Interview

Interview exclusive. Défis, bilan, réalisations… Abderrahim El Hafidi, DG de l’ONEE, dit tout

Sur les cinq dernières années, l’Office dirigé par Abderrahim El Hafidi a affronté et relevé d’immenses défis, se positionnant comme le garant essentiel de l’équilibre entre l’offre et la demande, surtout lors de périodes extrêmement complexes : pandémie Covid, conflits géopolitiques, 5 ans de sécheresse. Son dévouement sans faille envers l’intérêt national a été le moteur de son action, façonnant un bilan positif marqué par sa résilience et son engagement pour assurer la continuité du service public.

Challenge : L’ONEE a fait face durant les 5 dernières années à des grandes contraintes financières et malgré ça, peut-on parler d’un bilan positif en matière de grandes réalisations dans le secteur électrique ?       

Abderrahim El Hafidi  : Notre pays, sous la conduite éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu le Glorifie, s’est engagé dans une politique dynamique et multi départementale pour des services publics plus durables, résilients, équitables et innovants dans les domaines de l’énergie, de l’eau et de l’assainissement liquide. Au cœur de ces services publics stratégiques et essentiels, l’ONEE  joue un rôle déterminant dans le développement économique et social du Maroc, par la taille et la fréquence de ses investissements et par sa mission stratégique qui consiste à sécuriser, en tant que planificateur et responsable d’équilibre, l’alimentation du pays en eau et en électricité dans les meilleures conditions.

En ce qui concerne le secteur de l’électricité, les cinq dernières années ont été d’abord marquées par la réalisation d’un important programme d’investissement pour satisfaire une demande nationale en constante augmentation, avec une évolution de plus de 3,2% en moyenne par an.

Pour bien prendre la mesure de cet effort exceptionnel d’investissement, dont l’enveloppe globale mobilisée entre 2019 et 2023 avoisine les 30,3 milliards de dirhams, il faut avoir quelques chiffres au repère.

La puissance installée totale dans notre pays a atteint 11 474 MW à la fin de l’année 2023 et la capacité additionnelle entre début 2018 et fin 2023 est de 2381 MW incluant la mise en service de la centrale thermique de Safi. La part des énergies renouvelables a, par ailleurs, évolué de 33,8% à 40,7% durant la même période. 

En y regardant de plus près, cette capacité additionnelle est presque exclusivement de sources renouvelables. L’éolien domine largement suite à la mise en service par l’ONEE des parcs de Midelt, Taza, Boujdour, et Jbel Lahdid (Essaouira), et par le privé des parcs El Oualidia et Aftissat 2, suivis par la filière solaire, en bout de ligne développée par l’ONEE et marquée par la mise en exploitation de Noor PV Tafilalet (3×40 MW).

Le réseau de transport a également été renforcé à travers la mise en service de projets structurants pour le raccordement de nouveaux ouvrages de production électrique, notamment ceux d’origine renouvelable et le renforcement de la sécurité de l’alimentation électrique dans toutes les régions de notre pays. De 2019 à 2023, le réseau de Transport a connu la réalisation de 2024 Km de lignes additionnelles THT-HT pour un investissement total de 3,8 MMDH. A fin 2023, la longueur du réseau national a dépassé 29.105 km.

La même dynamique a concerné les investissements réalisés par l’ONEE en matière de distribution de l’électricité, avec une enveloppe qui a atteint environ 4,5 MMDH. Le réseau moyenne tension atteint plus de 99 022 Km contre 92 138 km, soit un accroissement de   6 884 km. Le réseau Basse tension qui alimente notamment les clients résidentiels est passé à environ 249 788 km, soit plus 9 600 Km en cinq ans.

Cette période a également été marquée par l’amélioration des conditions d’accès à l’électricité dans des régions rurales dispersées à travers la généralisation du système de gestion des compteurs à prépaiement auprès de plus d’un million de clients. 

De même, l’ONEE a bien avancé dans le chantier de modernisation de son parc de compteurs BT, à travers l’introduction progressive de compteurs intelligents. 980.000 compteurs sont déjà acquis dont près de 800.000 installés. Environ 500.000 compteurs sont en cours d’acquisition.

