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Guerre des minerais stratégiques. Comment le Maroc se positionne

A défaut d’être au cœur des préoccupations des hommes d’affaires Marocains, qui ne le connaissent pas tous et ne se sont pas encore projetés dans l’avenir des métaux rares, le royaume n’a jamais vu autant d’investisseurs étrangers se bousculer pour investir dans l’industrie des métaux rares étroitement liée à la construction automobile.

Pourquoi les compagnies spécialisées dans les minerais rares déroulent-elle le tapis rouge au Maroc ? Car contrairement à ce que l’on est tenté de croire, la demande vient bien de ces géants internationaux dont le dernier en date, l’australien Austroid Corporation, spécialiste de la transformation de lithium pour la fabrication de batteries pour voitures électriques, qui vient de décider de s’installer durablement dans le royaume. Ce producteur de lithium bien connu des milieux automobiles américains, a pour principale activité l’exploitation des mines, elle transforme le lithium pour pouvoir le mettre à disposition des industries de la gigafactory, qui produisent des batteries pour voitures électriques, dont notamment celle de type LFP (lithium-phosphate-fer). 

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Lithium, cuivre, nickel… avec les transitions numériques et énergétiques, le marché des métaux prend de plus en plus d’ampleur et le Maroc qui souhaite se positionner vers une souveraineté industrielle avec l’objectif avoué d’atteindre une indépendance effective qui n’est pas encore à portée de main, a vite trouvé écho chez les grands opérateurs étrangers (et pas seulement occidentaux) du secteur. L’arrivée du nouveau venu au Maroc, Austroid Corp qui cherche à se positionner dans la production, la transformation ainsi que l’utilisation du lithium a créé ainsi une nouvelle structure à l’intitulé sans équivoque, Austroid Corp Africa, qui inclut également la fourniture aux équipementiers automobiles du royaume sans se priver des opportunités qu’offre le continent africain. La collaboration avec les producteurs de composants de lithium tels que le Chinois CNGR allié de la holding royale Al Mada, déjà bien branchés au programme du groupe OCP de Jorf Lasfar devrait faciliter l’accès au marché porteur des batteries électriques.

Austroid Corp n’est pas le seul opérateur à lorgner sur les potentialités prometteuses du marché Marocain puisqu’en l’espace de quelques mois, pas moins de trois grandes usines de batteries pour véhicules électriques annonçaient leur implantation dans le royaume. successivement au Maroc. Dans le lot, l’entrepreneur minier Benoît La Salle qui vient de débarquer discrètement dans la ville du détroit avec l’objectif de conclure un partenariat avec la société chinoise C-One, vise à mettre en place une usine d’anodes destinée à approvisionner les fabricants de batteries pour véhicules électriques. Son unité ambitionne également la production de graphite de synthèse, un matériau essentiel dans la fabrication des batteries. Cet investisseur minier qui préside aux destinées d’Aya Gold & Silver avec une capitalisation boursière de 637 millions de dollars ( au 23 octobre 2023), déjà bien installé dans le royaume a décidé d’investir dans une autre filière extractive au Maroc, celle des minerais et métaux stratégiques . Pour cela, il a lancé une opération de levée de fonds au Canada et aux États-Unis pour lancer une nouvelle compagnie, active dans l’extraction de cobalt, de lithium et de nickel, composants incontournables dans la fabrication des batteries des véhicules électriques.

D’un autre côté, les chinois n’ont pas attendu l’arrivée des mastodontes nord américains pour se positionner sur le marché des minerais stratégiques au Maroc. Il faut rappeler que le Maroc et la Chine entretiennent d’excellentes relations diplomatiques, au point où S.M. le Roi Mohammed VI a effectué trois visites en Chine et la visite royale de 2016, avait été couronnée par un accord de partenariat stratégique suivi par la participation effective du Royaume en 2022, à l’initiative chinoise «la Ceinture et la Route» qui prévoit d’investir des dizaines de milliards de dollars d’investissements dans les pays situés le long du corridor économique désigné. Dans cette configuration, l’attractivité de l’industrie des batteries a raflé la majorité des investissements chinois annoncés au Maroc en 2023 qui ont porté essentiellement sur la fabrication de batteries de voitures électriques. Le pays suscitant un grand intérêt en raison de la disponibilité des matériaux utilisés dans la fabrication de ses batteries, comme le cobalt et le phosphate. A cet égard, le groupe GOTION High-Tech a misé 6,3 milliards de dollars dans la cagnotte pour établir un système industriel de production de batteries de voitures électriques et de systèmes de stockage d’énergie. 

