Textile : l’équation complexe !
Depuis l’avènement du Covid et des crises qui ont suivi, le secteur demeure dans une croissance mitigée. Entre maintien de la croissance et problèmes structurels, les défis semblent énormes…
Les externalités économiques de la crise liée au coronavirus, ainsi que le choc de la guerre en Ukraine, ont laissé des traces sur les différents leviers de l’économie marocaine. Après le tourisme, qui tant bien que mal essaye de retrouver son éclat d’antan, le secteur du textile, de son côté, cherche le chemin d’une croissance pérenne. Rappelons que ce secteur sort d’un véritable séisme qui a ébranlé son activité.
« La crise sanitaire liée au Covid-19 a, en fait, accentué une tendance baissière du secteur du textile et de l’habillement, enclenchée depuis 2016. La baisse de régime était réelle, malgré la volonté affichée par les pouvoirs publics de le soutenir, vu son caractère de premier contributeur à la création d’emplois industriels (près de 160.000) et de fort pourvoyeur de devises (3e rang national). Le secteur a été doublement affecté par la crise Covid-19. D’abord en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement des unités industrielles en intrants en provenance de l’Asie (principalement de Chine), puis par l’annulation de plusieurs commandes de grands clients européens (donneurs d’ordre espagnols et français) », révèle une étude de l’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS), intitulée « La chaîne de valeur du textile-habillement marocain à l’épreuve du Covid-19 ». Ensuite, en raison de la crise en Ukraine qui a plongé le monde dans une bulle inflationniste, le secteur a également été touché par les externalités négatives de cette conjoncture.
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La hausse des coûts du transport, additionnée à celle des matières premières, a mis les opérateurs dans une situation inconfortable. Côté clients, on a assisté à une flambée des prix des produits d’habillement, gâchant au passage les opérations de grandes braderies censées redonner une bouffée d’oxygène aux opérateurs. Pour Anass El Ansari, Président de l’AMITH, le spectre de l’inflation est une épée qui menace toujours la santé du secteur. « Les coûts de production, notamment ceux des matières premières, de l’énergie et de la main-d’œuvre, peuvent augmenter à tout moment, réduisant ainsi nos marges bénéficiaires. Nous devons par conséquent mettre en œuvre des mesures pour réduire les coûts et améliorer notre efficacité opérationnelle », prévient-il. Et de poursuivre : « Nous devons également faire face à une concurrence accrue de la part de pays à faible coût de production, tels que la Chine, le Bangladesh et le Vietnam. Il est crucial pour nous de renforcer notre compétitivité en améliorant l’efficacité, la qualité et l’innovation. »
En plus des externalités découlant du contexte, le secteur est, de façon systémique, confronté à d’autres problématiques souterraines.
L’informel, un volcan endormi
« Le secteur informel représente toujours une part importante de l’économie marocaine. Il couvre une grande diversité d’activités, d’acteurs et de situations et ne peut donc pas être considéré comme un ensemble homogène. Si certains arrivent à en tirer un profit substantiel, la grande majorité des travailleurs de l’informel vit dans la précarité, évoluant parfois d’un univers à l’autre », explique la Chambre Française de Commerce et d’Industrie du Maroc dans l’un de ses numéros de sa revue mensuelle Conjoncture. Selon cette institution, en se basant sur une étude de la CGEM consacrée à l’économie informelle et à ses impacts sur la compétitivité des entreprises, ce secteur pèse plus de 20 % du PIB hors secteur primaire, ce qui représente 170 milliards de dirhams par an et pas moins de 30 milliards de dirhams comme manque à gagner fiscal.
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Une étude qui conforte les résultats d’études du Haut-commissariat au Plan (HCP). Cette dernière révèle que le secteur du commerce constitue le plus gros de l’informel (31,76 %), suivi par la restauration, l’hôtellerie et les services à la personne (16,47 %), les activités industrielles et artisanales (14 %) et le BTP (12,94 %), qui emploie 2,6 millions de personnes. D’autre part, le rapport de la CGEM énumère aussi les conséquences de l’informel sur l’économie formelle : le manque à gagner fiscal (IS, TVA et droits de douane), le gap de compétitivité prix, la pression négative sur les prix de marché, la perte de chiffre d’affaires, ainsi que les risques inhérents au secteur (règles d’hygiène non respectées…). Contacté par Challenge, l’économiste expert en commerce extérieur Nabil Benboubrahim explique qu’on ne peut, aujourd’hui, supprimer l’informel. « L’État doit réfléchir à des mécanismes comme celui de l’auto-entrepreneur pour intégrer ces acteurs qui sont en marge ». Et d’ajouter : « Ces acteurs fuient les taxes, l’État doit les rassurer et faire le nécessaire pour les intégrer. » En plus de ces défis de grande envergure, le secteur fait face à un autre, notamment la question de la concurrence nationale.
Croissance ou résilience ?
Avec ses 200.000 emplois, le textile essaye tant bien que mal de dépasser le dérèglement des chaînes d’approvisionnement dû au Covid-19 et à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. À fin novembre 2022, les exportations du secteur ont dépassé 34 milliards de dirhams, affichant une croissance à deux chiffres par rapport à la même période en 2021. Et même si le moral des opérateurs semble positif, certains acteurs demeurent sceptiques. « Il est difficile de parler de croissance aujourd’hui. Le secteur du textile, à la différence des autres secteurs, a toujours affiché une performance en dents de scie », prévient l’économiste. Du côté de l’AMITH, l’heure est à l’assurance.
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« En tant que Président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH), je pense que la croissance du secteur textile au Maroc peut être pérenne malgré les crises si nous continuons à nous investir dans l’innovation, la diversification des marchés, la formation et le développement durable pour assurer une croissance durable. Une collaboration étroite entre les acteurs du secteur et le gouvernement, ainsi que des partenariats stratégiques, sera également cruciale pour le succès à long terme de l’industrie textile au Maroc », martèle Anass El Ansari.
Par ailleurs, dans ce contexte de compétitivité et de souveraineté visant à positionner le secteur dans les chaînes de valeur mondiales, l’économiste, à travers un plaidoyer, invite les élites à d’abord définir le segment dans lequel ils souhaitent être compétitifs. Ensuite, il les encourage à monter en gamme, à aller vers une offre plus sophistiquée. Il insiste également sur le développement du concept de la préférence nationale : « Les commandes publiques de l’État doivent se diriger davantage vers les opérateurs locaux. » Le Président de l’AMITH a quant à lui appelé au renforcement de l’accès au financement. « Le financement peut être un défi, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME) de notre secteur. Il est important de faciliter l’accès au crédit et aux investissements pour soutenir la croissance et l’innovation. »
La ZLECAf, une bouée de sauvetage
« La nécessité de s’insérer dans une logique d’intégration du secteur à travers une chaîne de valeur régionale complémentaire et compétitive est aujourd’hui une priorité majeure qui va déterminer la survie du textile national », explique une étude de l’IMIS, intitulée La chaîne de valeur du textile-habillement marocain à l’épreuve du Covid-19. Selon les experts, les négociations dans le cadre de la ZLECAf pourront favoriser le positionnement du Maroc dans une chaîne de valeur régionale avec des imbrications entre les pays africains et l’Union européenne. Elle offrira aussi des opportunités pour le Maroc en vue de marquer un tournant majeur dans le schéma d’insertion, en cherchant à profiter des complémentarités avec les pays européens, les pays de l’Accord d’Agadir, ainsi que les pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est.