Gestion de l'eau

La guerre de l’eau n’aura pas lieu !

La gestion des services de distribution d’eau, d’électricité et d’assainissement confiée à des sociétés privées, a du plomb dans l’aile. Après la mobilisation de la société civile pour réclamer la remunicipalisation des services de distribution des villes concernées, voilà que l’Etat reprend les choses en main.

«L’occasion fait le larron», dit-on en bon français. D’aucuns ont bien essayé de politiser le remplacement des «gestionnaires délégués», parmi lesquels les filiales de Veolia par des sociétés régionales multiservices qui seront  désormais gérées par les collectivités locales.
Au plus fort du coup de froid entre Rabat et Paris, la presse française s’en est donné à cœur joie pour expliquer notamment que «la conséquence indirecte du coup de froid dans les relations entre Paris et Rabat, de nombreux groupes tricolores dont les opérateurs de l’eau et de l’assainissement ont le plus grand mal à maintenir leur position dans le royaume et sont amenés à réduire la voilure ».
En fait, la réalité est beaucoup plus simple, le ministère de l’Intérieur n’a pas attendu que le chiffon brûle entre le Maroc et l’hexagone pour lancer sa réforme  du secteur. 

Sensibles aux rapports du Conseil économique social et environnemental après les inondations enregistrées entres autres dans les villes de Rabat, Casablanca et Salé mais également aux données chiffrées révélées par la Cour des comptes, qui font état de nombre de griefs commis par les délégataires privés tels que fraudes, dépassements,  surfacturations et autres détournements, et ce en violation avec la réglementation des changes du pays, les autorités de tutelle sont en train de reprendre les choses en main.

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Ceci dit, on ne peut pas exonérer des opérateurs privés de la responsabilité d’avoir accéléré le processus. En effet, deux ans après le rachat par Veolia de Suez, l’ex-propriétaire de la Lydec, le Conseil de la concurrence (CDC) marocain avait donné un ultimatum fixé au 4 octobre 2023 au groupe français, pour régulariser sa situation de monopole du groupe Veolia qui résulte de sa fusion avec Suez, il y a tout juste un an. En septembre 2021, le CDC avait autorisé Veolia à acquérir le contrôle exclusif de Suez, à la condition d’une cession concomitante de la Lydec au «nouveau Suez», dont le premier actionnaire est le fonds d’investissement français Meridiam. En effet depuis cette date,  le groupe français est devenu le gestionnaire de la distribution de l’eau dans les trois plus grandes villes du pays (Casablanca, Rabat-Salé et Tanger), à travers ses filiales Lydec, Redal et Amendis. Résultat, le remplacement des «gestionnaires délégués», parmi lesquels les filiales de Veolia, par des sociétés régionales est aujourd’hui une réalité qui n’attend que l’échéance du contrat signé avec les sociétés privées qui prend fin en 2027.

Au-delà de la guéguerre entre les différents intervenants qui se battent pour avoir accès à la manne financière de la distribution de l’eau et autres secteurs comprenant notamment l’assainissement, la question de l’accès à l’eau potable est devenue d’une urgence telle que l’ONU s’est sentie obligée d’en faire un «droit humain» inaliénable. En effet, depuis 2010, l’Assemblée générale de l’ONU qui a reconnu l’accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires comme un «droit humain» considéré que l’eau est un bien commun de l’humanité, un bien public, et que l’accès à l’eau devrait être un droit fondamental et universel, comme la plupart des institutions internationales qui se mobilisent aujourd’hui pour rappeler «la nécessité d’adapter les règles du marché intérieur aux caractéristiques spécifiques du secteur de l’eau» et par là même, invitent les États eux-mêmes à gérer, dans le respect du principe de subsidiarité, l’eau et les autres services. 

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Surtout qu’au Maroc, l’absence d’accès à l’eau n’est pas un phénomène marginal. Si la situation est particulièrement critique dans des régions reculées comme le sud-est du pays, même au cœur d’une société d’abondance qu’on retrouve dans les grandes agglomérations où se concentrent les richesses du royaume comme Casablanca, près d’un million de personnes restent dépourvues d’accès aux services d’eau potable et d’assainissement dans les périphéries des grands centres urbains. Et ce, malgré le fait que le royaume a opté dès l’indépendance de se doter d’infrastructures et d’institutions pérennes pour assurer l’approvisionnement fiable et généralisé des populations urbaines en eau potable.

C’est ce qui explique d’ailleurs que depuis 2005, le Chef de l’Etat n’a pas cessé de multiplier les initiatives pour faire face aux sécheresses répétitives et par la même occasion rappeler la nécessité pour le royaume d’avoir des plans précis pour contrer les pénuries d’eau et en même temps « reconnaître le besoin de santé publique des nouveaux quartiers périurbains en termes de raccordement au réseau d’alimentation en eau potable et à l’assainissement ».
C’est un sujet récurrent que Mohammed VI aborde dans la plupart de ses discours comme lors de l’ouverture de la  rentrée parlementaire en octobre 2022, qui a été consacrée à la priorité à l’eau dans les politiques publiques.

Dans son allocution, le Souverain chérifien a pointé les urgences à régler pour que le Royaume, classé désormais parmi les pays au stress hydrique élevé, ne se retrouvent pas dans une situation où la demande en eau serait largement supérieure à la quantité disponible. Face à cette situation, Sa Majesté le Roi a appelé dans un premier temps à « un traitement diligent de la problématique de l’eau, dans toutes ses dimensions, et notamment à une rupture avec toutes les formes de gaspillage ou d’exploitation anarchique et irresponsable de cette ressource vitale ». Et dans une deuxième phase, il sera question de « renforcer la politique volontariste de l’eau et de rattraper le retard dans ce domaine».
Vite dit, vite fait, au lendemain du discours Royal, le gouvernement a pris l’initiative, après un mois de décembre 2022, de lancer les travaux d’achèvement de la tranche prioritaire du projet de raccordement du bassin du Sebou à partir du barrage de retenue avec le bassin du Bouregreg, au niveau du barrage de Sidi Mohamed Ben Abdallah.

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Si aujourd’hui, certains voient la question de l’eau à travers la lorgnette d’un bras de fer entre pouvoirs publics et entreprises privées, les enjeux de la guerre de l’eau s’acheminent partout dans le monde et le royaume aussi, vers un service public de l’eau, quitte à revoir au fur et mesure  les contrats des sociétés privées fortement remis en cause. Ce qui permettrait de donner aux législateurs les moyens de faire reculer la « précarité sanitaire », tout en consacrant les bénéfices vers des investissements utiles à la gestion publique de l’eau et de l’assainissement. En ces temps de pacte de responsabilité, l’engagement se doit d’être total, ce choix est crucial pour un pays qui a fait de l’indépendance énergétique et l’accès à l’eau pour tous, un horizon indépassable.

 
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