Interview

Interview exclusive. Sécheresse, agriculture 4.0, campagne 2023/2024… Mohammed Sadiki dit tout

La problématique du changement climatique est l’un des défis les plus importants auxquels le Maroc est confronté vu ses impacts négatifs sur l’agriculture. Dans cette interview, Mohammed SADIKI revient sur les efforts fournis par le Royaume en termes d’adaptation et d’atténuation des effets des changements climatiques pour une meilleure résilience du secteur agricole et fait également le point sur la situation du secteur de l’agriculture marocaine. 

Challenge :Le stress hydrique est toujours présent, encore moins les effets des six années de sécheresse. Que peut-on dire des précipitations tardives de mars dernier pour la campagne agricole actuelle ? 

Mohammed Sadiki : Le début de la campagne agricole 2023/2024 a été caractérisé par des pluies précoces, ayant donné l’espoir aux agriculteurs, sachant que la campagne précédente s’inscrit dans une séquence climatique de 5 années difficiles. 

Le cumul pluviométrique national moyen au 15 avril 2024 est de 224 mm, soit une baisse de 29% par rapport à la moyenne des 30 dernières années (316 mm) et une hausse de 9% par rapport à la campagne précédente (207 mm) à la même date. La réserve globale des barrages à usage agricole au 15 avril 2024 s’élève à près de 4,33 Milliards de m3 contre 4,35 Milliards m3 pour la campagne précédente, soit un taux de remplissage de 32,6% contre 32,8%. 

Après un arrêt des pluies du 21 janvier au 8 février 2024, notre pays a reçu des précipitations importantes, généralisées et variables selon les provinces durant les mois de février et mars 2024 avec des moyennes respectivement de 43 mm et 93 mm. Ces pluies pourraient impacter favorablement la croissance et le développement des cultures en place, l’amélioration du couvert végétal des parcours et le démarrage des opérations d’entretien par les agriculteurs (engrais de couverture et traitement contre les mauvaises herbes), l’accélération du rythme d’installation des cultures de printemps ainsi que le remplissage des barrages et des nappes phréatiques. 

Compte tenu du déficit en eau, et s’alignant avec les Hautes Instructions Royales, le Ministère a renforcé le suivi rapproché pour rationaliser les disponibilités en eau au niveau des périmètres irrigués en donnant la priorité à l’arboriculture et aux cultures pérennes, en plus de la limitation des superficies des cultures consommatrices d’eau.  

La superficie semée en céréales d’automne, s’élève à 2,52 millions Ha, soit une baisse de 31% par rapport à la campagne précédente à la même date (3,65 Millions Ha) et de 41% par rapport à une année normale (4,3 Millions Ha). Cette superficie est constituée à 46% de blé tendre, 30% d’orge et 24% de blé dur. 

Le stade végétatif des céréales est différencié selon la date de semis avec 92% d’Epiaison, 4% Montaison et 4% Tallage notamment pour des semis tardifs. 

L’état végétatif est à hauteur de 30% de la superficie totale semée et se trouve dans un état végétatif jugé bon, 29% moyen, 21% médiocre et près de 20% perdus.

Quant aux cultures fourragères, elles s’étalent sur une superficie de 470.960 Ha, dont 32% en irrigué, contre 575.780 Ha lors de la campagne précédente à la même date, soit une baisse de 18% et de 8% par rapport à une année normale (510.750 Ha). Les principales espèces fourragères cultivées sont : l’orge fourragère (27%), l’avoine (20%), la luzerne (16%), féverole (15%), le bersim (12%), triticale (3%), mélange fourrager (2%) et autres (5%).

Pour les légumineuses, elles occupent environ 109.140 Ha, dont 10% en irrigué, en baisse de 35% par rapport à la campagne précédente à la même date (167.490 Ha) et de 27% par rapport à une année normale (150.000 Ha). Les principales espèces cultivées sont les fèves (62%), les petits pois (22%) les lentilles (14%) et autres (2%).

Ainsi, l’évolution de la situation des cultures annuelles d’automne dépend encore des précipitations attendues et des travaux d’entretien accordés par les agriculteurs durant le printemps.

