Chronique | Le Monde qui vient - Notes de lecture

Dans la tête de Xi Jinping, le «Président de tout» [Par Eric Besson]

Xi Jinping, le numéro 1 chinois, est probablement aujourd’hui l’un des deux ou trois hommes les plus puissants du monde. Certains diraient même, compte tenu de la longévité dont il bénéficie et dont sont privés les présidents américains, le plus puissant. Certes, la Chine qu’il dirige n’est encore que la deuxième puissance au monde, après les Etats-Unis d’Amérique, mais il en est, pour le peu que l’on sache des arcanes du pouvoir à Pékin, le seul maître à bord.

Il cumule les titres et fonctions suivantes : Président de la République, Secrétaire Général du Parti Communiste, Commandant en chef des forces armées, etc. Il est, comme le disent quelques Chinois ironiquement, « Président de tout ». Un Président qui bénéficie, de plus, de l’atout de la durée : au pouvoir depuis 2013, il n’a pas hésité à faire modifier la Constitution chinoise pour pouvoir s’octroyer un troisième mandat. Nul ne sait s’il vise à présent être nommé « Président à vie ». Le paradoxe est que nous ne savons en définitive pas grand-chose de lui alors que les itinéraires personnels, voire les psychologies, de nombre de Présidents américains, de Kennedy à Trump en passant par Nixon, Reagan, Clinton, Obama ou Bush père et fils, nous sont assez familiers. C’est cette lacune que vient combler un petit livre passionnant « Dans la tête de Xi Jinping », publié par les Editions Actes Sud en 2017, réédité et actualisé en 2023. Son auteur, le journaliste François Bougon, aujourd’hui chez Mediapart, a notamment couvert la Chine pour l’AFP puis pour Le Monde.

Comme l’auteur l’indique d’entrée, Xi Jinping est confronté à « un défi de taille : maintenir au pouvoir le parti auquel son père avait adhéré et pour lequel il avait combattu comme guérillero dans le nord-ouest du pays ; trouver un nouveau modèle économique plus respectueux de la santé des hommes et de l’environnement après trente années d’une croissance fondée sur la main-d’œuvre bon marché et les exportations ». Plusieurs affaires ayant terni la fin de la présidence de son prédécesseur, Hu Jintao, Xi Jinping y voit un danger mortel pour le Parti Communiste chinois et fera de la lutte anticorruption le socle de son action.  Xi Jinping s’est donné pour mission de sauver le parti hérité de son père et de ses pairs, en lui redonnant une légitimité idéologique à travers une synthèse entre les courants philosophiques chinois, le maoïsme et le nationalisme, et en combattant les « comportements déviants ». Xi Jinping, cinquième Président de cette République Populaire de Chine, a, selon l’auteur, frappé très vite les esprits : « Il possède exactement ce qu’il faut de personnalité et de brio pour avoir pu gravir sans encombre tous les échelons du Parti sans passer néanmoins pour un individu dangereux aux yeux de ses rivaux potentiels. Cette juste adéquation à un système et à une époque le rend particulièrement intéressant ». De fait, le portrait de Xi Jinping qui se dégage de ce livre est saisissant.

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Il faut d’abord revenir sur l’enfance d’un futur chef. Xi Jinping est « un prince rouge » car fils d’un révolutionnaire très proche de Mao, ce qui n’empêchera pas son père d’être victime, comme tant d’autres, d’une épuration politique en 1962. Lorsqu’il a 15 ans, Xi Jinping appartient à la génération de « jeunes instruits » que Mao fait envoyer à la campagne pour que les paysans puissent les « rééduquer ». De cette épreuve initiatique qui durera 7 ans et débutera dans des conditions difficiles et spartiates, vivant dans une « grotte » (en fait une maison troglodyte), Xi Jinping saura tirer parti et fonder une légende que la propagande diffusera à satiété. C’est dans le nord de la Chine, dans cette « Terre jaune » que l’on dit être le berceau de la civilisation chinoise, que Xi Jinping aurait forgé sa personnalité. Il s’est, selon ses propres mots, vite « adapté à la vie locale » et « intégré aux masses ». C’est à cette Terre jaune que Xi Jinping devrait ce que les médias chinois décrivent comme les traits dominants de sa personnalité : pragmatisme, confiance en soi, capacité à faire face aux difficultés, connaissance et proximité avec la Chine pauvre et rurale. Qualités auxquelles il faudrait ajouter quelques autres atouts selon l’auteur : « Xi Jinping dégage une forte personnalité et un pouvoir de séduction indéniable », et une « touche people » : Xi Jinping est marié à une célèbre chanteuse populaire chinoise et les images du couple souriant sont abondamment diffusées.

Ainsi structuré, le Président Xi peut s’attacher à son grand dessein : bâtir un « rêve chinois » (référence au « rêve américain » et petite provocation à l’endroit du grand rival), refaire de la Chine, à l’horizon 2049, une puissance dominante à l’échelle mondiale. Ce qui dans le langage un peu boursouflé des discours chinois se décline aussi en « grand renouveau de la nation chinoise », « qui laisse entrevoir un avenir radieux ». Xi Jinping est obsédé par la façon dont les Empires ou les puissances naissent, se développent, déclinent, meurent ou se voient reléguées au second rang. La chute de l’Union soviétique le hante. Il est mû par l’idée de ne pas reproduire ce que lui-même, et l’équipe qui l’entoure, estiment être les erreurs de Gorbatchev, qui, à leurs yeux, dans sa volonté de réforme, a précipité la chute et la dislocation de l’empire soviétique. Comme le note justement l’auteur, lors de l’accession au pouvoir de Xi Jinping, en 2012 à la tête du PC chinois, puis en 2013 à la présidence, les observateurs occidentaux avaient cru pouvoir évoquer l’émergence d’un « Gorbatchev chinois ». Or, « c’est un Poutine chinois qui a émergé », bien déterminé à faire mentir la prophétie de l’essayiste Fukuyama qui voyait en la chute de l’URSS une forme de « fin de l’Histoire », le capitalisme et la démocratie libérale n’ayant plus de véritables rivaux. Aux yeux de Xi Jinping, le communisme était loin d’avoir dit son dernier mot et il appartenait à la Chine de relever le flambeau.

