Interview

Chakib Benabdellah : «Nous n’avons aucun problème avec le secrétariat général du Gouvernement, mais juste un mal-entendu»

Chakib Benabdellah, président du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA), nous explique à travers cette interview l’origine de la tension entre le CNOA et le SGG sur l’application de la loi régissant la profession des architectes. Deux institutions, deux visions et deux lectures différentes. Explications.

Challenge : Pouvez-vous nous expliquer quel est le problème qui vous oppose au secrétariat général du Gouvernement – SGG ?     

Chakib Benabdellah : Nous n’avons aucun problème qui nous oppose au secrétariat général du gouvernement, nous avons juste de la part du SG une mal compréhension sur la nécessité que nous avons, nous, en tant qu’Ordre des architectes, de faire appliquer la loi en l’occurrence concernant les stages professionnels. Avec toutes les difficultés que rencontrent aujourd’hui les architectes diplômés quand ils se lancent tout de suite  sur le marché, ils sont confrontés à d’autres problèmes à savoir, en particulier les lois strictes qui concernent l’exécution des missions des architectes, ensuite la crise actuelle qui fait que pour les jeunes architectes, beaucoup sont repêchés par les agents des communes pour commercer avec eux dans la signature de complaisance et enfin, la nécessité absolue d’un apprentissage obligatoire dans l’exécution des travaux sur les chantiers,  chose que l’architecte au cours de ses études ne fait pas suffisamment ou presque pas. 

Toutes les professions réglementées font exécuter des stages aux jeunes diplômés afin qu’ils s’adaptent au monde du travail. Nous ne comprenons pas pourquoi les architectes en soient privés, alors que cette obligation existe dans la loi. Et cette obligation qui existe dans la loi a été imposée par feu le Roi Hassan II lors de son discours auprès des architectes et dans lequel il a précisé que le stage professionnel devait être obligatoire pour l’ensemble des architectes avant d’exercer dans le privé. Je vous suggère d’en refaire lecture et vous comprendrez pourquoi le stage a été imposé dans la loi.

Challenge : Justement, pourquoi selon-vous devrait-on rendre cette période de stage de deux ans obligatoire pour un futur architecte ? 

Ch.B. : En fait, l’architecte sort d’une formation entièrement théorique, il est confronté à de multiples lois qui régissent la profession et qui imposent un certain nombre de règles et de respect de règles déontologiques. Il est aussi confronté aux difficultés de gérer à bien une mission de contrôle et de coordination dans un chantier. Rappelons qu’un chantier est une construction où il y a de multiples dangers aussi bien immédiats, pendant sa réalisation, et des risques énormes après la réalisation. Nous avons entendu et vu des immeubles ou des bâtisses qui tombent pour défaut de réalisation de la mission dans les règles de l’art.

D’ailleurs, beaucoup d’architectes passent aujourd’hui par une expérience dans des cabinets privés avant d’avoir leur propre cabinet, ce qui équivaut à un stage professionnel aussi. Nous tenons juste à ce qu’il soit appliqué dans les conditions et les limites de la loi. Pour l’anecdote, l’Ordre des avocats exige des nouveaux diplômés avocats quatre années de stage avant de pouvoir être autorisés à exercer, alors que c’est une profession où l’exercice ne présente aucun risque, contrairement au métier d’architecte.

Challenge : Quelles sont les explications avancées dans ce cas par le SGG ? 

Ch.B. : Pour le SGG, à partir du moment où ce stage n’a pas été effectué depuis la sortie de la loi, c’est-à-dire plus de 30 ans maintenant, nous ne sommes pas obligés de l’appliquer aujourd’hui. Or nous sommes aujourd’hui un conseil, d’abord qui veut respecter totalement les lois qui régissent la profession et ensuite, qui se trouve confronté aujourd’hui à l’ouverture d’une multitude d’écoles de formation avec des niveaux parfois douteux, et le stage est pour nous un moyen de mettre à niveau les connaissances des architectes avant qu’ils se lancent dans le métier et ses risques multiples. 

Le SGG propose aussi de revoir la loi qui régit la profession, mais l’un n’empêche pas l’autre. On connaît très bien la vitesse à laquelle sortent les lois et nous craignons que cette loi, si elle doit être refaite, ne prenne quelques bonnes années voire même une bonne décennie avant de l’avoir entièrement revue, et là, il sera probablement trop tard vu le nombre d’architectes diplômés tous les ans. 

Challenge : L’application de la condition de stage ne va-t-elle pas pénaliser les nouveaux diplômés ? 

Ch.B. : Non certainement pas, puisque beaucoup d’entre eux vont travailler dans des cabinets d’architectes avant de se lancer dans la vie active privée, sauf que l’obligation en elle-même fait peur, alors qu’au contraire, le stage est régi par des règles strictes qui protègent l’architecte diplômé vis-à-vis du maître de stage et qui imposent un certain nombre d’étapes dans le stage et un apprentissage multiple aussi bien théorique que pratique. 

Challenge : Que proposez-vous actuellement pour faire face à ce problème et en finir avec ce conflit ? 

Ch.B. : Aujourd’hui les architectes déposent un dossier de demande d’autorisation d’exercer qui reçoit un avis défavorable de l’Ordre des architectes sous réserve d’avoir effectué le stage professionnel tel que prévu par la loi. Malgré cela, le SGG signe et donne les autorisations d’exercer. Ce que nous proposons est tout à fait simple. C’est que le législateur, c’est-à-dire le SGG, applique cette loi telle qu’elle a été promulguée, et nous sommes prêts par la suite, et après avoir fait un bilan d’une période d’exécution de la loi, pouvoir à ce moment-là nous mettre à table et discuter des points ou des articles qui devraient être revus au niveau de cette loi, aussi bien concernant le stage professionnel qu’un certain nombre de lacunes que comporte cette loi et qui ne sont plus adaptés aujourd’hui à la situation actuelle de la profession. À chaque mois qui passe, à chaque année qui passe, nous avons plus de 400 architectes diplômés qui perdent l’occasion de pouvoir prendre tous les bagages nécessaires afin de se lancer dans la vie active, et cette opportunité qui leur est donnée aujourd’hui ne doit pas être ratée. 

Son parcours 
Architecte en exercice depuis 1983, Chakib Benabdellah s’est vu, durant sa carrière, confier de grands projets importants pour le secteur privé et public. Il débute sa carrière à Fès pendant plus de dix ans avant de s’installer par la suite dans la ville de Casablanca. Il décroche, en équipe, plusieurs concours d’architecture, notamment celui du grand stade de Casablanca.  
En 2021, grâce à son militantisme et son dévouement pour le bien de la profession, il est élu Président du Conseil National de l’Ordre des Architectes ( CNOA ) , mission qui lui tient à cœur et qu’il mène du mieux qu’il peut. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il ne lâche rien quand il s’agit de mettre la profession à niveau. 

Son Actu  
Chakib Benabdellah milite depuis quelques années pour faire respecter la loi régissant le métier d’architecte. Un bras de fer qui dure et qui crée bien des remous auprès des professionnels.

 
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