Interview

Nell Stewart : « La relation commerciale entre le Maroc et le Canada a gagné en maturité » 

Depuis le début de l’année, le Maroc et le Canada célèbrent, à travers une série d’événements capitalisant sur les échanges commerciaux, humains et éducatifs développés par les deux pays.  Dans cette interview, l’Ambassadrice du Canada au Maroc, Nell Stewart, revisite ce demi-siècle de relations promises à un bel avenir. 

Challenge : Le Maroc et le Canada commémorent cette année, le 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Que faut-il retenir de cette histoire commune riche de 60 ans de coopération bilatérale ? 

Nell Stewart : Effectivement, le Canada et le Maroc célèbrent 60 ans de relations diplomatiques qui nous ont permis tout au long de ces années de tisser des liens étroits ponctués par les échanges commerciaux, le programme d’aide bilatérale, le flux constant d’étudiants et d’échanges humains et culturels, mais aussi par la coopération dans les domaines de sécurité.  Même si nos relations officielles ont été scellées en 1962, nos échanges ont débuté bien avant ouvrant la voie ainsi à l’établissement d’un partenariat solide à fort potentiel. Dès le début, nos deux pays bien qu’éloignés historiquement et géographiquement ont su mettre de la bonne volonté pour développer leurs relations. Dans un monde en pleine crise marqué par de nombreux défis majeurs, notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences sécuritaires et économiques, et la crise sanitaire qui n’est pas terminée, la concertation est plus importante que jamais. Aujourd’hui, nous nous réjouissons de l’excellence de nos relations bilatérales qui ne cessent de se renforcer et de se diversifier pour aborder l’avenir ensemble. 

Challenge : La célébration de ce 60ème anniversaire est ponctuée depuis quelques mois par une série d’événements conjoints capitalisant sur les échanges commerciaux, humains et éducatifs développés par les deux pays. Quelles sont les attentes à ce niveau ?

N.S. : L’année 2022 a déjà eu plusieurs évènements marquant le 60e anniversaire. Le groupe parlementaire d’amitié Canada-Maroc a été lancé à Ottawa. Et, le secrétaire parlementaire de la ministre des Affaires étrangères, L’Honorable Robert Oliphant est venu en visite à Marrakech et Rabat le mois dernier et a participé à un programme bilatéral ainsi que la réunion ministérielle de la Coalition internationale contre Daech.  On anticipe également d`autres visites officielles le long de cette année anniversaire. Plusieurs évènements culturels sont programmés, notamment un concert de l’artiste maroco-canadienne La Bronze pour la fête du Canada.  On aura également une exposition de photos démontrant les liens étroits entre le Maroc et le Canada – des liens qui incluent non seulement la beauté naturelle des deux pays, mais aussi des priorités communes telles que l’émancipation des femmes, la diversité culturelle, l’inclusion et la liberté de culte.   

J’ai eu le grand plaisir de rencontrer une délégation de plus de 100 personnes de la Communauté juive marocaine de Toronto à Tanger lors de leur tournée sur tout le territoire.  Nous sommes très fiers de cette communauté qui enrichit fortement la relation canado-marocaine. Au niveau de l’engagement institutionnel, les programmes d’échanges universitaires, le perfectionnement des compétences et les projets conjoints de recherches sont des domaines clés d’intérêts communs. Le Collège LaSalle à Casablanca, a choisi cette année de mettre en lumière le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre le Canada et le Maroc à travers leur défilé de mode, toujours un évènement très attendu. L’engagement des institutions d’enseignement canadiennes et marocaines joue un rôle primordial au développement économique et à la consolidation des liens humains entre nos deux pays.  La cadence forte et soutenue des récentes visites dans plusieurs secteurs, et la multiplication d’ententes et de partenariats, sont un témoignage éloquent du dynamisme de nos relations économiques, académiques, culturelles et humaines. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires partout au Canada, ainsi qu’avec les communautés d’affaires et les institutions d’enseignement, afin d’atteindre les objectifs de notre agenda bilatéral maroco-canadien. Tout cela reflète notre engagement dans de nombreux secteurs ainsi que l’esprit de célébration et d’optimisme qui guide cette 60e année.

Challenge : Quel état des lieux faites-vous des relations commerciales entre le Maroc et le Canada?

N.S. : De nombreux liens unissent le Canada et le Maroc en matière économique et commerciale. Bien que notre relation commerciale avec le Maroc soit bien établie, je considère qu’elle n’a pas encore atteint son plein potentiel. Nous pouvons encore faire beaucoup ensemble pour accroitre et diversifier nos échanges. Comme vous le savez, le Canada compte parmi les pays du G7 et les plus importantes économies du monde. Les exportations canadiennes le sont aujourd’hui dans des produits et services à forte valeur ajoutée dans des secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, l’agroalimentaire, l’industrie ferroviaire, les nouvelles technologies de l’information, les énergies propres, la biotechnologie et l’ingénierie, entre autres. Nous sommes certains que des relations commerciales accélérées profiteront autant aux compagnies canadiennes qu’aux compagnies marocaines.

