Interview

Yasmina Asrarguis sur le conflit au Proche-Orient: « Pour faire la paix, il faut des hommes et femmes de paix »

Yasmina Asrarguis, spécialiste du Moyen-Orient, revient dans cette interview sur les échecs du processus de paix israélo-palestinien tout en évoquant des pistes de sortie de crise.

Challenge.ma. À la lumière du contexte actuel, quel regard portez-vous sur les accords d’Oslo ?

Yasmina Asrarguis. Les négociateurs des Accords d’Oslo, en particulier Yossi Beilin, m’ont indiqué en janvier 2024 que l’attentat contre Yitzhak Rabin demeure l’évènement le plus traumatique de leurs carrières diplomatiques, tant la double perte d’un homme de paix et du processus de paix qui va avec est venue chambouler leurs espoirs. Pour citer Yossi Beilin, iniateur israélien des Accords d’Oslo, « pour parvenir à un accord de paix, il faut des gens comme Sadate, comme Abou Mazen, comme Rabin, comme Peres, qui sont prêts à risquer leur vie pour faire la paix». Selon lui, la violence et le terrorisme qui ont commencé en février 1994 puis les multiples attentats suicides du Hamas ont créé une atmosphère très sombre visant précisément à empêcher la partition de la terre et la solution à deux États.

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Doit-on repartir de zéro ?

Aujourd’hui, la région Moyen-Orient Afrique du Nord a besoin d’acteurs de paix et de leaders suffisamment courageux pour prendre le risque de faire la paix, de défendre une solution à deux états et de donner dignité et la sécurité à la fois aux Palestiniens et aux Israéliens. En plus du travail de négociations diplomatiques, lutter contre la haine et la violence demeure l’inconditionnel prérequis afin de garantir une paix possible sur le long-terme, entre deux peuples qui se connaissent et peuvent vivre côté à côté si les décideurs font le nécessaire pour apaiser les tensions et garantir la stabilité, la prospérité et la paix dans la région.

Quel modèle diplomatique faut-il prôner pour construire la paix ?

Comme l’indique mon rapport pour le Prix Charlemagne « the Holy Grail of Middle East Peace », la paix peut suivre le modèle de négociations et de diplomatie de paix des Nations Unies. Qui nous a permis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale d’éviter une nouvelle guerre mondiale. Néanmoins, comme le proposent des personnalités de paix comme le groupe de Palestiniens, dirigé par l’avocate Hiba Husseini, le modèle de paix conduisant à une solution à deux états pourrait également bénéficier des enseignements de l’Union européenne et s’inspirer du modèle de Confédération. Ce type de coopération permet de coexister avec son voisin et de trouver des solutions aux problèmes. Une Confédération permet de conserver l’État juif et l’État palestinien selon Yossi Beilin, également favorable à cette idée. 

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La paix n’est-elle pas aujourd’hui un argument idéologique (le mythe de la bonne conscience) ?

Il ne peut y avoir d’avenir pour la région sans paix durable entre Israéliens et Palestiniens et l’ensemble des capitales arabes sont convaincues de cette réalité et du destin lié qui lient leur prospérité civilisationnelle et économique à celle des autres peuples de la région. La paix n’est un mythe que pour ceux qui n’y voient aucun intérêt. 

Est-ce que cette problématique ne met pas au grand jour une crise de la diplomatie de paix ?

La diplomatie de paix n’est pas immuable aux calendriers politiques et électoraux des leaders en première ligne. Dans son livre « Art de la Paix », Ueshiba nous rappelle en effet que la négociation et la paix reposent sur la compassion, la sagesse, l’absence de peur, ainsi que sur l’amour de la nature et de l’altérité. Le chemin vers la non-violence est une victoire de la vertu sur des sentiments et instincts primitifs qui peuvent bien souvent guider les décisions politiques. La diplomatie de paix doit donc revenir à l’essentiel et s’armer de façon normative, mais pour cela il demeure essentiel d’identifier et de travailler avec des hommes et femmes de paix.

YASMINA ASRARGUIS, chercheuse spécialisée dans les Accords d’Abraham et les normalisations israélo-arabes à l’Université de la Sorbonne-Nouvelle, membre de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Diplômée de Sciences Po Paris en Master de Sécurité Internationale, du Cabinet des Nations Unies et de la cellule diplomatique du président Emmanuel Macron, elle possède une grande expertise dans les enjeux de paix et de stabilité au Moyen-Orient. Actuellement, elle documente les reconnaissances et les coopérations bilatérales entre Israël et les pays arabes signataires des Accords d’Abraham. Global Shaper au Forum Économique Mondial, elle a notamment reçu le Prix Peter Throughton en 2018 pour son étude de terrain sur l’islamisme en France. De 2015 à 2017, elle a également travaillé avec le mouvement OneVoice et le projet Aladdin de l’UNESCO, qui promeuvent tous deux le dialogue inter-religieux en zone euro-méditerranéenne.

 
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