Concernant les cultures sucrières, la superficie semée en betterave à sucre est de 22.672 Ha, soit 42% du programme. Ce faible taux de réalisation est dû essentiellement à la non disponibilité en eau d’irrigation dans les bassins de Doukkala et du Tadla. Les emblavements sont réalisés à hauteur de 100% en monogerme. Pour la canne à sucre, la superficie plantée en automne s’élève à près de 1.055 Ha, soit 35% du programme (3.000 Ha). Quant à la production prévisionnelle de la betterave à sucre, elle avoisinera les 1,5 Million de Tonnes et celle de de la canne à sucre est évaluée à près de 330 Milles Tonnes. 

La situation de l’avancement de la campagne des cultures de printemps intervient dans une conjoncture climatique marquée par le retour des pluies suite aux précipitations enregistrées au cours du mois de mars. Ces précipitations annoncent de bonnes perspectives quant à l’installation des cultures de printemps, notamment le pois chiche, le maïs en grains, le tournesol, le haricot sec et les cultures maraichères. Sachant que dans plusieurs régions, les producteurs agricoles souhaitent se rattraper par rapport aux cultures d’automne touchées par le déficit pluviométrique.

À cette date, les réalisations des grandes cultures de printemps sont de l’ordre de 112.880 Ha, soit 70% du programme (160.970 Ha) dont Pois chiches : 20 000 Ha, Mais : 66 000 Ha et Tournesol 22 000 Ha.

Pour les cultures maraîchères d’automne, la superficie réalisée au 15 décembre 2023 est de 90.662 Ha, soit un taux de réalisation de 89% du programme arrêté, enregistrant une hausse de 2% par rapport à la campagne précédente. 

La superficie réalisée en cultures maraichères d’hiver au 15 mars 2024 est d’environ 57.844 Ha, soit 86% du programme (67.060 Ha). 

La production attendue du maraîchage d’automne et d’hiver devra couvrir les besoins de consommation et d’exportation en produits maraichers pour la période de décembre 2023 jusqu’au mois de juin 2024, notamment le mois sacré de ramadan.

Concernant les cultures maraichères de printemps, la superficie programmée s’élève à près de 68.280 Ha générant une production prévisionnelle d’environ 2 Millions T. Les réalisations de ces cultures à cette date, ont atteint environ 21.984 Ha, soit 32% du programme. La production attendue  permettra de couvrir les besoins de consommation du marché local de ces produits pendant l’été et début automne.

Il y a lieu de préciser que l’état végétatif des cultures d’automne et des rosacées est actuellement satisfaisant. 

Si les conditions climatiques s’améliorent en avril et mai (pluies et température adéquate), cela aura un impact très positif sur :

• les cultures d’automne (céréales, légumineuses …), 

• la floraison de l’arboriculture,

• la maturité des espèces maraichères (notamment la tomate), 

• l’installation des cultures de printemps 

• l’état du couvert végétal des parcours

• le niveau de la nappe et le taux du remplissage des barrages

Par ailleurs, les services du ministère assurent un suivi continu et régulier de l’avancement de la campagne agricole et la mobilisation de tous les acteurs du secteur permettra de prendre les mesures et les dispositions complémentaires nécessaires en temps utile.

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Challenge : Comment votre Département gère-t-il la problématique cruciale de la gestion de l’eau dans le secteur agricole en adéquation avec les ambitions du Royaume dans l’agriculture ? 

M.S : Il n’est pas inutile de rappeler que les aménagements hydro agricoles ont toujours été planifiés dans le cadre d’une politique hydraulique harmonieuse, prenant en ligne de compte les potentialités hydriques de chaque bassin hydraulique et les ambitions des stratégies agricoles en lien avec les objectifs de mise en valeur agricole des terres par l’irrigation. A ce propos, le concept de potentiel terres irrigables a toujours été défini et planifié sur la base des ressources en eau mobilisables, notamment par les barrages. 

Cela dit, sous les effets du changement climatique et de la demande croissante en eau potable et des autres secteurs de l’économie en général, les apports d’eau aux barrages ont connu des baisses importantes de près de 30 à 40 % par rapport aux apports d’eau prévus par les documents de planification de l’eau et par conséquent, l’approvisionnement en eau des périmètres irrigués a enregistré des baisses dans les bassins de production de la Moulouya, Doukkala, Tadla, Haouz, Souss-Massa, Tafilalet et Ouarzazate où des restrictions drastiques ont atteint plus 50% en année moyenne et jusqu’à l’arrêt des irrigations en situation de pénurie pour les périmètres de la basse Moulouya, des Doukkala, du Tadla, du Tessaout, du Haouz Central et Souss-Massa . 

