Economie

Caisse de compensation. Amender, supprimer, améliorer ? le casse tête de la réforme.

S’il est vrai que «les riches profitent de l’aide aux pauvres», le contexte dans lequel se déroule la réforme de la compensation est de première importance pour adopter une bonne tactique et une stratégie opérationnelle efficiente. Est-ce qu’il suffit pour cela que le gouvernement soit déterminé à mener à bout sa volonté de changement ? 

Le bonheur des uns suscite la colère des autres, ou plutôt la convoitise de certains. Opportunisme oblige, les islamistes d’Al Adl Wal Ihsane chauffent leurs troupes pour se mettre en position de combat, histoire de profiter de l’aubaine : l’annonce d’une réforme de la Caisse de compensation  (voire sa disparition) dans la loi de finances de l’exercice 2024 par le gouvernement ne fait pas que des heureux. Non pas dans les rangs des syndicats, plutôt satisfaits, mais chez les salafistes et autres experts de la galaxie qui, habitués à surfer sur la démagogie de la chose publique stigmatisent déjà la chose. Pour l’instant, les troupes de Abbadi ont reçu les instructions pour se préparer à monter au front «pour défendre le pouvoir d’achat des classes populaires démunies qui va être sacrifié sur l’autel du capitalisme sauvage» du gouvernement actuel.  Comme musique de fond, toutes les rumeurs possibles et imaginables accompagnent cette stratégie de diabolisation que les islamistes du PJD rechignent à accompagner, du moins ouvertement parce que le gouvernement Benkirane a été le premier à toucher à la sacro-sainte Caisse de compensation. En effet «le pognon de dingue», les milliards déboursés par l’Etat ont toujours constitué d’une manière ou d’une autre, un beau sujet de mobilisation pour les troupes.

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Pour rappel, c’est bien Benkirane en tant que Chef du Gouvernement qui a lancé une année à peine après la formation du premier gouvernement islamiste, la réforme du système de compensation.  Promesse répétée au cours du Conseil d’administration de la Caisse de compensation qui a opté pour un allègement des frais de la compensation, pour l’année 2013. La décision de revoir le fonctionnement de la Caisse qui a été créée en 1941 pour stabiliser les prix des produits de base et sauvegarder le pouvoir d’achat des consommateurs avait d’ailleurs mis le feu aux poudres au sein même du PJD, poussant Abdelilah Benkirane à  effectuer une sortie inattendue pour qualifier de «campagne de rumeurs fallacieuses» les informations colportées de manière unifiée et généralisée» par les médias, faisant état de la levée de la compensation sur le butane de gaz, le sucre et la farine ».

A part les observateurs avertis, peu de gens savent d’ailleurs que le gouvernement El Otmani qui n’avait pas réussi la fameuse réforme, a voulu remettre la patate chaude au gouvernement qui devait remplacer les islamistes balayés par la bérézina des législatives de 2021. Le gouvernement El Otmani avait laissé dans les cartons un véritable plan de liquidation de la Caisse de compensation, programmé pour 2022. A l’époque, Nizar Baraka, avait dénoncé le piège tendu par les islamistes au gouvernement d’Aziz Akhannouch. Le SG de l’Istiqlal, avait généreusement déroulé les détails de ce plan diabolique qui (selon lui) «aurait soumis le pays au risque d’une explosion sociale». C’est dire combien le sujet est sensible.  C’est pour cela que la réforme de la Caisse de compensation aujourd’hui ne se fera pas dans la précipitation, c’est-à-dire sans veiller à prendre les mesures d’accompagnement qui s’imposent.  Une ligne défendue âprement par le Ministre délégué auprès de la ministre de l’Economie et des Finances, en charge du Budget, qui n’a pas hésité à monter au front pour défendre la réforme d’une caisse qui «ne profitait pas aux pauvres». Fouzi Lekjaa, a ainsi déroulé un argumentaire détaillé aux membres de la Commission des finances et du développement économique à la Chambre des représentants, pour préciser que «les charges de la Caisse de compensation ont atteint, entre 2015 et 2023, pas moins de 174 milliards de dirhams, soit une moyenne de 19,4 milliards de dirhams par an».

Il a aussi expliqué, en donnant des chiffres puisés dans des études effectuées pendant cette période, que «le plus gros de ce budget part aux riches». Ainsi ce sont «pas moins de 47 milliards de dirhams, soit 27% de l’ensemble des charges de compensation, qui profitent aux plus riches», ce qui est beaucoup plus que ce qui est dévolu aux plus pauvres, soit huit milliards de dirhams, a martelé Fouzi Lekjaa. D’où, a-t-il affirmé, la nécessité de la réforme pour que «cette subvention soit ciblée dans le projet de loi de finances PLF 2024, qui constitue l’une des pierres angulaires de la consolidation des fondements de l’État social». Cette réforme, a expliqué le ministre, permettra ainsi à «60% des familles marocaines qui bénéficiaient d’une subvention de huit milliards de dirhams via la Caisse de compensation, de bénéficier de 25 milliards de dirhams au cours de l’année 2024, pour atteindre 29 milliards de dirhams annuellement à partir de janvier de l’année 2026». «Nous ne souhaitons pas casser la dynamique économique ni envoyer un contre-signal», s’est justifié l’un des membres du gouvernement, rappelant l’objectif du gouvernement d’être à l’écoute des populations pauvres en donnant l’exemple des 10 milliards de dirhams débloqués chaque année pour mener à terme la généralisation de la couverture maladie obligatoire aux familles pauvres et en situation précaire». «C’est d’ailleurs pour cela, que le gouvernement met en œuvre tout ce qu’il faut pour préserver le pouvoir d’achat des Marocains à travers la loi de finances 2024», ajoute notre interlocuteur. 

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Cela dit, si le gouvernement table sur un meilleur ciblage des subventions en menant à terme une réforme de la Caisse de compensation, maintes fois annoncée et plusieurs fois reportée, la conjoncture marquée par les conflits, la flambée des prix et la cherté de la vie, le gouvernement en confrontation directe avec la problématique des prix devrait avancer doucement sur le terrain miné du système des aides et celui des subventions accordées via la Caisse de compensation. Comment faire alors ? La question aujourd’hui est plus une question de communication qu’une question de techniques. Les attentes étant énormes, les rumeurs mortelles et les marges de manœuvre étroites, le gouvernement doit faire preuve de beaucoup de pédagogie pour convaincre une population éreintée par l’inflation. L’effet d’annonce qui cache parfois l’absence de constance politique et caractérise le management de l’urgence et de la crise ne devrait pas masquer la nécessité de préciser les modalités de mise en œuvre d’une réforme majeure, voire révolutionnaire de gestion des deniers publics. Le management public, notamment sur une question aussi grave doit prendre suffisamment en compte la fragilité du tissu social Marocain au titre du pilotage des politiques publiques. Les orientations avancées gagneraient à être détaillées dans un souci pédagogique évident.

 
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