On ne peut parler du secteur électrique dans notre pays sans évoquer l’ambitieux programme qui a toujours constitué le cheval de bataille de l’ONEE et qui concerne l’électrification rurale. Les investissements réalisés dans le cadre de ce programme entre 2019 et 2023 s’élèvent à 1,15 milliard de DH, ce qui a permis d’électrifier plus de 34.000 foyers au niveau de 1391 villages. Le taux d’électrification a atteint aujourd’hui 99,88%, faisant bénéficier plus de 2,16 millions de foyers ruraux, ce qui a permis l’accès à l’électricité de 13 millions de citoyens dans les zones rurales.

Plusieurs autres projets phares ont été réalisés par l’ONEE durant la même période. Je citerai, à titre d’exemples, (i) la mise en place d’une Salle des Marchés pour permettre à l’Office de mieux maîtriser les risques de fluctuation des prix d’achat de l’électricité et de combustibles, du fret et des parités de change, (ii) la mise en place, avec l’assistance d’un cabinet spécialisé, d’une feuille de route intégrée de transformation digitale sur cinq ans, et (iii) l’élaboration d’un plan directeur national pour la mobilité électrique, avec proposition de feuille de route pour sa mise en œuvre. 

Parallèlement, l’ONEE, en tant qu’acteur clé de la transition énergétique au Maroc, ambitionne de collaborer avec toutes les parties prenantes dans la perspective de faire de l’Hydrogène Vert un vecteur d’énergie dans le mix énergétique national, permettant ainsi de réduire aussi bien la dépendance aux énergies conventionnelles que les émissions de gaz à effet de serre. 

Enfin et en vertu de sa politique d’ouverture sur l’Afrique qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie prônée par Sa Majesté le Roi que Dieu l’Assiste, pour le développement d’un partenariat Sud-Sud exemplaire, de nombreux projets de coopération ont été réalisés et d’autres sont en cours de réalisation par l’ONEE au Mali, au Tchad, au Niger et l’Union des Comores.

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Challenge : Comme tous les opérateurs électriques au monde, l’ONEE a été lourdement impacté par la hausse vertigineuse des prix des combustibles suite au conflit géopolitique de l’Ukraine. Comment l’Office a-t-il géré cette situation pour assurer la continuité de service et quels sont les impacts sur vos bilans financiers ?  

A.E.H : Effectivement, les prix des combustibles destinés à la production de l’électricité ont enregistré, en 2022, une flambée exceptionnelle au niveau international, atteignant des niveaux historiquement élevés et impactant lourdement les prix d’approvisionnement et les charges d’exploitation de l’ONEE et, par conséquent, le coût de production de l’électricité.

Cette situation, conjuguée à l’arrêt des centrales fonctionnant au gaz naturel pour la période du 1er novembre 2021 à fin juin 2022, et leur substitution par des moyens de production plus chers, notamment les centrales fonctionnant au fioul et le recours à l’importation de l’électricité à des prix très élevés, ont conduit à une hausse importante du coût de revient du KWh supporté par l’ONEE, alors que cette hausse n’a pas été répercutée, jusqu’à aujourd’hui, sur les tarifs de vente de l’électricité.

A cela s’ajoute la baisse de la pluviométrie pour la cinquième année successive, qui s’est traduite par une baisse de la contribution des centrales hydrauliques dans la satisfaction de la demande, ce qui nécessite le recours à des moyens de production plus coûteux pour le système électrique national.

Dans ce contexte, et après avoir enregistré une amélioration continue sur la période 2016-2021 générant des résultats nets excédentaires, la situation financière s’est dégradée significativement en 2022 et 2023, eu égard à la non répercussion de l’augmentation des prix du combustible sur les prix de vente de l’électricité.

Afin de faire face à cette conjoncture particulièrement difficile, honorer ses engagements, envers ses partenaires stratégiques et continuer à assurer l’approvisionnement du pays en énergie électrique dans les meilleures conditions de fiabilité et de qualité de service, l’Office a mis en place, avec l’appui de l’Etat un ensemble de mesures de redressement. 

A cet effet, l’Office a pu, grâce au travail pertinent et remarquable de sa Salle de Marchés, assurer l’approvisionnement des centrales en charbon au prix le moins cher sur le marché international, ce qui a permis de réduire l’impact de la crise énergétique à travers une économie de 10 milliards de dirhams sur les achats de combustibles réalisés en 2022.