Pour faire face à la pénurie d’eau chronique que connaissent les périmètres irrigués, les stratégies agricoles adoptées ces dernières décennies (Plan Maroc Vert 2008-2020 et Génération Green 2020-2030), ont fait de la modernisation de l’irrigation et de la généralisation des techniques d’irrigation économes en eau un choix central pour le développement du secteur. 

Ce choix a marqué une rupture et un tournant historique dans la politique de l’irrigation au Maroc sur les plans de la modernisation des systèmes d’irrigation et la généralisation de l’irrigation moderne économe en eau. 

En effet, le paysage hydroagricole a connu une transformation profonde avec une superficie équipée en techniques d’irrigation localisée enregistrant une augmentation sans précédent de 160.000 Ha (soit 10% de la superficie irriguée) en 2007 avant le Plan Maroc Vert à plus 820.000 Ha à fin 2023 (soit plus 50% de la superficie irriguée). 

Le paysage hydroagricole a également connu des avancées en matière d’extension de l’irrigation sur de nouvelles terres pour valoriser les ressources en eau mobilisées par les barrages et intensifier la mise en valeur des terres. L’extension des superficies aménagées a ainsi porté sur 72.000 Ha.

Dans le même sillage, le développement de la petite agriculture irriguée s’est inscrit dans l’amélioration de l’efficience et de la productivité à travers la réhabilitation et la modernisation des périmètres de petite et moyenne hydraulique situés principalement dans les zones de montagnes et des oasis sur plus de 200.000 Ha. 

Ces transformations se poursuivent dans le cadre de la stratégie Génération Green 2020-2030 avec un effort d’investissement de 40 Milliards de DH dans l’amélioration de l’efficacité hydrique à travers :

I. la poursuite de la généralisation des techniques d’irrigation les plus efficientes sur 350 000 Ha supplémentaires, ceci permettra d’atteindre 1 million d’hectares sous irrigation localisée soit 60% de la superficie irriguée 

II. la poursuite de l’extension des réseaux d’irrigation en harmonie avec la maitrise de l’eau par les barrages sur une superficie de 72 500 Ha de nouvelles terres principalement dans la plaine du Gharb (30.000 Ha), et dans la plaine de Saiss (30.000 Ha) 

III. la mobilisation des ressources en eau par dessalement de l’eau de mer dans le cadre du Partenariat Public-Privé, notamment pour sauvegarder les zones dépourvues de ressources en eau conventionnelles et les zones qui souffrent d’un déficit hydrique chronique.

Grace à ces transformations impulsées par le Plan Maroc Vert et poursuivies par la stratégie Génération Green, notre agriculture dispose de capacités importantes en matière d’économie d’eau et d’amélioration de la productivité, ce qui a permis à notre pays de produire plus avec moins d’eau et de faire face aux chocs climatiques de ces dernières années exceptionnellement sèches. 

Challenge : Justement, la 16ème édition du SIAM a comme thématique principale : «Climat et agriculture : pour des systèmes de production durables et résilientes». Quels sont aujourd’hui les efforts fournis par le Maroc en termes d’adaptation et d’atténuation des effets des changements climatiques pour une meilleure résilience du secteur agricole ? 

M.S : La problématique du changement climatique est l’un des défis les plus importants auxquels le Maroc est confronté vu ses impacts négatifs sur les ressources en eau, notamment durant ces dernières années qui sont caractérisées par des épisodes de sécheresse récurrents, ce qui peut engendrer des grandes pertes de production agricole et de biodiversité. 

Partant de ce constat, le Département de l’Agriculture œuvre à lutter contre les effets des changements climatiques à travers l’adoption d’une panoplie de mesures d’adaptation et d’atténuation des impacts des changements climatiques sur le secteur agricole, ainsi que l’inscription dans le processus national visant la concrétisation des recommandations et des directives de l’accord de Paris notamment la NDC Maroc, la LEDS, le PNA, le SNI-GES….

