Emploi

Y a-t-il un modus operandi pour réduire le chômage au Maroc?

13 %, c’est le chiffre record du taux de chômage. Engagés dans une dynamique sociale, les élites prennent à cœur ce problème. Existe-t-il une solution miracle ?

En 2012 à Davos, une syndicaliste européenne a sorti une déclaration choc qui a été un électrochoc historique, attirant l’attention de l’élite sur la trajectoire du capitalisme. Le monde des affaires « a perdu sa boussole morale ». Alors, pour paraphraser Lénine, que faire ? « Croissance ! » crient les uns. « Innovation ! » répondent les autres. « Créativité ! » « Développement durable ! » Mais rien de tout cela ne constitue un nouveau modèle. Dans certaines régions du monde, des alternatives émergent. Le Maroc, soucieux de ces questions ces dernières décennies, s’est démarqué avec son modèle de libéralisme à visage humain. « Le Maroc appelle de ses vœux une nouvelle mondialité, une mondialité juste, équitable, participative, bref une ‘mondialité à visage humain’ qui équilibre, intègre, réconcilie le monde avec lui-même en injectant du Sens et de la Confiance », avait déclaré Sa Majesté il y a plus d’une décennie au lendemain de la crise de 2008 dans un message adressé aux participants à la 2e « World Policy Conference ». Ce discours, pour bon nombre de praticiens, a mis en lumière le modèle du libéralisme marocain. Bien que visible, ce discours royal a permis de mettre les mots sur ce que beaucoup appellent « gouvernance à visage humain ».

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Pour la petite histoire, c’est à Amartya Sen (prix Nobel d’économie en 1998) qu’on doit essentiellement cette vision. Pour cet éminent économiste et farouche défenseur des droits des pauvres, « il y a développement lorsque les individus sont plus à même de réaliser ce qui donne un sens à leur vie ». Selon lui, c’est la manière dont les « capacités des individus » ont été accumulées et leurs choix élargis afin qu’ils puissent jouir des libertés qui donnent un sens à la vie et la rendent digne d’être vécue. Ces libertés comprennent les droits d’accès aux ressources permettant aux individus d’éviter la maladie, de se respecter eux-mêmes, de se nourrir décemment, de subvenir à leurs besoins et d’entretenir des relations pacifiques. C’est cette nouvelle approche du développement qui a inspiré les décideurs du Maroc à construire les bases d’un libéralisme social.

Aujourd’hui, c’est ce prisme de gouvernance sociale qui fait que les élites, ces derniers mois, font front contre la problématique du chômage, qui a atteint un pic très élevé. Et si les élites s’y préoccupent à la lumière des enjeux de l’État social esquissé par le souverain, c’est aussi parce que c’est la pierre angulaire du développement, selon la Banque Mondiale. « Dans les pays en développement, les emplois sont la pierre angulaire du développement et ont un impact bien au-delà des revenus qu’ils procurent. Ils sont essentiels à la réduction de la pauvreté, au fonctionnement des villes et à l’ouverture aux jeunes de perspectives », explique l’institution de Bretton Woods dans l’un de ses rapports sur le sujet.

Faut-il un new deal ?

13 %, c’est le chiffre record du taux de chômage qui, pour l’heure, représente un véritable défi pour l’équipe Akhannouch. Structurel ou conjoncturel ? Selon l’économiste Mehdi Fakir, la lecture du gouvernement penche plus vers la causalité conjoncturelle. « Je vous rappelle qu’il y a quelques années, l’Espagne a traversé une véritable crise de l’immobilier qui a presque fait grimper à toute allure le taux de chômage. Je n’ai pas vu, à mon sens, des mesures édifiantes à part une auto-régulation du marché qui a fait redescendre la pression ». Et de poursuivre : « À défaut de cela, on peut opter comme ce qu’ont fait les USA avec le New deal où l’État a impulsé de grands travaux qui ont été pourvoyeurs en grande masse d’emploi ».