Pour assurer cet « avenir radieux », « la Chine, sous Xi Jinping, est entrée dans une nouvelle phase de son histoire, après deux périodes distinctes qui couvrent une soixantaine d’années : trente ans de maoïsme et trente ans de socialisme de marché ». Voici donc venu le temps d’un « socialisme à caractéristiques chinoises », selon la formule qu’affectionne son leader. Xi Jinping s’appuie sur un Parti communiste fort de près de 100 millions d’adhérents (100 millions !) et le contrôle étroitement, comme en témoigne – scène incroyable – la façon humiliante dont son prédécesseur, Hu Jintao, a été sorti de la salle du congrès en 2022, accompagné, ébahi,  par deux huissiers sous les yeux d’un Xi Jinping de marbre.

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A ses yeux la bataille est d’abord idéologique.  Elle suppose d’abord un patriotisme, pour ne pas dire un nationalisme, puissant. Le récit popularisé par Xi Jinping et enseigné dans toutes les écoles chinoises revalorise les « 5000 ans de la grande civilisation chinoise » et, de façon originale, les associe à la « Longue marche » et « l’épopée de l’Armée rouge ». Les héros de la patrie sont célébrés avec force et malheur à qui les mettrait en cause : la loi et la Cour Suprême veillent à « protéger la dignité des personnages historiques ». L’autre facette de la grande habileté de Xi Jinping consiste à avoir réhabilité Confucius, jeté aux oubliettes après l’avènement de la République Populaire de 1949, sans craindre la coexistence avec une « pensée Mao Zedong » exonérée des « erreurs » du Grand Timonier et des dizaines de millions de victimes qu’elles ont entrainées. Confucius pour la tradition, la quête d’harmonie et les valeurs familiales. Mao pour la justice sociale et l’égalité. Et, tout de même, Deng Xiaoping pour ses réformes ayant permis le développement de l’économie et l’éradication de la pauvreté de masse.

La Chine de Xi Jinping prétend ainsi proposer au monde un modèle alternatif au modèle de démocratie occidentale jugé très sévèrement. Les idéologues chinois lui contestent tout : son système électoral soumis aux financements des campagnes ; son mode de sélection des dirigeants ; ses valeurs qui ne seraient guidées que par l’appât du gain et l’attirance pour le luxe ; son équilibre des pouvoirs : la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice sont perçues comme « des pensées occidentales erronées ». A contrario, la méthode chinoise consistant à ne sélectionner, grâce au parti unique, après moult épreuves et difficultés, que des « hommes d’expérience » devrait inspirer, selon les Chinois, le reste du monde et notamment les pays émergents du « Sud global ».

Xi Jinping ne ménage aucun effort pour remettre son pays au centre du jeu diplomatique. La Chine multiplie initiatives et financements (« nouvelles routes de la soie » etc ) envers les pays du Sud, s’active dans toutes les organisations internationales et ONG, essaie d’en promouvoir de nouvelles,  sous son contrôle. Elle renforce son « hard power », son armée et son « soft power », par la communication, les réseaux sociaux, ses instituts Confucius etc. Le Président Xi Jinping sait être habile sur la scène internationale, se faisant le chantre du libre-échange à Davos en 2017 lorsque Donald Trump tenait un discours protectionniste, atténuant la volonté de puissance de son pays lorsqu’il parle à l’étranger (la Chine ne recherche alors qu’une simple « coexistence pacifique »), sachant se montrer ouvert et moderne lorsqu’il s’adresse à des grands patrons occidentaux. A l’intérieur, la musique est différente et la main de fer ôte le gant de velours. Le « modèle » autoritaire chinois se révèle être un système de surveillance généralisé assisté par les technologies numériques les plus avancées, les opposants, les artistes et les journalistes sont mis au pas ou sévèrement réprimés. Comme le dit l’auteur « dans cet univers, les médias ne sont pas là pour questionner, mais pour célébrer ». Célébrer le « socialisme à caractéristiques chinoises » et son guide, lequel fait à présent l’objet d’un véritable « culte de la personnalité ».

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Xi Jinping réussira-t-il ses paris : réintégrer Taïwan sans déclencher de guerre, faire de la Chine une nation prospère et dominante à l’horizon 2049, instaurer un « nouvel ordre mondial » où les pays du « Sud global » imposeraient leur vision aux Occidentaux. Ses atouts sont nombreux. Ses faiblesses tout aussi réelles : démographie en berne, économie fragilisée par un « capitalisme d’Etat » inefficient selon les uns, par de simples difficultés conjoncturelles notamment liées à la crise immobilière pour d’autres. Quant à l’étendue réelle de son pouvoir, elle reste une inconnue ; des rumeurs font état de clivages internes à l’intérieur du Parti Communiste, certains dirigeants reprochant à Xi Jinping une mauvaise gestion économique et la montée des tensions avec les Etats-Unis et l’Europe. Ces rumeurs sont-elles fondées ? Nul ne sait. Car comme le note l’auteur, « le pouvoir en Chine s’est refermé à mesure que le pays s’affirmait sur la scène internationale ». Questions cruciales cependant. A n’en pas douter, c’est à Pékin que se joue une partie de l’avenir du monde dans les décennies à venir.

 
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