Tribune et Débats

Maroc. Potentiel gazier interne et positionnement stratégique entre l’Europe et l’Afrique [Par Charaf Louhmadi]

Le Royaume dispose de réserves gazières valorisées à environ 39 milliards de mètres cubes. Ces richesses permettront, dans les années à venir, non seulement d’atteindre l’autosuffisance et l’indépendance énergétique mais également de pouvoir exporter sur les marchés internationaux dans un contexte géopolitique, rappelons-le, extrêmement tendu conséquence de la guerre en Ukraine.


RPS Energy Ltd, organisme indépendant, avait confirmé, dès 2018, un potentiel gazier moyen estimé à 20 milliards de m3 sur un permis Tendrara-Lakbir, les nappes gazières se situant au-delà de 2600 mètres de profondeur. L’Est marocain, frontalier avec l’Algérie, dispose donc de richesses gazières dont les impacts se matérialiseront dès début 2024. Graham Lyon, président de l’entreprise britannique d’exploration gazière Sound Energy (opérant dans le gisement de Tendrara), a affirmé que les premiers revenus seront générés en début d’année prochaine.

Sound Energy, qui avait levé 4 millions de GBP en 2022, s’est récemment associée avec la firme pétrolière canadienne Calvalley en vue d’accélérer la mise en production du projet de Tendrara. En outre, l’entreprise britannique a annoncé avoir résolu le litige financier couvrant la période 2016-2018 qui l’opposait à l’administration fiscale marocaine.

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Au large de Larache, sur l’autre gisement gazier prometteur, l’entreprise britannique Chariot, mandatée sur ce projet d’exploitation dénommé « Anchois », a annoncé la découverte d’importantes réserves gazières établies sur une superficie de 1.791 km².
Chariot a conclu avec l’Office national des hydrocarbures et des mines et l’Office national d’électricité et de l’eau potable pour des livraisons de gaz à long terme. Le gaz qui sera livré via le gazoduc Maghreb-Europe permettra, entre autres, l’alimentation de la production électrique (à travers l’approvisionnement des centrales électriques de l’ONEE) et ce, à l’échelle nationale. La mise en production est prévue au plus tard pour 2025. Le volume de livraison quotidienne de gaz par Chariot à l’ONEE sera d’environ 1,7 million de m3. Les participations dans le gisement Anchois sont respectivement de 75% pour Chariot et 25% pour l’ONHYM.

Livraisons gazières de Shell : Le Maroc assure sa sécurité énergétique à court terme

Malgré la découverte des gisements gaziers dans son territoire, le Royaume œuvre à la diversification de ses fournisseurs en gaz, en vue de sécuriser son approvisionnement à court terme. La multinationale anglo-néerlandaise Shell va fournir 500 millions de mètres cubes de GNL par an, sur une durée de 12 ans. L’accord a été conjointement signé en juillet dernier par Shell et l’Office marocain de l’électricité et de l’eau potable. Ainsi, 6 milliards de mètres cubes seront livrés. Le Maroc prépare la création de méthaniers de pointe en vue d’accueillir ces livraisons, qui passeront dans un premier temps, par des ports espagnols.
Depuis la rupture diplomatique entre Rabat et Alger et l’arrêt de livraisons gazières algériennes, précédemment fournies à travers le Gazoduc Maghreb-Europe, le Royaume cherche à couvrir sa consommation à court terme en attendant le développement des forages et de la production de son propre gaz.

Gazoduc Nigeria-Maroc : Le projet énergétique africain du siècle

Le Nigéria fait partie du top 10 mondial en termes de réserves prouvées de gaz naturel. Ces dernières, premières d’Afrique, sont estimées à environ 5,5 billions de mètres cubes.
Le mégaprojet gazier a pour but la mise en place d’un gazoduc Nigéria-Maroc en vue d’une connexion au réseau gazier européen, via son branchement au gazoduc Maghreb-Europe. Rappelons les tensions qui existent sur le marché européen, compte tenu de la guerre en Ukraine et la volonté de l’Europe de s’affranchir du gaz russe. Le gazoduc traversera, dans l’ordre, le Nigéria, le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Guinée, la Guinée Bissau, le Sénégal, la Mauritanie et enfin le Maroc. En outre, une alimentation du Mali, du Burkina Faso et du Niger est également à l’étude.

Des mémorandums d’entente ont été signés le 16 juin dernier avec le Libéria, le Bénin, la Côte d’Ivoire et la Guinée, en présence d’Amina Benkhadra, directrice générale de l’ONHYM et de Maalam Mele Kyari, président du géant pétrolier nigérian NNPC. Par ailleurs, des mémorandums ont d’ores et déjà été signés avec la Mauritanie et les pays membres de la Cedeao. Ce projet est une opportunité pour les pays qu’il traverse, car il permettra leur alimentation en gaz, et les pays toucheront de surcroit une commission, celle-ci variant de manière croissante en fonction du nombre de kilomètres traversés. En outre, les pays disposant de réserves de méthane, comme le Sénégal ou la Mauritanie, pourront utiliser le gazoduc pour vendre leur gaz aux investisseurs et consommateurs européens.

Gazoduc Nigéria-Algérie : la situation au Niger freine le projet

L’Algérie et le Nigéria ont signé, en février 2022, un accord actant la mise en place du gazoduc transafricain appelé NIGAL. Le projet est censé transporter plus de 30 milliards de pieds cubes et desservir le marché gazier européen. A noter que depuis la suspension du gazoduc Maghreb-Europe, l’Algérie alimente l’Espagne via le gazoduc Medgaz.

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Lancé en 2009 et toujours non abouti, le gazoduc, dont le coût d’investissement était initialement estimé à 10 milliards de dollars, long de 4138 kilomètres, reliera l’Algérie au Nigéria, à travers le Niger, avec des tronçons de 2310 km en Algérie et 841 kilomètres au Niger. Or ce dernier est marqué par l’instabilité politique. Le président Bazoum a été renversé le 26 juillet dernier par des putschistes militaires. Cette nouvelle situation politique au Niger retardera à coup sûr le projet gazier et ce, malgré la signature d’un mémorandum d’entente en juillet 2022 entre les ministres de l’énergie nigérian, nigérien et algérien.

Charaf Louhmadi est consultant, chroniqueur & auteur d’ouvrages.

 
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