> Programmes d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation des gaz à effet de serre (cause du réchauffement planétaire) 

• La gestion des ressources en eau 

Le Département de l’Agriculture accorde une place particulière à la maitrise de l’eau d’irrigation et à sa rationalisation en tant que levier de choix pour l’adaptation aux changements climatiques et le développement de l’agriculture à travers : 

– L’amélioration de l’efficacité hydrique par le développement de l’irrigation en goutte-à-goutte sur une superficie additionnelle de 350 000 Ha pour atteindre 1 million d’hectares à l’horizon 2030. Dans ce cadre, une superficie de 167 200 Ha a été équipée entre 2021 et 2023, soit 48% de l’objectif de 2030, ce qui a permis d’atteindre une superficie globale équipée en goutte à goutte de 824 000 Ha.

Ceci a permis d’économiser et de valoriser près de 420 millions de m3 de l’eau d’irrigation entre 2021 et 2023, en plus des 1,4 milliard de m3 économisés dans le cadre du Plan Maroc Vert ;

– La valorisation des ressources en eau mobilisées par les barrages et la mise en valeur de nouveaux périmètres irrigués sur 72 450 Ha. Actuellement, les travaux d’aménagement hydro-agricole ont été lancés sur 38 100 Ha, soit 53% de l’objectif GG dont 8100 ha achevés et 30 000 Ha en chantier ;

– Le développement de la petite et moyenne hydraulique dans les zones de montagnes et les oasis sur 200000 Ha supplémentaires à l’horizon 2030. Actuellement, près de 54450 ha supplémentaires de périmètre de PMH ont été réalisés à travers la réhabilitation de près de 1100 km de seguias et 123 Khettaras et les travaux sont en cours de réalisation sur 15 000 Ha;

– La poursuite du développement des projets de PPP novateurs pour la construction et/ou l’exploitation des projets d’irrigation et le développement de l’offre en eau agricole par dessalement de l’eau de mer (Exploitation du projet de Chtouka sur 15000 ha et son extension en 2024 et lancement du projet de Dakhla sur 5000 Ha couplé à l’utilisation de l’énergie éolienne, en plus d’autres projets de dessalement et de réutilisation des eaux usées traitées qui sont prévus) afin d’atténuer la pression exercée sur les ressources en eau souterraines et contribuer à leur préservation.

Par ailleurs, et suite aux instructions Royales, et afin d’assurer une meilleure mobilisation et valorisation des ressources hydriques, le Gouvernement a lancé d’autres programmes structurants notamment les projets d’interconnexions entre bassins hydrauliques et la programmation d’autres nouveaux barrages.

Ces programmes d’irrigation permettent à la fois l’adaptation du secteur aux effets des changements climatiques par une meilleure rationalisation et valorisation de l’eau d’irrigation et l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre à travers l’utilisation rationnelle de l’énergie et le recours à l’énergie renouvelable avec un objectif de couvrir près de 20% des superficies irriguées en pompage solaire.

• Les programmes de plantation

Le Département de l’Agriculture vise, entre autres, la reconversion de cultures sensibles au déficit hydrique par des espèces plus résilientes aux changements climatiques. Ceci est concrétisé par des contrats programmes conclus entre l’Etat et les professionnels et par la réalisation de projets de l’agriculture solidaire pris en charge principalement par l’Etat.

Dans ce contexte, le Département de l’Agriculture a limité l’extension des superficies des plantations consommatrices d’eau telles que les agrumes, l’avocat, les pastèques en faveur de l’encouragement des plantations résistantes à la sécheresse telles que le pistachier, le caroubier, l’amandier, l’arganier, le cactus, l’olivier, le palmier dattier, l’arganier, etc. 

Le Département de l’Agriculture a opté également pour le développement de l’Agroforesterie et de l’agriculture de conservation (ex. plantation d’olivier), notamment dans les zones en pentes et dégradées et inadaptées aux cultures annuelles à travers l’association des systèmes de cultures (plantations-cultures) ou plantations-élevage.

C’est dans ce cadre que durant la période 2021-2023, les superficies des plantations résistantes à la sécheresse ont été améliorées par la plantation de 97 000 Ha d’olivier, de 21 280 Ha d’amandier, de 8 000 Ha d’arganier, de 5840 Ha de caroubier, de 6600 Ha de figuier, de 4445 Ha du palmier dattier, de 6 000 Ha de cactus et de 4300 Ha d’arbustes fourragers, etc. 

Ceci permet également d’améliorer le potentiel de séquestration du carbone du secteur agricole et d’atténuer les émissions de Gaz à Effet de Serre.

