Dossier

Les seniors marocains: un marché à conquérir [Infographies]

Les chiffres sont sans appel : les plus de 60 ans sont aujourd’hui 4,8 millions et seront 10 millions en 2050, soit 1 Marocain sur 4. Du point de vue économique, les enjeux de cette transition démographique sont colossaux et ce que l’on nomme la Silver Economie où l’économie des séniors passera de 100 milliards de DH actuellement, à plus de 640 milliards de DH. Le Royaume est-il préparé pour ce changement démographique et social ? Quel modèle marocain pour faire face aux enjeux de l’économie des séniors ?

Représentant 9,4% de la population en 2014, soit 3,2 millions de personnes, les séniors marocains (population de 60 ans et plus) sont aujourd’hui 4,8 millions, soit à 12,7%. A ce rythme impressionnant, l’effectif des Marocains de plus de 60 ans serait multiplié par 3 passant de 3,2 millions en 2014 à 10,1 millions, avec une part dans la population qui pourrait atteindre 23,2% en 2050, d’après les projections établies par le Centre d’Etudes et de Recherches Démographiques (CERED) du Haut-commissariat au Plan (HCP).

Une situation résultant d’une transition démographique rapide (voir encadré) avec une baisse de la mortalité et une espérance de vie qui atteindrait 80,4 ans en 2050 contre 76,8 ans en 2022, soit un gain en espérance de vie d’environ 3,6 ans, mais aussi une fécondité qui est tombée en moins de 30 ans à 2,2 enfants, soit un peu plus que le seuil minimal de reproduction de la population (2,1). «Le recensement général de la population et de l’habitat, prévu en septembre prochain devrait confirmer l’accentuation de la transition démographique que connait depuis des années le Maroc. Elle est marquée par l’évolution de l’urbanisation, la hausse de l’espérance de vie et la baisse de la fécondité», souligne Abdeslam Touhami, Economiste.

Pour cet expert, l’essor de l’urbanisation et le vieillissement de la population sont un événement inévitable au Maroc. «Ils ont marqué tous les pays développés, étant accentués par des conditions de vie meilleures, notamment au niveau de l’hygiène et de la santé. Le Maroc a connu une transition démographique rapide. Dans le dernier recensement, le taux de fécondité était situé autour de 2,2%. Dans le prochain, il devrait connaître une baisse à cause de plusieurs raisons, dont la hausse de l’âge moyen du mariage, l’utilisation à grande échelle des moyens de contraception et aussi la prise de conscience de la planification familiale. Le Royaume a atteint le seuil limite de renouvellement de sa population. La population active aura un nombre insuffisant pour financer les retraites des seniors», analyse Abdeslam Touhami, précisant qu’avec déjà près de 13 % de proportion de la population marocaine âgée de plus 65 ans «le Maroc est presque entrée dans une société vieillissante».

Lire aussi | Al Barid Bank renforce son réseau international avec Ria Money Transfer

Incontournables au niveau démographique, les seniors le sont aussi sur le plan économique. Les derniers chiffres connus font en effet état d’un pouvoir d’achat impressionnant ! Selon les projections macroéconomiques de la DEPF et tenant compte des projections du CERED relatives aux perspectives d’évolution de la population nationale, la Silver Économie marocaine approchée par les dépenses de consommation des personnes âgées de 60 ans et plus, dispose d’un potentiel de progression de près de 7% en moyenne par an jusqu’en 2050, pour atteindre plus de 640 milliards de DH (soit 13% du PIB) contre 53 milliards de DH en 2014 et 100 milliards de DH en 2024. De ce fait, la catégorie d’âge de 60 ans et plus serait à l’origine de près de 22% des dépenses de consommation totales en 2050 contre 13,4% en 2014.
L’Observatoire Wafasalaf qui a étudié en décembre 2017 l’évolution des pratiques et des comportements de cette catégorie de la population marocaine nous apprend qu’au niveau des dépenses, la priorité des séniors marocains est accordée à l’alimentation (95%), la santé (82 %) et le logement (69 %).