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Même topo pour  le fabricant de composants pour batteries CNGR Advanced Material, qui a annoncé son intention de construire une base industrielle au Maroc pour un coût de 2 milliards de dollars suivant le chemin pris par le groupe BTR New Material, qui produit des composants pour batteries de véhicules électriques, qui pour sa part avait annoncé sa volonté d’investir 1,2 milliard de dollars dans une unité de production. Un volume total de ces trois investissements qui dépasse 9,5 milliards de dollars.

Pour rappel, le Souverain avait chargé Mohcine Jazouli d’effectuer une série de déplacements à Pékin fin 2022 et au début 2023, pour signer une série de mémorandums d’entente avec des groupes chinois. Dès son retour, le groupe sud-coréen LG Energy, deuxième fabricant mondial de batteries de véhicules électriques (13,7 % du marché mondial en 2022) avait également annoncé en  septembre 2023 sa joint venture avec le chinois Huayou Group pour lancer un projet industriel marocain, alors que les dirigeants du chinois Gotion High-Tech (3 % du marché), fournisseur privilégié de Volkswagen, son actionnaire de référence, avait fait le déplacement à Rabat en mai 2023 pour signer un accord portant sur la construction d’une gigafactory dans le royaume à l’horizon 2026. Enfin, Tinci Materials, un autre industriel chinois, a fait connaître sa décision de délocaliser au Maroc, fin août, son usine tchèque de composants de batteries au lithium. 

Bien sûr, les Chinois sont loin d’être des mécènes, s’ils ont décidé d’investir massivement dans l’industrie des minerais stratégiques, c’est que le Maroc constitue une plate-forme idéale pour exporter vers un marché potentiel d’un milliard de consommateurs, les Etats-Unis en tête. Comme le Royaume dispose de 54 accords de libre-échange qui permettent à ses produits d’accéder à ces marchés, dont celui de l’oncle Sam et de l’Europe, une implantation au Maroc permettrait aux Chinois de fournir les groupes américains. En effet, le royaume avait signé en 2006 un accord de libre-échange avec Washington qui intègre les minerais stratégiques et les composants de batteries dans la catégorie des produits exemptés de droits de douane. Les constructeurs automobiles américains sont d’ailleurs contraints par la législation de sourcer leurs composants comme «provenant de pays amis de Washington», dont le Maroc fait partie au risque de ne pas bénéficier aux Etats-Unis des confortables crédits d’impôts et des subventions de l’Inflation Reduction Act (IRA) .

Un petit bémol cependant, si le Maroc se positionne bien en leader mondial dans le domaine des minerais stratégiques, l’exploitation de cet énorme potentiel reste encore à développer et malgré un fort potentiel et une géologie diversifiée, le secteur minier au Maroc reste «sous-exploité», voire mal exploité. C’est d’ailleurs ce qui ressort des conclusions du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui avait rendu public en mars 2023, un rapport intitulé «Les minerais stratégiques et critiques contributeurs à la souveraineté industrielle du Maroc» qui avait listé les difficultés d’exploitation des 24 minerais essentiels pour le développement de 11 domaines à portée stratégique pour l’avenir du pays, insistant sur l’insuffisance de la production nationale à cause d’ efforts moindres en matière d’investissement et de renforcement des travaux d’exploration en amont, ainsi que l’absence de toute investigation ou de toute information officielle sur le potentiel minier de l’espace maritime marocain, y compris celui de nature stratégique et critique.

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Dans un rapport volumineux datant de 2021 paru dans la revue scientifique Nature, on apprenait ainsi que  le marché des batteries lithium, allait connaître une hausse de 30 milliards de dollars (27 milliards d’euros) en 2017 pour passer à 100 milliards (90 milliards d’euros) en 2025. Les batteries lithium-ion sont essentielles au fonctionnement de véhicules électriques de dernière génération, comme elles nécessitent peu d’entretien ne requérant pas de cycle périodique pour maintenir leur durée de vie, elle sont réputées garder une densité énergétique extrêmement élevée et peuvent de ce fait stocker les énergies renouvelables telles que l’énergie solaire et l’énergie éolienne.

En tout cas, si tout se passe comme prévu et même si tout n’est pas encore rodé, le royaume sera pourvu de plusieurs gigafactories à l’horizon 2030 et à la différence des économies européennes menacées de récession, et malgré des apparences trompeuses, l’économie Marocaine qui ne manque pas de tonus en profitera pleinement.

 
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