Santé

L’alternative des compétences étrangères en médecine ?

La fuite des talents pénalise le secteur de la santé. Le ministère avait opté pour la cooptation de compétences étrangères comme alternative…où en est-on ?

La densité médicale et paramédicale au Maroc en 2022 est d’environ 1,7 pour 1 000 habitants. Au vu des estimations de l’évolution démographique, une accentuation du déficit en personnel de santé est anticipée. La couverture recommandée par l’OMS, soit 4,45 agents de santé pour 1 000 habitants, devient de plus en plus inatteignable, en raison des défis de la formation et de la rétention du personnel qualifié au sein du système de santé publique. C’est le constat amer d’un rapport de la Cour des comptes. Mais pas que.

D’après une enquête de la Fondation des enseignants médecins libéraux (FEML) publiée en 2023, le Maroc perd chaque année entre 600 à 700 praticiens, soit 30% des médecins formés actuellement. Cet exode touche toutes les catégories, notamment les médecins spécialistes, les professeurs et même les étudiants en médecine. Toujours selon l’étude de la corporation, en plus de l’exode externe, l’exode interne est aussi grave et plus menaçant pour l’offre de soins dans le secteur public : plus de 80 % des médecins en formation (résidents) sont bénévoles et refusent d’intégrer le secteur public, pire encore, presque 100 % des médecins spécialistes du secteur public refusent de prolonger leur activité dans le secteur public après la fin de leur contrat.

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Pour pallier cette problématique, le Maroc avait depuis 2021 pris des mesures urgentes. L’on se rappelle du texte de loi qui a conduit à un ensemble d’incitations pour encourager les médecins étrangers ainsi que les médecins marocains résidant à l’étranger, à choisir le Maroc comme destination pour exercer la médecine.

Ce texte dans son esprit visait à combler la pénurie en ressources humaines dans le secteur de la santé, enrichir le capital humain médical, augmenter le nombre de compétences médicales disponibles, reconsidérer les conditions qui empêchent le recrutement et l’attraction des compétences médicales étrangères et des compétences médicales marocaines résidant à l’étranger, et garantir le droit au traitement et aux soins de santé conformément aux dispositions de la loi-cadre n° 09-21 relative à la protection sociale.

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Interrogé par Challenge, l’Economiste en santé Jaafar Heikel, nous confirme qu’à ce jour le secteur souffre toujours de l’hémorragie de la fuite des cerveaux. Une confidence non anodine qui laisse entrevoir les effets de cette mesure d’ouverture. Dans son rapport de mars dernier, la Cour des comptes a dévoilé que le déficit en médecins se chiffre à 47.000 en 2023.

«Ils sont à peine 100» !
Comme une alternative, la décision d’ouverture du corps médical aux compétences étrangères afin de combler la brèche due à la fuite des talents marocains, ne montre pas encore de résultat. C’est du moins le constat de l’Economiste Heikel. Ce dernier, nous explique que ce problème tire sa substance des conditions de travail moins attrayantes. «Aujourd’hui, ces talents sont attirés par des meilleures conditions de travail et d’épanouissent. Et quand on ouvre les portes aux compétences étrangères, les mêmes problèmes de conditions reviennent sur la table», explique Heikel. Et de poursuivre : « Ces compétences quand elles viennent, se retrouvent dans les mêmes situations qui ont poussé au départ les compétences marocaines. On s’attendait à des milliers, mais cela n’a attiré que 100 compétences», martèle Heikel.
Notons d’ailleurs d’après la nouvelle carte sanitaire du Royaume, que le corps médical dans le secteur public s’élève à 14.359 dont 3.569 généralistes, 10.193 spécialistes, 414 dentistes et 183 pharmaciens. Ce total place le Maroc bien au-dessous du seuil «densité de personnels médicaux» de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixé à 23 pour 10.000 habitants. Une de nos sources sous le couvert de l’anonymat, déclare «Les médecins au Maroc partent tous vers les pays du Nord pratiquement pour les mêmes raisons. D’abord, le problème des revenus qui sont très faibles par rapport à ce que proposent les pays du Nord. En plus, les conditions de travail sont généralement meilleures. De nos jours, les professionnels de santé sont très fréquemment victimes d’agressions dans les hôpitaux», se désole le praticien. Al Mountacer Charif Chefchaouni, Gestionnaire hospitalier et expert international de la santé, nous confie que les pays occidentaux qui financent les programmes de développement, notamment le soutien du secteur de la santé sont inscrits dans une démarche paradoxale. «Ils financent les programmes de santé dans nos pays, et viennent par la suite piller les ressources humaines qui sont censées travailler pour accomplir cet objectif de développement». Et d’ajouter : «Aujourd’hui, la solution ne se trouve pas dans l’attractivité de ressources étrangères, mais plutôt dans l’amélioration des conditions de travail et surtout d’amélioration de la rémunération des médecins dans le public ».

Rentrer ou rembourser
Les États-Unis et le Royaume-Uni sont les deux plus grands aspirateurs de talents. Au Kenya par exemple, plus de 50 % des médecins exercent leur profession à l’étranger dans ces deux pays, laissant au pays uniquement 20 médecins par 100.000 habitants. En revanche, le Royaume-Uni est doté de 270 médecins par 100.000 habitants. Dans la plupart des cas, ce phénomène se pose lorsque des étudiants bénéficient de bourse d’Etat pour aller se former dans ces pays et refusent de revenir à cause des conditions de travail.

Des pays comme Trinidad ont réussi à activer la carte du «rentrer ou rembourser». Les médecins qui poursuivent des études à l’étranger doivent revenir au pays pendant cinq ans en échange de leur bourse d’État. Aux États-Unis également, on retrouve des programmes qui visent à encourager les étudiants à lancer leur carrière de médecin dans certaines régions du pays en particulier.

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A l’Université St George, il existe un programme de bourses CityDoctors, où les étudiants de la ville de New York qui reçoivent une bourse d’études couvrant l’intégralité des frais de scolarité à la faculté de médecine, doivent revenir pour pratiquer leur métier dans le réseau hospitalier public de New York pendant cinq ans après leur formation (le non-retour conduit au remboursement immédiat de la bourse).

 
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