De même, l’année 2022 a été marquée par l’accès par l’Office, pour la première fois, au marché international du Gaz Naturel et son acheminement via le Gazoduc depuis l’Espagne en flux inversé, ce qui a permis de limiter la consommation plus coûteuse du fioul.

Sur le plan financier, des mesures et des leviers de redressement ont également été mis en place. Je citerai particulièrement la mobilisation des financements innovants, notamment la titrisation des créances et le lease-back et ce, pour un montant de 4,5 MMDH, ainsi que la couverture des besoins de trésorerie. 

Toutes ces actions ont été nécessaires pour ne pas impacter le pouvoir d’achat des citoyens à travers la non répercussion de la flambée des prix des combustibles sur le coût de l’électricité fournie aux citoyens.

Il est également à souligner que, dans le cadre d’un Protocole d’Accord conclu avec l’Etat en novembre 2022, et afin de ne pas répercuter l’impact de la crise énergétique sur le consommateur final à travers une augmentation des tarifs de vente de l’électricité, des dotations en Capital ont été versées à l’ONEE pour contribuer au redressement de sa situation financière.

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Challenge : Comment l’ONEE a accueilli les récentes décisions de l’ANRE, notamment la fixation de la capacité d’accueil du réseau électrique marocain en EnR et la revue à la baisse des tarifs d’accès au réseau de transport et des services fournis par l’ONEE aux opérateurs privés et quel est l’impact financier de cette décision de l’ANRE ? 

A.E.H : Il convient de souligner au préalable que, conformément à la stratégie énergétique nationale de diversification du mix électrique national, le plan d’équipement élaboré par l’ONEE est orienté vers une maximisation de l’insertion de nouvelles capacités renouvelables accompagnées par des moyens de  flexibilité et de fiabilité à base de centrales au gaz naturel ainsi que des solutions de stockage pour la gestion de la variabilité et l’intermittence. Les enveloppes de projets renouvelables prévues dans le cadre du plan d’équipement permettront de dépasser les objectifs nationaux en matière d’intégration EnR.

Ce plan d’équipement en infrastructures de production et de transport est d’ailleurs élaboré par l’ONEE avant de le soumettre à l’examen et la validation de ses instances de gouvernance, notamment le Comité Stratégie et Investissement constitué des représentants des différents départements ministériels concernés.

C’est sur la base de ce plan d’équipement que l’ONEE, en sa qualité de gestionnaire de réseau électrique national, a communiqué, conformément à la réglementation en vigueur, la capacité d’accueil du système électrique à l’ANRE qui a procédé à sa publication.

Pour ce qui est des tarifs d’utilisation du réseau de transport « TURT » et du tarif des services système « TSS », l’ONEE a effectivement été surpris par la décision de l’ANRE à ce sujet, sans concertation préalable sur les tarifs publiés, dans la mesure où les niveaux des tarifs publiés ne permettent pas à l’ONEE de couvrir ses dépenses d’investissement nécessaires au développement aussi bien du réseau national de transport d’électricité que des moyens de production flexibles pour la constitution du back-up et la gestion de l’intermittence des EnR.  

A titre d’illustration, et selon une première estimation par l’ONEE, la mise en œuvre des dispositions de la Décision de l’ANRE portant sur la fixation des nouveaux Tarifs en question à partir du 1er mars 2024, se traduirait, pour les projets EnR développés dans le cadre de la loi 13-09 et autoproduction, sans tenir compte des projets ENR portés par MASEN, par des pertes financières importantes sur la période 2024-2026. Ces pertes financières sont appelées à augmenter fortement avec l’intégration massive des EnR prévue pour les prochaines années.

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Challenge : Quel rôle a joué l’ONEE pour le développement des lois et règlements favorables au développement des projets EnR privés et quel bilan peut-on faire aujourd’hui ? 

A.E.H : Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que les projets renouvelables, ayant été introduits en premier lieu par l’ONEE, étaient totalement en hydraulique. Leur choix s’imposait surtout au vu de la compétitivité du coût de kWh conjuguée à la maturité des technologies mises en jeu.

