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L’option nucléaire proposée par la France pour décarboner l’économie marocaine est-elle vraiment viable?

Lors du forum économique Maroc-France qui s’est tenu le 26 avril à Rabat, le ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a exposé les domaines dans lesquels Paris souhaite collaborer avec le Maroc, parmi lesquels figure le nucléaire.

L’heure est à la décrispation. Après le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, Franck Riester, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, celui de l’Agriculture, Marc Fesneau (pour le SIAM), c’est au tour du ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, d’effectuer une visite de deux jours au Royaume. Le ministre français de l’économie est venu au Maroc avec plein de projets de coopération à même de relancer les relations entre les deux pays. Et dans ce nouveau grand boulevard de la coopération France-Maroc, la question de la décarbonation pour les énergies propres prend une place importante.

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Rappelons que depuis le 17e siècle avec la création de la machine à vapeur, l’énergie a toujours joué un rôle clé dans l’histoire de l’économie mondiale. L’historien français Braudel, dans son livre « La dynamique du capitalisme », a démontré comment grâce à l’énergie, l’industrie a été transformée et même la mobilité des marchandises, notamment avec le commerce au loin. Aujourd’hui, dans ce siècle des économies-monde, des grands marchés internationaux et de la mondialisation heureuse, « l’énergie est indispensable à l’instauration d’une croissance économique durable et à l’amélioration du bien-être des populations », constatait l’Agence internationale de l’énergie atomique dans son dernier rapport.

« Le nucléaire ouvre la voie à une énergie propre, fiable et à un coût abordable, qui contribue à l’atténuation des effets négatifs des changements climatiques. Il représente déjà une part considérable du bouquet énergétique mondial et son utilisation devrait augmenter dans les décennies à venir ». Très avancée sur ce chantier du nucléaire civil, la France, au travers de son ministre de l’économie, se dit prête à collaborer avec le Maroc.

“J’ai également mis sur la table la possibilité d’une coopération dans le domaine de la production d’énergie nucléaire. Vous savez qu’à la demande du président de la République, nous travaillons sur ces fameux SMR, des réacteurs modulaires de plus petite taille. Au gouvernement marocain de décider s’il peut être intéressé par cette coopération”, a annoncé à ce propos Bruno Le Maire.

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Aujourd’hui, face aux défis écologiques, l’énergie nucléaire se présente comme une alternative idoine. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Ghana, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis… Vingt-deux pays se sont engagés à tripler les capacités de production nucléaire d’ici à 2050. Au Maroc, l’heure est également à la réflexion sur cette question. « Le Maroc accorde une attention particulière aux petits réacteurs modulaires (PRM) du fait de leurs nombreux avantages – notamment leur adaptabilité, qui facilite l’intégration », avait déclaré en septembre Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, dans une déclaration adressée au forum scientifique de l’AIEA.

Une solution pour l’eau ?

L’eau devient de plus en plus rare dans de nombreuses parties du monde. Le problème de la pénurie d’eau, chronique dans certaines régions du monde notamment celui du Maroc, se pose avec acuité. Avec la rareté de la ressource hydrique, dans de nombreuses grandes villes, la seule solution pour éviter de transporter sur de longues distances l’eau provenant des sources naturelles est d’avoir recours au dessalement de l’eau de mer.

À l’heure actuelle, le dessalement constitue le seul moyen rentable d’obtenir de l’eau en dehors des sources classiques, et c’est la seule technique qui puisse être appliquée à l’échelle industrielle. Selon l’AIEA, évidemment un apport marginal à l’approvisionnement par les moyens classiques. Pendant les dix dernières années, la capacité de dessalement a augmenté de 18% par an et il est presque certain que ce taux de croissance sera beaucoup plus élevé au cours des prochaines années. Alors même si la technologie du dessalement est une alternative au stress hydrique, la question du coût de l’énergie est un défi. Et aujourd’hui la source d’énergie nucléaire semble être une alternative.

Notons que l’Agence internationale de l’énergie atomique étudie les possibilités du dessalement nucléaire depuis les années 1960. Plusieurs États Membres de l’Agence se sont intéressés au dessalement nucléaire. C’est le Maroc qui semble voir dans ce procédé une piste intéressante pour le développement de son écosystème de station de dessalement. Le protocole d’accord entre l’entreprise marocaine Water and Energy Solutions et Rosatom dans le domaine du dessalement est un fait éloquent qui étaye les ambitions du Maroc dans ce chantier.

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Contacté par Challenge, l’expert en énergie Amine Bennouna, nous explique que : « si le Maroc se dote d’une centrale nucléaire, chaque réacteur nucléaire conventionnel aura une puissance voisine de 1’000 MW qui, avec 6’600 GWh permettrait d’alimenter 8 stations comme celle de Casablanca, ce qui est trop pour le Maroc d’aujourd’hui quel que soit le prix du kWh. Les « petits réacteurs modulaires » (SMR) qui permettraient d’assurer une puissance de 122 MW n’existent encore qu’au stade expérimental, ont des déboires (voir NuScale Power) et il n’y a encore aucune information fiable sur le coût de l’électricité qui serait produite ».

« Aujourd’hui, lorsque l’on écoute le discours de la France sur la solution du nucléaire, on voit juste la logique de vente et de construction de centrales nucléaires ». De son côté, l’expert en durabilité, Omar Beniacha, nous confirme que le « Maroc a des ambitions dans le domaine du nucléaire énergétique ». Cependant pour lui cette technologie a des coûts énormes ». « Ceci étant il faut reconnaître que l’énergie nucléaire est un bon moyen pour réduire le coût du dessalement et avoir évidemment un dessalement propre. En termes de timing je ne pense pas que cette ambition est pour aujourd’hui puisque la priorité qui affiche au plus haut sommet de l’État c’est d’avoir une offre hydrogène vert ».

 
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