• L’utilisation des pratiques durables

Afin de s’adapter aux changements climatiques particulièrement la sècheresse, il est à noter que près de 20 variétés de céréales et de légumineuses améliorées résistantes à la sécheresse ont été développées. Ces nouvelles variétés sont actuellement en cours de multiplication ou d’inscription au catalogue officiel national. 

La promotion de l’agriculture biologique sur 100 000 Ha à l’horizon 2030 et des techniques de conservation des sols notamment le semis direct sur 1 million d’Ha, sont également parmi les mesures du secteur agricole visant à la fois l’adaptation aux effets de changements climatiques et l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, à fin 2023, l’agriculture biologique a porté sur une superficie de 18 000 Ha et la technique du semis direct a couvert près de 84 511 Ha de céréales.

• La gestion des risques climatiques

Afin d’atténuer l’impact des aléas climatiques sur le secteur agricole, l’Etat encourage les agriculteurs à adhérer au programme de l’assurance agricole des céréales, des légumineuses, des oléagineux et de l’arboriculture fruitière qui vise à couvrir près de 2,5 millions d’Ha à l’horizon 2030. Actuellement, une superficie de près de 1,2 million d’Ha est couverte par l’assurance agricole.

• La digitalisation du secteur agricole

La digitalisation du secteur agricole constitue également l’une des pistes à promouvoir afin de booster la performance du secteur et adopter une agriculture durable et résiliente. Dans ce cadre, il est à signaler que des cartes de vocation des sols ont été élaborées pour près de 7 millions d’Ha en bour. Ces cartes permettent, entre autres de donner une évaluation agronomique fine de l’aptitude des terres à être cultivées durablement, par un certain nombre de spéculations importantes au Maroc, aux échelles locale et régionale. 

> Respect des engagements internationaux climatiques et lancement d’initiatives phares dans le domaine

• Ratification de l’accord de Paris

Dans le cadre de son engagement international en matière de lutte contre les effets du changement climatique, le Maroc a ratifié l’accord de Paris qui vise la limitation du réchauffement de la planète «bien en-deçà de 2°C». Il a été ainsi parmi les premiers pays qui ont présenté leurs contributions déterminées en matière d’objectifs d’atténuation des émissions de Gaz à effet de serre et d’adaptation aux changements climatiques. 

La contribution déterminée Nationale du Maroc prévoit à la fois des actions d’atténuation et d’adaptation par secteur à l’horizon 2030.

• Lancement des initiatives phares 

Le Département de l’Agriculture a lancé deux initiatives visant l’adaptation aux changements climatiques, à savoir :

– L’initiative « Triple A » qui a pour objectif d’apporter une réponse efficace et concrète au constat d’un triple biais dans le financement de l’adaptation, de l’agriculture et de l’Afrique. Le but de cette initiative est de garantir le financement de l’adaptation de l’agriculture africaine et d’augmenter la productivité agricole sur le continent ;

– L’initiative « Oasis durables » a pour champs d’intervention, les zones oasiennes qui représentent un modèle solidaire d’organisation sociale (autour de l’agriculture, du commerce, des traditions, de l’artisanat…) menacées aujourd’hui par les changements climatiques et par une urbanisation non contrôlée de ces espaces fragiles. Cette initiative vise la préservation et le développement solidaire des oasis. 

• Ratification des initiatives internationales

Le Département de l’Agriculture adhère également à une multitude d’initiatives visant la lutte contre les effets des changements climatiques dont :

– La coalition de l’agroécologie lancée en marge du sommet mondial sur les systèmes alimentaires ;

– L’initiative « Agriculture Innovation Mission for Climate » (AIM For Climate), pilotée par les Etats-Unis d’Amérique en partenariat avec les Emirats Arabes Unis, lancée à la COP26 et dont le but est d’accélérer et de stimuler l’innovation globale ainsi que la recherche & développement (R&D) en agriculture et dans les systèmes alimentaires supportant l’action climatique ;

– La percée de l’Agriculture (Royaume Uni), etc.

Le Département de l’Agriculture œuvrera davantage au renforcement de la résilience du secteur agricole face aux changements climatiques à travers le renforcement des programmes d’adaptation de l’agriculture y compris les programmes d’amélioration de l’efficacité hydrique afin de préserver les ressources naturelles et continuer ainsi d’assurer le rôle primordial que joue le secteur agricole en matière de développement socio-économique et de sécurité alimentaire.