S’agissant des filières éolienne et solaire, et après élaboration des premiers Atlas éolien et solaire en 1997, l’ONEE a lancé la première expérience en éolien au Maroc, avec le premier parc Abdelkhalek Torres de 50 MW. Développé en IPP, notre Office a initié sa première expérience portant à l’achat d’un tarif d’électricité éolienne dans le cadre d’un contrat PPA d’une durée de 20 ans.

L’Office a lancé également, respectivement en 2004 et 2006, deux appels d’offres internationaux relativement aux deux projets développés dans le cadre des contrats EPC « clés en main ». Il s’agit du parc éolien d’Amougdoul de 60 MW à Essaouira et du parc éolien Dhar Saâdane de 140 MW à Tanger.

La vision éclairée de Sa Majesté le Roi, Que Dieu le Glorifie, a permis de lancer respectivement, en 2009 et en 2010, le Programme Marocain de l’Energie Solaire et le Programme Marocain Intégré de l’Energie Eolienne. Constitués de plusieurs centrales solaires, le pilotage du programme solaire a été confié à l’agence MASEN, créée à cet effet en 2010.

S’agissant du programme éolien, son pilotage a été confié à l’ONEE qui a lancé, notamment à partir de 2011, deux appels d’offres internationaux pour le Programme Eolien Intégré 1000 MW. Ce programme a connu la participation des plus grands développeurs associés aux fabricants éoliens de renommée, et permis d’obtenir des résultats records: le tarif le plus bas au monde en 2015 (3 cents dollars/kWh), et le taux d’intégration industrielle le plus haut dans l’histoire des projets EnR au Maroc, dépassant les 65%.

Par ailleurs, l’ONEE a participé activement à l’élaboration des textes de lois et règlements favorables au développement des projets ENR privés. Le ministère de tutelle a adopté une démarche participative pour l’élaboration de ces lois et règlements, impliquant toutes les parties prenantes. Nous avons d’ailleurs toujours accueilli favorablement toute proposition encourageant le développement de ces énergies par les opérateurs privés. A titre d’exemple, lorsque les développeurs, pour assurer la bancabilité de leurs projets, ont posé la problématique du bilan basé sur un comptage horaire, nous avons fait part de notre avis favorable pour l’adoption d’un bilan mensuel  qui permet la réduction en faveur des développeurs des quantités de production excédentaire par rapport à la consommation horaire de leurs clients.

Le bilan du développement des projets EnR privés au Maroc nous parait globalement satisfaisant. A la fin de l’année 2023, les ouvrages de production à base d’énergie renouvelable de notre système électrique ont totalisé une capacité installée de 4 672 MW, répartie en 2071 MW de source éolienne, 831 MW de source solaire et 1 770 MW de source hydraulique. Conscients des enjeux liés à la compétitivité et la décarbonation de l’industrie nationale, l’Office National de l’Electricité et l’Eau potable, le Ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable et le Ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Economie Verte et Numérique œuvrent ensemble en vue de mettre en place un dispositif permettant l’accès, pour les zones industrielles, à une électricité de sources renouvelables à des tarifs compétitifs.

La mise en place de ce dispositif permettra à toutes les zones industrielles de bénéficier d’une baisse de coût de l’énergie électrique et ce, à travers leur alimentation à partir de moyens de production de l’électricité de sources renouvelables dans le cadre de la loi 13-09. Il convient de rappeler, à cet égard, que l’ONEE demeure le seul garant de la qualité et de la continuité de la fourniture de l’énergie électrique aux industriels et ce, étant donné le caractère intermittent et potentiellement interruptible de l’électricité produite à partir de sources renouvelables.

De même, et à titre de contribution supplémentaire en faveur de la baisse des coûts de l’énergie électrique appliqués aux industriels alimentés dans le cadre de la loi 13-09, l’ONEE a réduit davantage les tarifs d’utilisation de ses réseaux Moyenne Tension alimentant les consommateurs installés dans les zones industrielles desservies par l’Office.

Challenge : En matière de réseau de transport, que fait l’ONEE pour moderniser ce réseau afin d’accompagner l’intégration massive des EnR dans le système électrique marocain ?

A.E.H : L’ONEE a toujours œuvré pour assurer, dans de bonnes conditions, l’intégration des énergies propres dans le réseau électrique national et ce, à travers le développement et le renforcement du réseau de transport afin de permettre, notamment, l’évacuation de la production et son acheminement jusqu’aux centres de consommation à travers le raccordement des moyens de production et le développement de l’interconnexion avec les systèmes électriques voisins.

