Interview

Naoufal El Heziti : «Le CJD Maroc, un nouveau logos économique et de nouveaux départs»

Quelques jours avant de céder son fauteuil de président du Centre des jeunes dirigeants Maroc (CJD), Naoufal El Heziti dresse, dans cet entretien, le bilan des différentes actions qui ont été mises en œuvre sous sa mandature. Il nous livre également son appréciation sur le débat économique et politique dans le Royaume et lève le voile sur ses ambitions futures. 

Challenge : Vous êtes sur le point d’achever votre mandat de président du CJD Maroc. Quel bilan faites-vous de cette mandature à la tête de ce mouvement et quid des différentes actions que vous avez initiées ? 

Naoufal El Heziti : De prime abord, la mandature au CJD n’est pas seulement un président qui dirige un mouvement. Le CJD, c’est d’abord une institution, des valeurs, des commissions, des espaces, mais surtout un héritage, des «pasts» présidents, des ainés et des membres. C’est une façon de voir le monde, l’entreprise, la cité et la société, c’est aussi un pacte moral avant tout, en plus de donner du sens à des valeurs au risque d’y laisser des plumes. 

Au lieu de continuer éternellement le débat sur l’économie de la survie, nous avons proposé une économie de la vie et pour ce faire, il était important d’enlever le vernis du décorum, gratter un peu les sujets et aller un peu plus en profondeur dans les idées. Vous savez, le plastisme de la pensée est dangereux dans le long terme. Il faut constamment féconder ou choisir d’autres pensées, une nouvelle voix, faire des demi-tours, des déviations de trajectoire, repenser notre façon d’imaginer un lendemain, ni meilleur ni pire, mais certainement complètement différent.

Challenge : Lors de votre mandature, le CJD a mis en place un logos économique. Pourquoi ?

N.E.H : Si nous sommes subtilement inconstants, c’est justement pour aller de l’avant. C’est une façon de dire que le vrai combat pour nous tous, c’est de renaitre chaque jour, de chercher ensemble comment rendre ce monde plus vivant et en faire un lieu vibrant, de s’engager sur le terrain, de refuser catégoriquement de s’éteindre, de se plier face à l’hostilité et la cruauté. Ainsi, durant ce mandat, nous avons juste essayé de se proposer à travers une approche différente centrée sur la pensée. 

Mais aussi parce qu’en participant à des conférences au Maroc et ailleurs, j’ai l’impression que la mini synthèse est faite, tout le monde dit et redit la même chose, ce sont les mêmes mots, les mêmes intentions. C’est pour cela, il me semble, qu’il fallait sortir complètement du débat actuel, technocratique, trop rationnel, ancré sur le présentisme pour aller reconquérir d’autres champs, et d’autres terrains, parce qu’il y a des terrains que nous avons désertés, des terrains que nous avons abandonnés. 

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Il s’agissait donc de reconquérir le champ de la pensée, le champ de la culture -je parle ici de la culture et non pas du folklore- mais aussi le champ de la souveraineté intellectuelle, reconquérir le champ de l’éducation, relire l’histoire, revisiter la sociologie, écouter la nouvelle génération, redéfinir l’imaginaire politique, l’imaginaire économique, la technologie, l’humanité, liquider certaines pensées et contextualiser le débat. Par ailleurs, nous avons essayé d’échapper à un piège. Nous vivons dans une époque où nos façons ordinaires de nourrir les idées consistent à les compartimenter. Durant cette mandature au CJD, nous avons choisi le chemin inverse, nous avons provoqué des étincelles, nous avons essayé d’éveiller les consciences au lieu de la parole simple, nous avons fait le choix de la nuance.

Dès le début du mandat, nous avons posé la question suivante : quel est le destin d’une civilisation, d’un groupe, d’une entreprise où l’esprit est si plat que le signifiant et le signifié se confondent ? Essayons de mettre le nez dehors pour reconsidérer les sujets. Et c’est parce que nous sommes économiquement, socialement et sociétalement responsables et engagés que nous osons réfléchir et débattre. 

Challenge : Qu’entendez-vous par l’éthique et l’esthétique du dedans au CJD ?

N.E.H : Vous m’avez suivi alors, je vais vous le dire : la belle pensée décore l’âme et chacun choisira le chemin qu’il souhaite et donnera à sa vie le sens qu’il veut. Quel que soit votre métier, votre domaine de compétence, ce qui peut s’appliquer à un chef de gouvernement on peut l’appliquer à un simple citoyen, la seule différence c’est l’intention interne.