Challenge : Le Maroc est à la fois 44ème client du Canada et 4e partenaire commercial bilatéral de ce dernier en Afrique pour ce qui est des marchandises. Est-ce à dire que les opérateurs économiques marocains devraient être plus offensifs à l’égard du marché canadien ?

N.S. : En 2021, le commerce bilatéral de marchandises entre le Maroc et le Canada s’est chiffré à 1.12 milliard de dollars canadiens, une hausse de 7% par rapport à 2020 (source : Statistiques Canada). Le Maroc était le 3ème partenaire commercial bilatéral de marchandises du Canada en Afrique. Les exportations canadiennes de marchandises vers le Maroc se sont élevées à 500 M$ (dollars canadiens) en 2021. Les importations canadiennes du Maroc se sont élevées à 640 M$ (dollars canadiens), ce qui amène un excédent commercial positif pour le Maroc pour 2021. Nous invitons certainement les opérateurs économiques marocains à envisager une approche commerciale à long terme avec le Canada, en créant des partenariats stratégiques avec des compagnies canadiennes, tant au niveau du commerce que de l’investissement.
Il serait également intéressant de voir de plus grands investissements marocains au Canada. 

Challenge : Dans quelle mesure ce projet d’accord entre le Maroc et le Canada favoriserait-il des relations plus équilibrées et profitables aux deux pays ?

N.S. : Depuis mon arrivée au Maroc en 2019, je note que notre relation commerciale a gagné en maturité, car je l’ai vue évoluer de plus en plus du commerce traditionnel vers un commerce d’intégration et de chaînes de valeurs mondiales. Pour preuve, la présence de nombreuses compagnies canadiennes dans différents secteurs de notre industrie qui se sont installées et renforcées dans le Royaume. Aujourd’hui, on dénombre plusieurs entreprises canadiennes ayant une présence active au Maroc, en plus des dizaines de partenariats actifs dans le secteur de l’éducation et de la formation. Il est important que tout accord futur entre le Canada et le Maroc partage une vision « gagnante-gagnante » pour le bien à long terme du développement commercial de nos deux pays et des partenariats stratégiques avec les compagnies canadiennes et marocaines. 

Challenge : Jusqu’en 2019, le groupe canadien « Bombardier », avec son investissement de 200 millions de dollars dans le Royaume, était le porte étendard des investissements directs étrangers (IDE) canadiens au Maroc avant qu’il ne cède ses activités à des sous-traitants. Peut-on s’attendre à voir d’autres géants canadiens débarquer au Maroc. Quid aujourd’hui, des IDE canadiens au Maroc ?

N.S. : Le Maroc est un marché attractif pour les entreprises canadiennes et il est aussi pour elles un levier de compétitivité significatif qui s’inscrit dans le partage de la chaîne de valeur mondiale. Plusieurs entreprises canadiennes sont déjà installées au Maroc et d’autres s’y installeront certainement dans un avenir proche. Nous pouvons constater une présence croissante d’entreprises canadiennes ayant une unité de production ou un bureau au Maroc, dans les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, de l’outsourcing, de l’enseignement et des mines, principalement. 

Challenge : Le Canada s’est engagé depuis janvier 2011 avec le Maroc dans l’ouverture de discussions commerciales devant déboucher à terme sur un traité de libre-échange entre les deux pays. Sur quoi butent aujourd’hui ces négociations qui ont pris du temps ?  

N.S. : En janvier 2011, le Canada et le Maroc ont annoncé le lancement des négociations d’un accord de libre-échange. Trois tables rondes ont eu lieu en 2011-2012. Les négociations ont été suspendues en juin 2012. La priorité actuelle est accordée aux négociations d’un accord de promotion et de protection des investissements étrangers (APIE). Des discussions exploratoires ont lieu à cet effet entre nos deux pays depuis janvier 2022. De plus, le Canada, le Chili et la Nouvelle-Zélande ont signé en août 2020 l’Arrangement mondial sur le commerce et le genre. Le Mexique a aussi signé l’Arrangement en octobre 2021. L’Arrangement, fondé sur la coopération, reconnaît l’importance des politiques commerciales sensibles au genre et est conçu pour accroître la participation des femmes au commerce international. Nous invitons d’autres pays, tels que le Maroc, à se joindre à cette initiative importante qui contribuera à augmenter la participation des femmes au commerce en tant que travailleuses, entrepreneures et propriétaires d’entreprise. L’Arrangement contribue à démontrer la volonté des adhérents de favoriser l’égalité des genres et le pouvoir économique des femmes.  

Challenge : Le Conseil d’affaires Maroc-Canada a vu le jour. Son objectif : booster les relations économiques entre les deux pays en assurant la liaison et la consultation entre les milieux économiques des deux pays. Comment accueillez-vous cette initiative ?