Alors, les seniors marocains, un eldorado économique à conquérir ? Financement des systèmes de retraite et de santé, habitat, défi de la grande dépendance…, les craintes sont aussi nombreuses. Mais, loin d’être un fardeau, l’économie des séniors est de plus en plus appréhendée comme une filière d’avenir incontestée et une promesse d’un supplément de croissance et d’emplois. Elle englobe une multitude d’activités économiques liées à la production, à la consommation et au commerce de biens et de services intéressant les personnes âgées, ainsi que les effets directs et indirects de ces activités. Le Maroc n’est pas exclu du processus. C’est dire que l’activité économique nationale serait considérablement appuyée par la consommation de cette catégorie d’âge à condition que le Royaume réussisse à explorer et à exploiter pertinemment les opportunités liées à la Silver Économie. «La filière de la Silver économie foisonne d’opportunités de business et l’avenir s’annonce prometteur pour cette économie dont le potentiel reste sous-exploité. Et pour cause, la taille de ce marché continuera de progresser et de s’élargir durant les deux prochaines décennies, soutenue par la transition démographique que connaîtra le Maroc. Cette filière ne se limite pas à la dimension médico-sociale car ses domaines d’intervention concernent aussi l’habitat, les services financiers, les transports, les loisirs… », explique Adnane Tahiri, Enseignant-chercheur.
Beaucoup d’entreprises marocaines, qui ont compris très tôt le potentiel économique de ce nouveau marché, travaillent à l’élaboration de produits et de services adaptés aux séniors. A travers son Observatoire, Wafasalaf, par exemple, s’est penché sur la question depuis 2017 avec à la clé une étude qui met en avant la place des seniors dans la société, leur source de revenu, leur rapport à la retraite, leur mode de vie, leurs activités, leur santé, la fréquentation des médias et enfin comment ils gèrent leurs consommation, dépense et équipement. Depuis, le leader marocain du crédit à la consommation dédie des produits à cette catégorie de la population.

D’ailleurs, le chiffre le plus alarmant sorti de ce rapport est celui du nombre de seniors qui n’étaient pas préparés à la retraite. Bien qu’il s’agisse d’une étape cruciale dans la vie d’une personne, l’étude a démontré qu’une grande majorité (57%) n’a pas préparé sa retraite. Seuls 43% des concernés l’ont fait et ce, parfois, avant l’âge de 40 ans. «La sécurité financière des personnes âgées dépend fortement de la qualité de leur couverture retraite. La planification financière et les stratégies d’épargne précoces permettent de la renforcer. », souligne Youssef Chalach, Directeur du Pôle Stratégie ALM, Actuariat, et Finances – Branche Épargne – Prévoyance de la CDG.

Lire aussi | Une banque marocaine impliquée dans un transfert de fonds avec une autorisation falsifiée

Pour Moulay Abdelmalek Mouatadid, Directeur Général de Maroc Assistance Internationale, également, « en tant que leader de l’assistance au Maroc, Maroc Assistance Internationale porte un intérêt particulier au marché des seniors, et représente un maillon logistique fort au sein de l’écosystème de la Silver Economie, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale».

Si aujourd’hui le marché de la Silver économie est conséquent au Maroc, le Royaume ne semble pas pour autant préparé pour ce changement démographique et social. Par exemple, le développement actuel du logement et de l’habitat, ne prend pas les personnes âgées en considération. En effet, à l’instar des changements de mode de vie de la société, le logement et l’habitat en milieu urbain connaissent des évolutions défavorables aux personnes âgées : une évolution vers le logement en appartement qui pose souvent le problème de l’exiguïté et d’accessibilité et ne favorisent pas la cohabitation intergénérationnelle.

Des valeurs marocaines à prendre en compte
Mais si la question des maisons pour personnes âgées se pose actuellement avec acuité, il n’en demeure pas moins que la présence de lieux d’accueil pour seniors n’est pas tout à fait admise socialement au Maroc, même si les familles seront de plus en plus incapables de les prendre en charge. Feu S.M. le Roi Hassan II avait affirmé, à ce sujet, que «le jour où l’on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition». Avec ces paroles cultes, le défunt Souverain voulait mettre en valeur l’esprit fort de solidarité qui marque la famille marocaine depuis des siècles. Si dans les pays européens, le transfert d’une personne à une maison de retraite est jugé normal, au Maroc ce geste est considéré comme honteux pour la communauté, surtout pour les enfants qui optent pour cette solution. Mais la donne a beaucoup changé. La transition démographique a été accompagnée par des bouleversements économiques et sociaux qui ont modifié la physionomie de la société marocaine. Plus de quatre-vingt centres d’accueil pour personnes âgées ont déjà vu le jour sur tout le territoire du Royaume. Avec une capacité totale de près de 6.000 personnes, ces établissements n’assurent pas toutes les demandes. Il faut dire que jusque-là, il n’y a pas de dispositif juridique encadrant ce domaine.

