Années 80, années 2000, projection dans le futur et les attentes placées dans les Assemblées annuelles 2023 du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, prévu pour se tenir à Marrakech du 9 au 15 octobre 2023. Le témoignage fait par Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib (BAM), dans un podcast d’une trentaine de minutes réalisé par le Fonds monétaire international (FMI) à la veille des Assemblées annuelles 2023 du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, est extrêmement riche d’enseignements sur les défis économiques du Maroc et l’évolution du FMI. Son parcours illustre l’importance des décisions courageuses en période de crise et de l’indépendance des banques centrales. Surtout, il démontre qu’un dialogue constructif entre autorités nationales et institutions internationales est indispensable pour mener des réformes économiques efficaces tout en étant socialement acceptables.

Un parcours politique et économique marqué par des décisions audacieuses et des réformes majeures. Dans cet enregistrement audio de son entretien avec le FMI, Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib (BAM), aborde sans détour son expérience en tant que ministre des Finances dans les années 1980, puis en tant que gouverneur de BAM depuis les années 2000. Cet entretien avec Taline Koranchelian, directrice adjointe du Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, est une occasion unique d’en apprendre davantage sur la longue et éminente carrière du gouverneur et d’obtenir des informations précieuses sur les coulisses de la politique économique et monétaire du Maroc.

Les années 1980, une période difficile nécessitant des décisions courageuses

Lorsqu’il est nommé ministre des Finances en 1981, Abdellatif Jouahri est confronté à une situation économique extrêmement difficile. Le deuxième choc pétrolier de 1979 a des répercussions dramatiques : « Ce sont les années post-deuxième choc pétrolier de 79, avec des éléments extérieurs où les taux d’intérêt, le prix du pétrole, tout ça était très fort ». Le Maroc est au bord de la cessation de paiement. Jouahri alerte immédiatement le roi Hassan II et obtient son soutien pour prendre des « décisions douloureuses » : réduction drastique des dépenses publiques, dévaluation, mesures d’austérité. Cette période illustre la nécessité de préserver à tout prix les équilibres macroéconomiques, au risque de compromettre la souveraineté nationale. Elle démontre également l’importance d’un dialogue constant entre gouvernement et banque centrale pour coordonner les politiques économiques.

Les années 2000, l’indépendance de la banque centrale comme gage de crédibilité

Nommé gouverneur de BAM en janvier 2003, Jouhari peut s’appuyer sur le statut d’indépendance acquis par la banque centrale. Cette indépendance lui confère une crédibilité et une légitimité fortes dans ses analyses économiques, notamment auprès du FMI : « Elle n’était pas liée à des partis politiques, parce que les gouvernements se sont succédés avec différentes tendances, mais la Banque centrale était là avec son indépendance, sa rigueur, sa crédibilité ». Cette indépendance a permis à BAM de jouer un rôle central dans les réformes structurelles entreprises par le Maroc (régime de change, politique monétaire…), en coordination étroite avec le FMI. Abdellatif Jouhari souligne à ce titre la qualité des équipes d’assistance technique du FMI.

Relation FMI-Maroc : une relation qui a évolué positivement

Jouahri constate que le FMI a beaucoup évolué dans son approche depuis les années 1980. A l’époque, l’institution imposait des programmes standardisés et restrictifs, qu’il a appelé « programme à la carte », axés uniquement sur des critères quantitatifs. Aujourd’hui, l’approche est plus souple et personnalisée : « les choses évoluent en fonction de l’appréciation qui est apportée sur la situation de chaque pays ». Le FMI est également plus à l’écoute des autorités nationales et tient compte des spécificités de chaque économie, dit-il. Par ailleurs, le champ des préoccupations du FMI s’est élargi au-delà des seuls équilibres macroéconomiques, pour englober des sujets comme la corruption, les inégalités ou le changement climatique. Cette évolution positive de la relation FMI-Maroc tient à l’expérience des interlocuteurs marocains comme le gouverneur de BAM, mais aussi à une prise de conscience au sein de l’institution elle-même de la nécessité d’adapter ses méthodes.

Le gouverneur appelle à un renouveau du multilatéralisme pour faire face aux défis économiques mondiaux

Au terme de cet interview, Abdellatif Jouahri, gouverneur de BAM, a exprimé ses préoccupations quant à la fragmentation géopolitique et géoéconomique croissante qui affecte l’économie mondiale. Il souligne que cette situation d’incertitude et de manque de visibilité constitue un obstacle majeur au développement économique et financier. Jouahri note également que de nombreuses populations n’ont pas bénéficié des promesses de la mondialisation et de la globalisation en termes de création de richesse et de bien-être. Il souligne le délitement des élites politiques à travers le monde, ce qui a conduit à une perte de confiance de la population envers les institutions politiques et publiques. Dans ce contexte, le gouverneur appelle à un renouveau du multilatéralisme et à une réflexion sur la mission des organisations internationales telles que le FMI. Il souligne la nécessité de repenser les priorités et les actions à entreprendre, ainsi que d’apporter une assistance dans la conception des politiques et la convergence entre les secteurs public et privé. Jouahri évoque également les défis liés à l’évolution rapide des paradigmes économiques, tels que les fractures numériques et climatiques. Il souligne qu’il est essentiel de maintenir l’optimisme et de construire un avenir positif en s’appuyant sur des institutions plus fortes, dotées de ressources humaines et financières adéquates, ajoutant que la coopération internationale doit s’appuyer sur les aspects positifs de l’humanité et se concentrer sur des priorités claires et concertées. Ainsi, il appelle à une opérationnalisation du multilatéralisme qui permette de relever les défis économiques actuels et futurs. Les Assemblées annuelles 2023 à Marrakech offriront une plateforme pour discuter de ces enjeux et pour forger un consensus sur les mesures à prendre pour renforcer le multilatéralisme et soutenir la croissance économique mondiale. En somme, le gouverneur de BAM appelle à une réflexion globale et à une collaboration internationale renforcée pour faire face aux défis économiques mondiaux.