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Pour la petite histoire, le New deal de Roosevelt est intervenu juste après la crise de 1929. À travers des organismes clés tels que la Work Project Administration, la National Recovery Administration, cette politique a permis aux USA de traverser le désert du crash boursier. En Europe, l’Union européenne a commencé à lutter contre le chômage dès le début des années 50. En 1997, dans un contexte de chômage élevé au sein de la plupart des pays européens, les élites européennes ont jeté les bases du traité d’Amsterdam qui a fourni les fondements pour l’élaboration de la stratégie européenne pour l’emploi (SEE) et la création du Comité de l’emploi. Dans le même sens, l’UE a aussi lancé le Fonds social européen (FSE) destiné à soutenir la promotion de l’emploi et une mobilité accrue des travailleurs. En Amérique latine, le Mexique, face à ce fléau depuis les années 2000, a impulsé une véritable politique sociale qui a commencé à donner ses fruits. Par exemple, pour contrecarrer les effets de la hausse des prix sur le pouvoir d’achat des Mexicains, les autorités ont élevé le salaire minimum de 20 % par rapport à 2021. Entre 2019 et 2023, le droit du travail a été l’objet d’une série de réformes. Le marché du travail s’est redressé depuis. En 2023, le taux de chômage au Mexique est tombé à 2,9 %. Rappelons que le taux de chômage en 2009 était de 7,3 %.

Selon une étude de la BAD, un certain nombre de facteurs fondamentaux exacerbent le chômage des jeunes au Maghreb : à savoir une « poussée de la population jeune » ; le déséquilibre des qualifications entre les produits du système éducatif et les besoins du monde économique ; une pénurie d’emplois décents dans la région ; et les perturbations économiques mondiales. Dans le cas précis du Maroc, selon notre expert, deux causes sont à la base de ce pic croissant du chômage. « Dans les zones rurales, le fléau de la sécheresse a mis plusieurs jeunes éleveurs sur le carreau, sans oublier les affres de la crise du COVID, la guerre en Ukraine, la crise au Moyen-Orient qui bouleversent l’équilibre économique des pays ».

Faut-il repenser la politique économique ?

Si l’on se base sur les travaux de l’économiste Thomas Piketty pour analyser les chiffres récents du taux de chômage, on peut probablement conclure à une « erreur de politique économique ». Pour le Vice-président des économistes de l’Istiqlal, il faut requalifier le constat : « C’est une politique économique insuffisante ». Pour lui, « il y a encore des moteurs qui ne sont pas encore allumés. Aujourd’hui, on doit lancer des plans d’accélération comme on a fait pour l aéronautique et l automobile… » Et d’ajouter : « En attendant les fruits du ruissellement économique, le gouvernement doit soutenir davantage la demande ». « À mon sens, la base de tout ruissellement positif sur l’ensemble des strates de la population passe par une augmentation mécanique de la croissance économique. Un débat sur la hiérarchisation des chantiers peut bien entendu toujours se poser, mais le fondement majeur demeure, de fait, de combien, chaque année, augmente la richesse produite. De ce fait, tendre vers les 5 ou 6 % de croissance annuelle que chacun appelle de ses vœux, semble un pré-requis indispensable. Or, malheureusement, dans le contexte macroéconomique actuel, au niveau mondial, nous ne semblons pas prendre cette orientation, du moins pas à court terme. En parallèle, et à plus long terme, je pense que les réformes en cours du système éducatif sont de nature à améliorer l’employabilité, notamment des jeunes, tout en accroissant la productivité et l’efficience, pour pouvoir évoquer une inflexion de la courbe du chômage », nous confie l’économiste Hicham Alaoui.

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Dans une note publiée sur Economia, l’enseignante-chercheuse en économie Caroline Minialai interrogeait quelques années en arrière la politique économique du Maroc. Dans un article intitulé : « Le Maroc a-t-il une stratégie économique ? », l’économiste déclare : « S’il est encore trop tôt pour mesurer les effets des programmes consacrés au PIB industriel ou au PIB agricole et savoir si un de ces deux secteurs pourra être le moteur de notre croissance, on peut d’ores et déjà s’intéresser aux secteurs de l’immobilier, du tourisme et des infrastructures, triptyque mis en avant par nos dirigeants. Ces trois piliers de la politique économique ont en commun leur forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur : l’engagement des touristes ou des investisseurs est fonction d’un grand nombre de contraintes que le gouvernement ne peut pas entièrement maîtriser (géopolitique de la région, croissance des autres pays émergents…). Mais au-delà de cette dépendance, chacun de ces axes pose problème en termes de contribution à la croissance. Réformer ! C’est le mot de la fin. Réformer pour construire les mécanismes nécessaires à l’élaboration, la mise en œuvre et le contrôle de politiques publiques concertées de développement économique ».

 
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