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Challenge : Les changements climatiques engendrent une sévère diminution des ressources hydriques et pour atténuer les effets de ces aléas climatiques, la maitrise de l’eau d’irrigation est primordiale. Que fait votre Département dans ce sens ? 

M.S : Pour faire face à la diminution des ressources en eau allouées à l’agriculture et rétablir l’équilibre entre les besoins en eau agricole et les ressources mobilisables, les pouvoirs publics ont adopté des plans d’accélération des investissements, dans le cadre de la stratégie agricole Génération Green et du programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation PNAEPI 2020-2027.

Ces plans d’accélération, ont actionné 2 principaux leviers complémentaires :

• Le développement de l’offre hydrique, à travers la poursuite de la politique des barrages, l’interconnexion des bassins pour mobiliser le maximum des eaux actuellement perdues en mer, et le recours au dessalement de l’eau mer pour alimenter les villes côtières en eau potable et ainsi libérer les eaux des barrages pour d’une part consolider les dotations d’eau des périmètres irrigués et d’autres part, réduire la pression sur les ressources en eau souterraines et développer des projets d’irrigation des cultures maraichères par dessalement de l’eau de mer.

• L’amélioration de l’efficacité hydrique à travers la mise en œuvre des programmes de développement et de modernisation de l’irrigation avec un effort d’investissement de l’ordre de 50 Milliards de Dh.

Ces investissements concernent 4 programmes structurants portant sur : 

1. La modernisation des réseaux d’irrigation et d’économie d’eau pour la reconversion de 350.000 Ha à l’irrigation localisée ;

2. L’extension de l’irrigation sur 72.500 Ha à l’aval des barrages, de réhabilitation et la restauration des périmètres de la petite agriculture irriguée essentiellement dans les zones fragiles touchant près de 200.000 Ha, 

3. La promotion du partenariat public-privé pour le renforcement des ressources en eau non conventionnelles par dessalement de l’eau de mer ;

4. La modernisation des périmètres de petite et moyenne hydraulique sur plus de 200.000 Ha. 

Ces programmes permettront de sécuriser et de pérenniser un stock hydrique stratégique au service de la souveraineté alimentaire nationale, et contribueront ainsi à consolider nos acquis en matière de productions de fruits, légumes, huile, sucre, lait, viande, etc., par la pérennisation des dotations en eau des périmètres irrigués existants sur près de 700 000 Ha aujourd’hui menacés par la raréfaction des ressources en eau. Ils permettront également de stabiliser un niveau stratégique de 60 millions de quintaux en céréales, par le développement de l’irrigation de complément sur un million d’hectares destinés à des assolements type céréales/légumineuses/oléagineuses. Enfin, ils permettront de sécuriser un approvisionnement durable et régulier du marché national en fruits et légumes et le consolider et développer notre offre export en fruits et légumes par le dessalement d’eau de mer à travers l’irrigation de maraichage sur près de 100 000 Ha.

Challenge : L’autre réponse aux changements climatiques est d’opter pour l’innovation et la recherche afin de développer la résilience du secteur agricole marocain et l’inscrire dans la durabilité. Comment voyez-vous l’apport de l’écosystème marocain opérant dans le domaine de la recherche et l’innovation ? 

M.S : L’écosystème marocain opérant dans la recherche et l’innovation agricole, mené par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), est bien conscient que la problématique de notre agriculture découle des effets du changement climatique qui menacent la durabilité des ressources naturelles et par conséquent, la sécurité alimentaire de notre pays. Face à ces défis, le recours à des innovations dans la gestion des ressources hydriques est crucial. En effet, dans le cadre de la stratégie Génération Green qui vise, entre autres, une meilleure valorisation de l’eau et l’encouragement d’une agriculture résiliente et éco-efficiente, l’innovation constitue une pièce maitresse dans la gestion rationnelle de nos ressources hydriques. 

L’innovation suppose des interactions entre acteurs qui tend à intégrer le processus de recherche et développement pour proposer des solutions qui peuvent contribuer à améliorer l’efficacité hydrique, appelée à être doublée à l’horizon 2030, et à améliorer la gouvernance des autres ressources pour assurer un développement durable de notre agriculture. C’est dans ce sens, que l’INRA œuvre à innover dans différents domaines susceptibles de contrer la rareté de l’eau, tels que l’identification de variétés productives et résilientes à la sécheresse et aux hautes températures, la promotion des cultures alternatives résilientes, les techniques d’irrigation économes en eau et adaptées à nos conditions édapho-climatiques, ainsi que l’adoption de pratiques agricoles résiliente face à la rareté de l’eau (Agriculture de conservation, agroforesterie…). 