Aujourd’hui, le Maroc se prépare à lancer un écosystème dédié aux établissements de protection sociale, qui englobent non seulement les personnes âgées, mais également les orphelins, les sans-abris et les mendiants. Le projet de loi n 65-15 relatif aux établissements de protection sociale ouvre de nouvelles perspectives pour ce domaine. Des textes d’application sont promulgués ouvrant la possibilité au privé d’ouvrir ce genre de centres. Ces textes ont prévu également des cahiers de charges régissant leur règlement interne afin de définir les habilitations de chaque établissement pour en finir avec les mélanges des catégories. «Si notre modèle français s’intègre bien dans le fonctionnement de la France, il n’est pas transposable dans un pays qui n’a pas d’EHPAD et ne veut pas en construire», estime Alexandre Faure, CEO de Sweet Home, un cabinet conseil français qui aide les entreprises de la Silver économie à trouver des partenaires stratégiques pour booster leur croissance. Quel modèle marocain alors pour faire face aux enjeux de l’économie des séniors ?

Lire aussi | Aïd Al-Adha : La CMR annonce le versement des pensions de retraite à partir du 13 juin

Aujourd’hui, beaucoup de chemin reste à parcourir pour créer un véritable écosystème autour de la Silver Economie et qui regroupe à la fois les secteurs public et privé, incluant notamment les organismes de protection sociale, le secteur associatif, les entreprises à but lucratif, et les professionnels du secteur médico-social. Un Marocain qui atteint l’âge de 60 ans a en moyenne près de 25 ans encore à vivre. Ce qui constitue une nouvelle étape de la vie et non pas la fin d’une vie.

Régimes de retraite (133 seniors pour 100 jeunes de 15 ans et moins à l’horizon 2050), système de santé, habitat, services d’accompagnement des seniors, les enjeux sont énormes. Gouvernement et collectivités locales, entreprises privées, organismes de protection sociale, secteur associatif, professionnels du secteur médico-social…, il revient aujourd’hui à tous ces acteurs de mieux cerner les attentes en proposant des solutions innovantes inspirées des meilleures pratiques mondiales, mais qui tiennent compte surtout des valeurs marocaines et des spécificités sociaux-économiques du Royaume.

Une transition démographique rapide
Le Maroc est en phase de vivre une transition démographique. Selon la Direction des études et des prévisions financières (DEPF), celle-ci est marquée notamment par plusieurs phénomènes. A commencer par la baisse de la mortalité et les progrès de la longévité qui en découlent : cette tendance devrait entraîner un vieillissement par le sommet de la pyramide des âges. En effet, l’espérance de vie atteindrait 80,4 ans en 2050 contre 75,6 ans en 2014, soit un gain en espérance de vie d’environ 4,8 ans.
Pour les experts de cette Direction relevant du ministère de l’Economie et des Finances, la baisse de la fécondité contribue également à cette transition démographique rapide, comme en témoigne le recul de l’indice synthétique de fécondité qui pourrait avoisiner 1,84 en 2040 contre 2,2 en 2014. «La baisse de la fécondité conjuguée aux progrès enregistrés et attendus de la longévité, seraient en mesure d’engendrer un rétrécissement de la base de la pyramide des âges et son aplatissement au centre », notent-ils dans un rapport intitulé «La Silver économie au Maroc, un enjeu économique et de société aux multiples opportunités: d’innovation, d’entrepreneuriat et d’inclusion ».
Outre la multiplication par 3 de l’effectif des 60 ans et plus (ce segment de la population avoisinerait près de 10,1 millions de personnes en 2050), le Maroc connaitrait selon la DEPF, une forte progression du rapport de dépendance des personnes âgées, qui passerait de 15,1% en 2014 à près de 25% au milieu des années 2030 pour avoisiner le seuil de 40% vers 2050.

 
Article précédent

Le gouvernement a doublé les investissements publics "à des niveaux records", assure Akhannouch

Article suivant

Mohamed Lahbabi: «Les produits à base de cannabis doivent être encadrés par des professionnels de santé qualifiés»