Sur la période 2010-2023, le réseau de transport a enregistré un développement important sur tout le territoire national. En termes d’investissements, une enveloppe budgétaire annuelle d’environ 1,1 MMDH a été mobilisée par l’ONEE durant cette période pour la réalisation de près de 6650 km de lignes électriques, soit une évolution de 32% par rapport à 2010. Cette couverture a permis, le raccordement de nouvelles centrales de production dont, notamment, les différents sites de production des EnR et l’extension du réseau 400 kV vers Agadir, Tan Tan, Laâyoune, Boujdour et Dakhla en vue, d’une part, de sécuriser l’alimentation des provinces du sud et, d’autre part, d’assurer l’évacuation des parcs EnR réalisés en 2023 ou programmés à l’horizon de 2030. Il s’agit d’efforts exceptionnels d’investissement concrétisés pour la mise en œuvre de projets d’envergure afin d’assurer à tous nos concitoyens une alimentation en électricité fiable et continue. 

Actuellement, et avec le franchissement d’un nouveau palier dans les projets d’énergie renouvelables projetés dans le Sud du Royaume pour atteindre les objectifs ambitieux  fixés à l’horizon 2030 en termes de capacité EnR installée, l’ONEE envisage l’introduction d’une nouvelle technologie de transmission d’énergie électrique avec de nouveaux niveaux de tension se situant entre 525 et 1000 kV dont les spécifications techniques sont en phase de finalisation entre les experts de l’Office et les experts internationaux retenus pour l’introduction de cette nouvelle technologie. 

Concernant la gestion du réseau de transport et avec l’introduction massive des énergies renouvelables que connait le Royaume, l’ONEE a procédé récemment à la modernisation de son outil de conduite du système électrique national et ajouté à son centre de conduite un Dispatching dédié à la gestion des énergies renouvelables afin de pouvoir gérer le flux massif de ces énergies à caractère intermittent. Ce système a été doté des outils d’aide à la décision moderne permettant l’assistance des opérateurs dans leur mission de conduite du système électrique national et a été complété par l’ajout d’un nouveau système permettant la supervision de la stabilité du réseau de transport afin de garantir sa sureté de fonctionnement.

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Challenge : Malgré ces grandes réalisations, certains opérateurs contestent le manque de capacité du réseau électrique pour répondre aux demandes des opérateurs privés. Est-ce qu’il n’y a pas un problème dans la compréhension du principe de la capacité d’accueil ?

A.E.H : Effectivement, certains acteurs devraient distinguer entre la capacité d’accueil du système électrique national vue côté fonctionnement des moyens de production et la capacité technique du réseau de transport à évacuer la puissance installée tous types confondus (production classique et/ou Energies Renouvelables). En effet, la capacité d’accueil du système électrique national telle que définie dans les loi 40-19 et 82-21 correspond à ‘’la quantité maximale de la puissance installée des sources d’énergie renouvelable à tous les niveaux de tension que le système électrique national peut accueillir sans compromettre la gestion des moyens de production ainsi que le fonctionnement du système électrique national’’. Quant à la capacité technique du réseau de transport, elle est définie comme la capacité du réseau à transporter l’énergie électrique des centres de production, tous types confondus, aux centres de consommation. 

Quant au développement du réseau de transport Très Haute Tension et Haute Tension, il y a lieu de préciser que ce réseau est planifié et développé pour répondre au besoin d’évacuation des moyens de production découlant entre autres du plan d’équipement en ces moyens de production, validé par les instances de gouvernance de l’Office, qui est arrêté sur la base d’hypothèses d’évolution de la demande nationale en énergie électrique. Ce plan d’équipement prévoit aussi bien l’équipement en moyen de production et les ouvrages à réaliser pour le développement du réseau de transport pour l’évacuation desdits moyens de production.

Une fois le programme d’équipement en moyens de production arrêté, l’ONEE procède à la réalisation des ouvrages de transport nécessaires pour assurer le raccordement et l’acheminement de l’énergie qui sera produite par les moyens de production programmés vers les centres de consommation dans les meilleures conditions de sécurité, de continuité de service, de coût et délai.

