Justice

Administration pénitentiaire contre magistrats

Deux communiqués parus le même jour (7 août 2023), l’un émanant de l’administration pénitentiaire (AP), l’autre, comme réaction au premier, signé par la ligue des magistrats au Maroc (LMM). Comme si l’été n’était pas déjà suffisamment et doublement chaud sous l’effet de la hausse des températures et de l’inflation qui persiste et continue à grignoter le pouvoir d’achat des citoyens.

Voici deux acteurs qui n’ont pas cerné le sens profond du mot «sérieux», concept clé du dernier discours Royal. Les prisons marocaines sont surpeuplées. C’est l’information principale du communiqué de l’AP, institution sous tutelle directe du chef de gouvernement. Au 7 août de l’année en cours, l’effectif des détenus dans les prisons a atteint 100 004 personnes. Or la capacité maximale d’hébergement de l’ensemble des établissements de l’AP est de 64 600 «lits», d’après le communiqué de l’AP, et ce malgré les efforts de cette administration pour aménager et améliorer l’espace carcéral. Pour illustrer ce surpeuplement, le communiqué de l’AP cite l’exemple de la prison de Aïn Sebaâ, à Casablanca, où 10 877 personnes y séjournent, alors que les capacités d’hébergement sont limitées à 3 800 «lits», soit donc le triple ou presque 3 personnes pour un «lit».

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 Ce sont là des conditions humainement insupportables. L’AP, par ce communiqué, voudrait tirer la sonnette d’alarme, voyant la situation empirer et devenir une source de dysfonctionnements, voire d’insécurité, en plus des conséquences négatives sur les personnes détenues, en matière de santé, d’alimentation, de soins et de mise en œuvre des programmes de réinsertion sociale. Face à cette situation, l’AP interpelle «l’autorité judiciaire et administrative» pour trouver de toute urgence des solutions adéquates à cette situation de «surpeuplement carcéral» dans les établissements pénitentiaires.

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Le même jour, la LMM a réagi par un communiqué. Celle-ci a exprimé son étonnement face au communiqué de l’AP et surtout le fait d’avoir pointé du doigt l’autorité judiciaire comme étant la cause du «surpeuplement carcéral». Dans son communiqué, la LMM refuse toute intervention ou orientation dans le domaine judiciaire portant atteinte au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire, ou constituant une tentative de pression sur cette institution où les magistrats ont l’obligation de veiller à la bonne application équitable de la loi, y compris la motivation des décisions de poursuite en état de détention ou non. La LMM souligne que le corps des magistrats s’inscrit dans les orientations stratégiques de l’Etat, en matière pénale et de lutte contre la criminalité, avec pour principes fondamentaux la non impunité et la détention comme exception et non comme règle systématique.

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La LMM considère que l’unique interlocuteur officiel de l’AP n’est autre que le gouvernement qui en assure la tutelle. Le chef de gouvernement est responsable de cette administration, en matière de ressources et de logistique nécessaires pour trouver une solution à cette situation de «surpeuplement carcéral». Par ailleurs, la LMM souligne l’importance croissante de la criminalité au Maroc, en donnant un chiffre de 40 millions d’habitants (!) pour désigner la population marocaine. La LMM semble anticiper les résultats du prochain recensement national de la population prévu, en 2024. La LMM s’inscrit aussi dans le processus actuel de réforme du droit pénal (code et procédure), réforme proposant justement des peines alternatives à la détention, à même d’alléger la population carcérale. Enfin, la LMM invite l’AP à prendre connaissance des efforts du conseil supérieur de l’autorité judiciaire (CSAJ) et de la présidence du ministère public (MP) dans l’encadrement des décisions judiciaires de poursuite et éventuellement de détention.

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Ainsi, nous avons d’une part une institution relevant du chef de gouvernement, et d’autre part une «ligue» ou association représentant les magistrats. Ni le CSAJ, ni le MP n’ont répondu au communiqué de l’AP. Et ils ont raison de ne pas le faire. C’est là une situation qui ne peut que générer un «vertige institutionnel». Pourquoi étaler des problèmes intra-étatiques devant l’opinion publique ? Dans un cadre de coordination intra-étatique, le gouvernement n’est-il pas capable d’inviter l’autorité judiciaire, tout en respectant le principe d’indépendance de la Justice, et de s’assoir autour de la même table pour débattre de cette situation de «surpeuplement carcéral», résultant d’une multiplicité de facteurs, et dont les causes principales sont bien plus profondes que celles évoquées aussi bien par l’AP que par la LMM ?

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Les responsables publics ont-ils lu et essayé de comprendre le contenu du rapport sur le nouveau modèle de développement qui souligne notamment le déficit de coordination intra-étatique ? Ont-ils écouté et compris le message principal du dernier discours Royal ? «Construire une école, c’est fermer plusieurs prisons». Cette phrase de Victor Hugo est toujours valable. AP et LMM devraient s’inscrire dans une vision institutionnelle bien plus mature et prendre conscience que les vraies solutions radicales ne se trouvent ni dans le droit pénal ni dans les couloirs des prisons. Une cage même en or demeure une cage.   

 
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