Ainsi, nous visons à optimiser la productivité des cultures tout en minimisant la quantité d’eau utilisée. Nous essayons pour les espèces stratégiques comme le blé, de proposer des variétés améliorées sur plusieurs plans, en particulier en termes de résilience au climat qui tend à être marqué par la sécheresse à travers des stratégies de tolérance, d’échappement ou d’évitement de ce phénomène lors du cycle de la culture. Ces variétés que l’on développe sur plusieurs années sont transférées aux industriels semenciers pour leur multiplication et leur distribution sur le marché des semences sélectionnées aux agriculteurs. Ces semences sont subventionnées et leur utilisation par les agriculteurs contribue fortement à la hausse de la production nationale.

Nous conseillons également la pratique d’autres espèces connues pour leur résilience, annuelles comme le triticale, l’orge, l’avoine, ou pérennes comme le caroubier, l’arganier, le cactus, le câprier, l’amandier, le figuier, le pistachier dans des aires bien déterminées, à travers les cartes de vocation agricoles. Ces cartes constituent des outils d’aide à la décision pour valoriser les terres agricoles selon le potentiel édapho-climatique de la région et le potentiel de production des espèces que l’on propose. Par exemple, nous avons déterminé un fort potentiel pour la culture du pistachier dans l’Oriental et plusieurs zones favorables à l’arganiculture à travers le Royaume.

Dans les systèmes irrigués, nos recherches essaient de proposer aux agriculteurs des référentiels de besoins en eau pour éviter le gaspillage. Dans ce sens, nous avons trouvé que les apports en eau des phoeniciculteurs sont beaucoup plus importants que les besoins réels des palmiers dattiers. Ces apports peuvent davantage être réduits si l’on pratique l’irrigation déficitaire. Nos recherches sur les rosacées ont montré que la réduction de 30% des apports par rapport aux besoins en eau ne réduit pas significativement les rendements. Par ailleurs, nous développons des systèmes d’irrigation économes en eau et performants sur le plan énergétique comme des goutteurs à basse pression et des systèmes de nano-irrigation.

En bour, les résultats de nos recherches de longue date sur l’agriculture de conservation se déploient sur le terrain à travers le programme national de semis direct sur 1 million d’hectares à l’horizon 2030. En effet, nous accompagnons ce programme de la stratégie Génération Green par la diffusion des connaissances de l’INRA en matière de gestion de ce système en offrant des démonstrations et des formations aux agents de développement et aux agriculteurs pionniers. 

Par ailleurs, le développement des Nouvelles Technologies de l’Information et la Communication (NTIC) a débouché sur le développement de solutions basées sur ce qu’on désigne actuellement ‘’L’agriculture 4.0’’ dont l’irrigation de précision est l’un de ses piliers majeurs. L’irrigation de précision est un système qui fournit de l’eau (et des nutriments en cas de fertigation) directement aux racines au moment souhaité (Parfois de manière automatique), au bon endroit et en quantités optimales pour la croissance et le développement des cultures grâce à l’utilisation de capteurs (sensors). Ces capteurs combinés aux technologies de l’Internet des objets (IoT), peuvent être posés au sol, directement sur le tronc d’arbre ou sur le fruit, comme ils peuvent être distants (montés sur des satellites ou des drones). L’intelligence artificielle (IA) vient en appui pour optimiser la collecte et l’analyse des données recueillies par ces capteurs, permettant ainsi d’ajuster de manière plus précise les apports en eau et en nutriments selon les besoins spécifiques de chaque plante ou parcelle. De plus, l’IA peut contribuer à prédire les besoins futurs en irrigation en se basant sur des modèles prédictifs élaborés à partir des données historiques et en temps réel, offrant ainsi aux agriculteurs des recommandations plus éclairées pour la gestion de leurs cultures. En somme, l’IA joue un rôle crucial dans l’évolution vers une agriculture plus efficiente et durable, en permettant une gestion plus fine et plus intelligente des ressources hydriques et nutritives.

 
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