En conséquence, pour tout moyen de production prévu dans le plan d’équipement, l’ONEE réalise dans les délais impartis les ouvrages de raccordement et d’évacuation de l’énergie produite et la problématique de manque de capacité technique du réseau n’a jamais été posée.

Pour les autres demandes de raccordement de moyens de production au réseau de transport, non prévues dans le plan d’équipement production, c’est normal que la problématique de la capacité du réseau se pose et c’est généralement cette catégorie de développeurs qui se plaignent du manque de capacité du réseau électrique de transport.

Toutefois, nous avons pris les dispositions pour qu’à l’avenir, des marges de réserves de capacités supplémentaires soient intégrées, par anticipation, dans nos schémas directeurs du réseau de transport dans les régions à forte demande d’installation de moyens de production EnR par les développeurs privés.

Challenge : L’ONEE, en tant que gestionnaire du système électrique, fait face à de grands challenges pour l’introduction massive des EnR dans le système électrique vu l’intermittence de ces énergies. Comment l’ONEE a pu assurer la montée en puissance des EnR sans impact majeur sur le système électrique national ? 

A.E.H : Les énergies renouvelables étant caractérisées par l’intermittence et la variabilité, leur introduction dans le Mix électrique génère de nouvelles contraintes aussi bien techniques qu’économiques au développement et au fonctionnement du système électrique. En premier lieu, la production de source renouvelable, contrairement aux moyens de production conventionnels, ne constitue pas une capacité garantie et par conséquent, il est nécessaire de prévoir des capacités quasi-équivalentes en moyens de production conventionnels flexibles pour garantir la sécurité d’approvisionnement du pays en énergie électrique en tout temps. 

Sur un autre plan, l’introduction massive de l’énergie renouvelable génère un besoin en moyens de stockage supplémentaires dans la mesure où les centrales EnR ne produisent pas toujours l’énergie au moment où on en a besoin. L’ONEE est appelé en conséquence à développer des solutions de stockage afin de faire face à l’intermittence des EnR. 

De même, la production renouvelable est considérée comme une énergie fatale qui est placée en priorité. Cette production vient en substitution à des centrales de base et de semi base conduisant à une baisse de leur utilisation et à la dégradation de leurs performances générant ainsi des surcoûts très importants d’exploitation du système électrique national. Il est par contre constaté qu’en cas de grandes variations brusques de la production EnR, ce sont les turbines à gaz qui disposent de la flexibilité nécessaire à la compensation très rapide de ces variations conduisant à une augmentation de leur utilisation par rapport à un système conventionnel.

Il arrive également que, dans des situations de fonctionnement particulières comme par exemple une production EnR importante durant les heures de faible demande, heures creuses, jours fériés, week-end, etc, le système électrique ne peut pas absorber la totalité de la production EnR. La solution pour le gestionnaire du réseau de transport, après avoir épuisé toutes les solutions de stockage disponibles, consiste alors à écrêter la surproduction EnR. 

Sur un autre registre, les ressources renouvelables sont généralement situées dans des endroits très éloignés des centres importants de consommation et par conséquent le développement de projets EnR distants nécessite des investissements importants dans le réseau de transport afin d’acheminer cette énergie vers les centres de consommation. De même, le transport de l’énergie des ENR sur des longues distances augmentera les pertes actives au niveau du réseau de transport (de l’ordre de 10 à 15 % pour le réseau au sud d’Agadir).

Ceci étant précisé, même si l’ensemble des contraintes évoquées se traduit par un surcoût très important de développement et de fonctionnement du parc de production conventionnel, la baisse significative du coût des sources EnR apporte au système électrique une énergie compétitive qui permet de compenser les surcoûts engendrés. C’est ainsi que le développement massif des EnR permet de baisser significativement le coût de production global du système électrique et devrait se traduire par une baisse du coût de l’énergie électrique pour l’ensemble des consommateurs. Afin de faire face à ces défis, l’ONEE a déjà mis en service, en 2004, sa première station de transfert d’énergie par pompage à Afourer et est en passe d’insérer sa 2ème STEP Abdelmoumen en 2024. Ainsi, l’actualisation du Programme d’Equipement à l’horizon 2027 prévoit une capacité additionnelle de 9 614 MW dont 7 516 en capacité EnR et de stockage.

