Taxe professionnelle: l’impôt qui taxe l’investissement

La Taxe professionnelle (TP) est un impôt local assis sur la valeur locative de tous les éléments servant à l’exercice d’une activité professionnelle. Cet impôt, qui ne tient compte ni du chiffre d’affaires, ni des bénéfices effectivement réalisés par l’entreprise, est souvent perçu comme un obstacle à l’investissement. En même temps, il a un rôle budgétaire crucial en tant que source de recettes, stable, prévisible et pérenne pour les collectivités territoriales et leur assure 10% de leurs recettes fiscales.
Au Maroc, la TP est un impôt qui touche les personnes physiques et morales exerçant une profession, une industrie ou un commerce. Elle est établie sur la valeur locative (VL) annuelle brute, normale et actuelle des magasins, boutiques, usines, ateliers, hangars, chantiers, lieux de dépôts et de tous locaux, emplacements et aménagements servant à l’exercice des activités professionnelles imposables. C’est la loi 47-06 sur la fiscalité locale, promulguée en 2007, qui a rebaptisé l’ex “impôt de patente” en TP et qui a introduit plusieurs modifications techniques dans le but de simplifier cet impôt, telle la réduction du nombre des taux à trois tranches (10%, 20% et 30%), la limitation de la VL à 50 MDH, la diminution des taux de calcul de la VL à 3%, l’actualisation de la classification des activités, etc…
La TP reste un impôt local, à caractère direct, géré par l’Etat par l’entremise de l’Administration fiscale et dont les recettes sont rétrocédées aux communes. L’imposition est effectuée à l’endroit où l’activité a lieu physiquement, c’est-à-dire dans la zone où se trouvent les installations, les équipements et les infrastructures de production de l’entreprise. Ce lien direct entre l’emplacement physique et la responsabilité fiscale vise à garantir le financement autonome des communes, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis des transferts de l’État.
Toutefois, en dépit de son importance pour les CT, cette taxe comporte un péché originel de par sa conception. Lorsqu’une entreprise réalise un investissement conséquent, qu’il s’agisse de l’acquisition de terrains, de bureaux, de machines ou d’autres immobilisations corporelles, la TP prend comme assiette additionnelle les coûts de ces biens. La TP pénalise ainsi les entreprises qui investissent le plus et semble donc constituer un frein à l’investissement et à la compétitivité des entreprises.
Autre limite, les modalités de calcul de l’assiette de cette taxe engendrent des disparités sectorielles. Certains secteurs, notamment numériques, nécessitent peu d’investissements en locaux ou équipements et génèrent pourtant des revenus importants. Ces entreprises, selon la logique actuelle, paient une TP faible du fait de leurs faibles immobilisations corporelles. À l’inverse, les entreprises intensives en main-d’œuvre et nécessitant de vastes locaux et équipements se voient lourdement imposées, même si leurs marges bénéficiaires restent modestes.
Par ailleurs, la TP étant basée sur la VL des actifs corporels immobilisés divers acquis à des périodes différentes, elle implique souvent des calculs complexes s’appuyant sur des tableaux de tarifs, des coefficients décroissants, diverses catégories d’activités et plusieurs régimes d’exemption. Cette complexité liquidative engendre une divergence de son calcul entre le contribuable et l’administration fiscale, ce qui fait de cette taxe la principale source de contentieux fiscal. Le dernier rapport annuel de la Direction Générale des Impôts (DGI) indique que la TP représente 20% des dossiers de contentieux constitués en 2024, devançant de loin les autres impôts. De même, cette taxe génère une accumulation persistante de créances fiscales impayées qui sont passées de 2,1 MMDH en 2004 à 8 MMDH de restes à recouvrer (RAR) en 2024. Ce problème provient de cette inadéquation entre la base d’imposition et les véritables capacités financières de certaines entreprises, ce qui accroit les litiges.
Face à ces dysfonctionnements, le patronat avait, à maintes reprises, appelé à la réforme ou la suppression de la TP qui pénalise l’investissement. Cette réforme s’impose comme une priorité pour le patronat, qui en fait un axe majeur des propositions fiscales à l’occasion de chaque projet de loi de finances. Les propositions de réforme plaident pour que la taxe soit basée sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) ou le chiffre d’affaires, plutôt que sur les investissements réalisés. Cette orientation serait plus logique et équitable, car la taxation devrait se fonder sur la valeur ajoutée créée par l’entreprise, et non sur ses actifs.
Il est donc nécessaire de mettre en place une réforme audacieuse qui associe justice fiscale, stimulation économique et solidarité régionale afin de rétablir la fiscalité locale comme un véritable instrument au profit du développement territorial durable. En France, la TP, considérée également comme un frein à l’investissement productif du fait de son assiette basée sur les actifs corporels et fixes, a été abolie en 2010 et remplacée par la Contribution économique territoriale (CET). Ce tournant marque une volonté de concilier financement local et efficacité économique, tout en assurant une forme de justice territoriale.
La pertinence de la réforme de cette taxe et le souci d’assurer un rendement adéquat pour les CT constituent un défi majeur pour l’Etat. En effet, la TP continue à jouer un rôle budgétaire crucial en tant que source stable, prévisible et pérenne pour les CT. Sa contribution aux ressources avoisine 10% des recettes fiscales communales. Au titre de l’exercice budgétaire 2024, les recettes de la TP se sont élevées, selon le Bulletin de statistiques des finances locales, à 3,9 MMDH pour les CT et 107 MDH pour le budget général de l’Etat, une sorte de rémunération pour l’effort de collecte. Elle demeure ainsi une taxe fondamentale dans l’architecture du système fiscal local, même si sa part relative semble diminuer au fil du temps, passant de 10 % en 2023 à 8,8 % en 2024.