N.S. : Je suis très heureuse de voir la création du Conseil d’affaires Maroc-Canada et je félicite M. Rafik Kamal Lahlou qui a été nommé à la présidence de cette organisation. La création de cette entité aura des bénéfices très positifs pour les relations commerciales entre nos deux pays. À l’aide du Conseil, le Canada et le Maroc pourront travailler en étroite collaboration avec le monde des affaires dans un esprit de collaboration et d’engagement qui définissent notre relation d’amitié. Vous savez, pendant mon séjour dans votre magnifique pays, j’ai eu maintes occasions d’effectuer des visites dans de beaux endroits comme Fès, Tanger, Agadir, Marrakech, Casablanca, Ifrane, et autres (pour ne nommer que ceux-là !). À chaque fois, j’ai été impressionnée par la qualité des infrastructures, des institutions et des grappes industrielles marocaines que j’ai visitées.

Que ce soit dans les secteurs de l’aérospatial, l’automobile, l’agroalimentaire, les mines, les énergies propres, entre autres, j’ai pu y voir des industries en plein essor et offrant de nombreuses opportunités. Le Maroc a lancé des stratégies réussies dans plusieurs domaines comme le développement durable, l’industrie et la logistique qui le positionnent comme un pôle de développement dans la région et laissent entrevoir un fort potentiel de collaboration entre le Canada et le Maroc comme porte d’entrée pour l’Afrique. Le Conseil d’affaires Maroc-Canada s’inscrit dans cette lignée pour promouvoir les échanges commerciaux et l’investissement entre nos deux pays et nous sommes fiers de ce que nous pourrons accomplir ensemble. 

Challenge : Aujourd’hui, quels sont les atouts à capitaliser et les insuffisances à combler pour renforcer davantage la coopération bilatérale entre le Maroc et le Canada ?

N.S. : Le Maroc et le Canada ont une longue tradition de coopération au développement. Dans les dix dernières années, le Canada a octroyé plus de 80 millions de dollars canadiens en aide bilatérale au Maroc. Notre coopération a appuyé au fil des années plusieurs secteurs cruciaux pour le développement du Maroc, à savoir l’égalité entre les femmes et les hommes, le secteur de l’éducation et de la formation professionnelle, la gouvernance locale et la décentralisation, et l’économie sociale et solidaire. L’expertise, la démarche et l’approche d’accompagnement que propose le Canada sont appréciées par nos partenaires du gouvernement et de la société civile qui font régulièrement référence aux acquis et aux expériences réussies des projets mis en œuvre. 

La coopération au développement canadien au Maroc s’articule principalement autour de l’axe de l’égalité des genres et du renforcement du pouvoir des femmes et des filles. Dans le cadre de sa politique d’aide internationale féministe, le Canada soutient la lutte contre les violences faites aux femmes, le renforcement du leadership féminin et de la participation des femmes aux mécanismes de prise de décision et la promotion des droits des femmes, y compris leurs droits sexuels et reproductifs, trois des priorités du Plan gouvernemental pour l’égalité du Maroc. Le renforcement des droits de la personne au Maroc est également un élément clé de l’engagement du Canada. Le respect de la dignité humaine nécessite des actions d’éducation, de sensibilisation et de plaidoyer. En collaboration avec la société civile, les interlocuteurs institutionnels et les organisations multilatérales, le Canada multiplie les efforts auprès de la population marocaine pour ancrer plus significativement les droits des femmes. Le Canada déploie également des efforts au profit du renforcement du pouvoir économique et de l’autonomisation des femmes, une autre des priorités du PGE et aussi du Nouveau modèle de développement qui vise à faire augmenter le taux d’activité des Marocaines de 22% en 2019 à 45% en 2035.

Challenge : La diaspora marocaine au Canada se chiffre à plus de 110 000 personnes. Chaque année, plus de 5 000 jeunes Marocains se rendent au Canada pour étudier dans des collèges et des universités. Les universités des deux pays ouvrent de plus en plus de passerelles entre elles. Comment voyez-vous ce rapprochement ?

N.S. : Le Maroc fait partie des pays prioritaires de la Stratégie du Canada en matière d’éducation internationale. Selon Citoyenneté et Immigration Canada, le nombre d’étudiants est passé de 4525 en 2020 à 5900 en 2021, soit une hausse de 30% par rapport à 2020 ou de 130% par rapport à 2017. Nous sommes très fiers de voir qu’un nombre grandissant d’étudiants marocains décident de poursuivre leurs études au Canada, ceci témoigne amplement de la confiance que ceux-ci ont dans les institutions canadiennes d’enseignement. Ce rapprochement stratégique est nécessaire au niveau de l’enseignement supérieur et également au niveau de la recherche et développement et des partenariats. Plusieurs enseignants canadiens et marocains partagent leur temps entre le Canada et le Maroc. Quelle belle surprise pour moi, lors de mes visites régulières dans de multiples institutions d’enseignement supérieur au Maroc, de rencontrer des Canadiens qui y enseignent ou y travaillent!

 
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