Les projets éoliens programmés à l’horizon 2027 totalisent une capacité de 2668 MW et les projets solaires une capacité installée de 4098 MW. En plus du plan EnR programmé, le plan d’équipement prévoit la construction de moyens de flexibilité de plus de 2000 MW à savoir une centrale de deux OCGT à Al Wahda et deux CCGT à Tahaddart prévues d’être mises en service à l’horizon 2027.

Le volume d’investissement associé à la capacité additionnelle totale à l’horizon 2027 s’élève à 88 Milliards de DH. Les projets de production portés par l’ONEE totalisent un montant de 16 Milliards de DH principalement consacré au développement des centrales au gaz naturel et à la conversion au gaz des TAG de Mohammedia et de Kénitra. 

A l’horizon 2030, le plan d’équipement prévoit de continuer le développement des EnR éoliens et solaires ainsi que des STEPs additionnelles sur les sites d’ El Menzel et Ifahsa. En termes de mix électrique, la part des EnR passera, en termes de puissance installée, de 40,7% à fin 2023 à 63.2% en 2030 en dépassement de l’objectif national de 52%, en termes d’énergie la part des ENR passera de 20,40 % à fin 2023 à 51 % en 2030.

S’agissant du réseau de transport, le montant des investissements prévus sur la période 2023-2027 atteint 30 Milliards de DH. Ces investissements incluent les renforcements du réseau THT y compris les dépenses relatives au projet de liaison de transmission entre le sud et le centre sur cette période, les raccordements des nouveaux moyens de production ONEE ainsi que le projet de 3ème interconnexion Maroc-Espagne.

Challenge : Quel est l’état d’avancement du chantier de séparation comptable des activités de l’ONEE et, en général, celui de la réforme de l’ONEE ? 

A.E.H : Concernant la séparation comptable des activités, il s’agit d’une tendance générale d’évolution de l’organisation des marchés des services publics monopolistiques de ces 20 dernières années, particulièrement des marchés de l’électricité, dans la plupart des marchés arrivés à maturité ainsi que dans de nombreux pays émergents.

La séparation des activités de l’ONEE s’inscrit donc dans le cadre des grandes réformes initiées par les Pouvoirs Publics dans le secteur de l’Electricité marocain. Elle constitue également la base de la tarification et la régulation des services du transport que l’ANRE est appelée à piloter.

Pour l’ONEE, la séparation comptable constitue le prolongement des évolutions qu’a connu son système de gestion. Celui-ci n’a cessé de se moderniser pour répondre à l’évolution des exigences en matière de communication financière et d’information de ses organes de gouvernance et de contrôle.

En effet, l’Office était l’un des premiers organismes à adopter le Code Général de Normalisation Comptable (CGNC) et à mettre en place un système de comptabilité analytique de gestion. Il est également l’un des pionniers en matière d’adoption sur le continent Africain d’un progiciel intégré (ERP) de renom et répondant aux meilleures normes internationales.

L’Office s’est associé, pour la conduite du projet, à la Banque Mondiale dans le but de bénéficier des meilleures pratiques en la matière au niveau international. Ainsi, et à l’issue de la phase de conception, les termes de référence ont été élaborés conjointement avec des experts de la banque et ont été soumis à l’ANRE pour validation préalable. 

Actuellement, le projet est en cours de réalisation avec l’assistance d’un cabinet externe. La première phase, qui est bien avancée, consiste à réaliser le diagnostic et définir l’organisation cible permettant de définir avec plus de précision le périmètre de chaque activité séparée.  

Une deuxième phase est prévue pour mettre en œuvre l’ensemble des règles comptables et mesures organisationnelles accompagnatrices retenues, permettant de produire l’ensemble des états financiers séparés par activité, à partir du système d’information de l’ONEE et conformément aux règles comptables en vigueur. Le projet couvre les deux branches de l’ONEE, et s’étalera sur 16 mois.

Pour ce qui est des autres réformes en cours, notamment de la restructuration des services publics de distribution d’électricité, de l’eau potable et du service d’assainissement liquide, à travers la création des sociétés régionales multiservices de distribution d’électricité, d’eau potable et d’assainissement liquide (SRM), l’ONEE ne ménage aucun effort pour faire aboutir, en relation avec toutes les parties concernées, ce chantier stratégique pour notre pays dans les meilleures conditions, et ce, afin d’accroitre l’efficacité globale du système, tout en préservant l’équilibre économique des autres activités (production, transport, gestion du système électrique, etc.) et en garantissant la viabilité économique des SRM. 

