainsi des millions de mètres cubes d’eau, qui sont utilisés pour produire des aliments qui passeront directement à la poubelle faute d’avoir jamais été consommés.
L’exemple que citent souvent les ONG qui luttent contre le gaspillage alimentaire, est celui de la production d’un kilogramme de bœuf qui équivaut à une perte sèche de 50 000 litres d’eau qui ont servi à produire des aliments nécessaires à la nourriture du bétail.

De même, verser un verre de lait dans l’évier revient à jeter près de 1 000 litres d’eau dans les égouts. Sans oublier les énormes quantités de carburant et autres combustibles fossiles qui sont également indirectement gaspillées pour acheminer des aliments qui vont se retrouver dans la décharge publique, entraînant une fois de plus la production du méthane, ce puissant gaz à effet de serre qui est 25 fois plus dangereux que le dioxyde de carbone et que libèrent ces décharges.

Quelles solutions pour lutter contre le gaspillage alimentaire?
Heureusement, le gaspillage n’est pas une fatalité et il est toujours possible de freiner, voire stopper le gâchis. A condition bien sûr, de savoir que le gaspillage alimentaire n’est pas uniquement le fait des citoyens, mais le gros des décharges publiques provient plutôt des industriels et des spécialistes de la grande consommation, restaurants et autres hôtels. Sur ce plan, les solutions anti gaspi sont très timides puisque seuls quelques supermarchés, permettent de manger anti gaspi et à petit prix en mettant à disposition des produits dont la date de péremption est proche. Restent les boulangeries, épiceries, hôtels, cafés, et autres restaurants qui sont souvent obligés de se débarrasser des invendus ou des excédents de stocks de leurs produits frais.

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On peut aussi déplorer le fait que sur le plan législatif peu d’initiatives aient été lancées dans ce sens. On peut citer la fameuse loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC), qui impose aux secteurs de la distribution alimentaire et de la restauration collective une réduction du gaspillage alimentaire de 50% par rapport à 2015 et ce, d’ici 2025, à qui on a rajouté cinq ans de plus, d’ici à 2030, pour se mettre à niveau mais pour créer une dynamique vertueuse pour les entreprises concernées, il va falloir repasser.

Pourtant, les vénérables représentants du peuple pourraient s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, ne fut-ce qu’en France où les parlementaires ont voté quatre lois qui préconisent les mesures phares comme le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, la loi Garot ou loi anti-gaspillage alimentaire, la loi Egalim ou encore la loi AGEC pour une économie circulaire. On peut néanmoins louer le travail effectué au quotidien par des Startups Marocaines qui luttent contre le gaspillage alimentaire. L’application marocaine Foodeals, permet ainsi d’apporter une solution pérenne au gaspillage alimentaire en connectant les utilisateurs aux restaurants, aux hôtels, ou encore aux pâtisseries pour acheter des produits à bas prix. Quant au mois du Jeûne, il faut être conscient qu’avec le Ramadan, la consommation alimentaire augmente d’environ 50% de son niveau habituel.

Un changement comportemental que confirme le Haut-Commissariat au Plan qui précise que le temps consacré aux courses ménagères s’allonge d’environ 45 minutes, par rapport aux autres périodes de l’année. Résultat, chaque ménage mettrait l’équivalent de 600 DH à la poubelle en cette période. Si l’explication est claire, «ventre affamé n’ayant point d’oreille», le seul moyen de s’attaquer à la surconsommation de nourriture ( le fait d’acheter et de manger trop d’aliments par rapport à nos besoins réels) durant ce mois béni réside dans la sensibilisation aux préceptes de l’Islam, dont le premier est l’obligation de ne pas contribuer au gaspillage quelle que soit la matière gaspillée.

Sensibiliser les Marocains au fait que l’action de jeûner, dans son acception renvoie au concept de l’abstinence en quête de l’élévation de l’esprit, c’est les convaincre que l’action de Jeûner ( en arabe, signifie se priver, se retenir de …) est synonyme de renoncement, par piété, aux boissons, à la nourriture, aux relations sexuelles pendant la journée mais c’est aussi prôner l’abstinence en tout état de cause, afin de s’élever spirituellement pour atteindre la piété. Même s’il existe un nombre de bienséances attachées au jeûne, le Coran lui-même insiste sur la modération en matière de nourriture et de boisson en toutes circonstances «mangez et buvez; et ne commettez pas d’excès, car Il [Allah] n’aime pas ceux qui commettent des excès.»

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Mais la question se pose aussi d’un point de vue économique. Peut-on contraindre les gens à ne plus gaspiller des denrées alimentaires ? C’est contraire à la morale? Comme ce n’est pas la morale qui régule le marché ; c’est plutôt la loi de l’offre et de la demande, la question reste posée. Certains analystes considèrent que la «majorité silencieuse» des Marocains rêve d’un retour à la normalité des années 60 où la frugalité était de rigueur, en ignorant pour l’essentiel de l’évolution d’une société dominée par les voix bruyantes en faveur de la consommation tous azimuts, mais en réalité, ces voix restent minoritaires, le gaspi n’étant ni plus ni moins qu’une corrélation étroite et logique entre la hausse du niveau de vie et l’élargissement des besoins primaires vers des besoins plus superflus.

 
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