Religion

Vers une « Chalghoumisation » des imams en France ?

Depuis le 1er avril, les imams détachés ne sont plus autorisés à exercer en France, qui souhaite combattre le « séparatisme islamiste ». La mesure concerne 300 imams, dont un bon nombre sont Marocains.

Les imams détachés ne sont plus les bienvenus en France. La décision est entrée en vigueur le 1er avril. Elle concerne quelques 300 préposés religieux qui sont envoyés et payés par des pays tiers, dont les plus importants sont l’Algérie, la Turquie et le Maroc.

L’objectif affiché de cette décision est de « combattre le séparatisme islamiste ». Mais il y a aussi un autre objectif, moins avoué : lutter contre les influences étrangères sur l’islam en France. S’il est vrai que l’Algérie utilise ces canaux religieux pour garder une mainmise sur sa communauté en France, et que la Turquie propage un islam inspiré des Frères musulmans, l’islam marocain est plutôt réputé pour sa modération.

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Comment dès lors expliquer le succès que connaît l’Institut Mohammed VI de formation des imams, dont beaucoup d’étudiants viennent de l’hexagone ? Cette école, réputée pour sa promotion d’un islam du juste milieu, a, rappelons-le, été visitée par le pape François. Cet institut forme également des prédicatrices, un cas rarissime dans le monde musulman. Vous comprendrez donc que l’argument selon lequel les imams détachés marocains pourraient propager l’islamisme en français parait bien fallacieux.

Alors qu’est-ce qu’on reproche à ces imams détachés ? On cite souvent leur incapacité à répondre aux besoins socioculturels et contextuels des fidèles en France. Les imams détachés sont généralement formés dans des contextes socioculturels différents de celui de la France, ce qui peut entraîner selon leurs détracteurs des lacunes dans leur compréhension des réalités quotidiennes et des préoccupations des musulmans français.

Une critique adressée à ces imams concerne également leur manque d’intégration dans la société française et leur difficulté à aborder les questions pertinentes pour la vie quotidienne des Français musulmans, telles que les problèmes familiaux, les défis liés à l’intégration sociale ou les enjeux éthiques contemporains.

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Leur formation théologique traditionnelle ne leur fournirait pas toujours les outils nécessaires pour répondre de manière appropriée à ces questions complexes, et cela est parfois compliqué davantage par la barrière de la langue. Mais de là à les taxer de propagateurs d’un islam intégriste ? Rien n’est plus faux.

De tous les imams renvoyés par la France dans leur pays d’origine, que ce soit l’imam marocain Hassan Iquioussen ou plus récemment le Tunisien Mahjoub Mahjoubi, aucun d’entre eux n’est envoyé ou financé par son pays d’origine. Et que dire des auteurs d’attentats terroristes qui, eux, se sont souvent nourris des discours de haine à partir d’une propagande distillée sur internet. Rien à voir encore avec les imams détachés.

Mais que veut en réalité la France ? Le président Macron cède en fait à un certain discours d’extrême-droite islamophobe, voyant en ces imams des religieux acculturés qui viendraient indigéniser les Français d’origine musulmane. Pour des fins électoralistes, le gouvernement français agite encore une fois le spectre de l’islam et le nouveau bouc-émissaire est cette fois-ci l’islam détaché.

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Une certaine élite française préfèrerait sans doute des imams qui ressembleraient davantage à l’imam de Drancy : Hassan Chalghoumi. Cet imam qui cumule les plateaux télé et qui ne représente en réalité que lui-même. Chalghoumi, cet imam préféré de CNews, dont on connaît la ligne éditoriale particulièrement droitière. Chalghoumi, qui ne maîtrise même pas la langue française mais qui séduit par ses discours superficiellement républicains, ne sert en réalité qu’à caricaturer encore plus, là, ou plutôt les communautés musulmanes en France.

La France, qui compte 3000 imams, veut désormais s’occuper elle-même de former ses imams à sa propre sauce. Bon vent à elle. Pendant ce temps, des dizaines de pays accueillent les bras ouverts les imams marocains. Beaucoup d’imams africains viennent se former au Maroc pour ensuite revenir dans leur pays et combattre l’islam intégriste propagé par les jihadistes. Le Royaume, via sa promotion d’un islam ouvert sur le monde, partage son expérience avec les pays subsahariens qui en ont le plus besoin et qui souffrent dans leur chair des méfaits du terrorisme. Pour l’anecdote, Abidjan, la plus grande ville et capitale économique de la Côte d’Ivoire, inaugure vendredi un nouvel édifice : la mosquée Mohammed VI.

 
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