Dans ce sens, des instances de gouvernance et des commissions thématiques mixtes ONEE et Ministère de l’Intérieur ont été mises en place pour garantir une meilleure gestion et déroulement des différentes phases de l’opération. Les travaux de ces commissions sont très avancés et les parties concernées sont en train de préparer les plans de bascule et de césure.

L’ONEE a également contribué activement à l’élaboration de la Loi 83-21 sur les SRM, promulguée par le Dahir 1.23.53 du 12 juillet 2023, publié au BO 7213 du 17 juillet 2023, à l’élaboration des décrets d’applications y afférents et à l’élaboration des protocoles d’accord concernant les Ressources Humaines, en collaboration avec le MI et les partenaires sociaux.

Relativement au chantier de Transfert des installations renouvelables à Masen, il convient de rappeler que les projets inscrits dans le cadre du périmètre du transfert, cumulent une capacité d’environ 3 565 MW. Le portefeuille des projets EnR (en phase développement) ayant été transférés à Masen en 2021, les deux institutions travaillent sur la préparation du cadre contractuel et la mise en place des prérequis pour concrétiser le transfert des installations en exploitation- et le personnel y affecté.

Challenge : Approvisionnement des combustibles pour la production de l’électricité et notamment le fuel : Les combustibles constituent une part importante dans les dépenses de l’Office, comment l’ONEE assure l’approvisionnement pour satisfaire ses besoins pour la production de l’électricité ?

A.E.H : Comme déjà évoqué, l’ONEE a mis en place une Salle de Marchés pour la couverture des risques de change et de fluctuation des prix de matières premières. Il importe au préalable de rappeler que l’ONEE a accès au Marché international du charbon, et lance ses consultations auprès des grands fournisseurs internationaux de ce combustible. Le volume annuel est d’environ 10 millions de tonnes, importés principalement depuis la Russie et les États-Unis.

L’ONEE a accompli en 2023 toutes les démarches administratives lui permettant d’accéder au système gazier Espagnol, pour pouvoir recevoir les navires du GNL et le transformer avant de l’acheminer vers les centrales de l’ONEE via le GME. De même, un contrat a été signé avec Sound Energy pour l’achat de gaz naturel du gisement gazier à Tendrara, et un contrat est en cours de négociation avec Chariot pour l’achat du gaz découvert par la firme britannique au large de Larache.

S’agissant de l’approvisionnement en fioul, il se fait auprès des fournisseurs locaux, à travers des appels d’offres ouverts. Les volumes achetés ont connu une baisse grâce à l’utilisation du gaz naturel. Eu égard à l’impact direct et considérable des niveaux de prix d’achat de ces combustibles sur ses performances financières, l’ONEE a mis en place en 2022 une Salle des Marchés pour assurer le suivi proactif des marchés, en analysant les évolutions des prix et en identifiant les opportunités d’achat et de couverture bénéfiques pour l’office.

La salle des marchés de l’ONEE s’occupe de la gestion des risques sur les marchés de change et des combustibles afin de protéger l’ONEE contre la volatilité des prix sur les marchés, la prise de décision éclairée en fournissant des prévisions basées sur des analyses précises et des informations en temps réel permettant de maitriser au maximum le coût de production de l’électricité, sans oublier la maximisation des opportunités d’optimisation du portefeuille de l’Office en termes d’achats spot, achats à terme et opérations de couverture financières. En ce qui concerne le risque de change, les opérations sont effectuées en fonction des opportunités du marché.

Le chemin vers la transition énergétique au Maroc est ambitieux. Le secteur est pris en étau entre la conjoncture économique et géopolitique mondiale et l’ambition de porter le paysage énergétique marocain vers de nouveaux horizons. En éclairant le quotidien des citoyens vivant dans les zones les plus enclavées, tout en contribuant à faire tourner la roue du développement de notre pays, cette lumière qui éclaire le Maroc n’aurait eu lieu sans des femmes et hommes d’ombre de l’ONEE qui, grâce à leur expertise et leur engagement indéfectible, travaillent énergiquement pour remplir la noble mission de service public.

 
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