Challenge : De nombreuses rencontres de haut niveau en présence d’éminents spécialistes ont permis d’alimenter les débats du CJD et de ses membres sur les enjeux économiques, sociaux, sociétaux et environnementaux à venir. Que vous ont inspiré ces différentes rencontres thématiques ? 

N.E.H : Ces deux dernières années, le CJD a mobilisé plus de 50 intervenants, experts dans plusieurs domaines : économie, entreprise, sociologie, anthropologie, technologie… Il y a deux points communs entre les différents intervenants à hiérarchiser : «l’amour du pays avec un rappel de ce que nous sommes et par la suite la prise de conscience sur l’immensité des accélérations, une vraie quête de sens. Ceci étant, le point crucial, c’est non seulement l’immensité des accélérations et transformations, mais le fait qu’elles signifient une vraie modification complète de nos idées et de l’ordre social. 

Challenge : Aujourd’hui, quel est votre avis sur le débat économique au Maroc ?

N.E.H : Je connais plusieurs économistes marocains avec de grandes visions et profondeurs, mais depuis un moment, il me semble que le débat économique au Maroc est trop centré sur la fiscalité, les outils de financement, l’entreprise dans le sens de la compétitivité et il me semble que le débat économique, c’est un débat de pensée d’abord où la démographie, le culturel, l’anthropologie, la structure famille, la sociologie sont des éléments à intégrer dans le ou les choix économiques. Le débat économique a été réduit à des taux politiques. Le Covid était un vrai stress et un test intéressant d’un point de vue économique et social. Six mois étaient suffisants pour remettre en cause les business models mondiaux, basés pourtant sur un schéma économique maitrisé d’une manière ou d’une autre ces 30 dernières années. Aussi, il y avait la data pour le verrouiller. En ce moment, nous sommes encore dans la construction de la data pour revoir les business models et ce ne sont pas des décisions techniques qui vont nous permettre de continuer sur notre chemin de développement, c’est la création des idées et le vrai défi à mon sens n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées obsolètes.

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Challenge : Quid de l’économie de demain ? 

N.E.H : Je dirais plutôt la société de demain, celle d’aujourd’hui est digitalisée et robotisée, elle a eu du mal à comprendre les grandes transitions, les grandes accélérations, une société dévorée par l’économie et il me semble que nous allons arriver à un moment où le développement doit chercher à favoriser la richesse de la vie humaine, plutôt que la richesse de l’économie dans laquelle les êtres humains vivent, au lieu d’accorder la priorité à des mesures comme le PIB, le but devrait être d’élargir les capacités des humains (how to build capability and not project). Une société, un monde, où chacun peut trouver dignité, opportunité, équité sociale et où nous pouvons tous le faire dans la limite des moyens de notre planète, source de notre vie.

Challenge : Quel regard portez-vous sur la politique ?  

N.E.H : À travers les rencontres que j’ai pu avoir, il me semble que les partis politiques ont déserté le sens de ce qu’est l’action politique ; il y a plus de partis que de politiques. Aujourd’hui, il y a des mouvements, mais un parti idéologiquement structuré avec une vision du futur ou de l’avenir appuyée par une longue mémoire, avec une vision de ce qui est à accomplir, constitue un idéal à réinventer. La politique n’a plus de rapport avec la pensée, la politique a un rapport avec les chiffres, un rapport avec un moment économique, un rapport avec des statistiques et il me semble important de réinventer le débat politique et surtout le langage politique lui-même. 

Challenge : Le CJD, c’est aussi une aventure humaine. Que retenez-vous sur ce point à l’issue de votre mandat ?

N.E.H : J’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes extraordinaires qui ont sublimé ma vie, mais aussi des livres, des endroits, des espaces qui ont façonné et qui façonnent au quotidien ce que je suis. Ils m’ont aidé à rester parfaitement ancré dans ce que je souhaite. 

Challenge : Patron d’entreprise accompli, vous disposez également de plus d’une vingtaine d’années d’expérience en économie, finance et nouvelles technologies. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’entrepreneuriat dans notre pays ? 

N.E.H : Au CJD, nous considérons que l’entrepreneuriat ou l’entreprise d’une manière générale est le reflet de notre époque, le reflet aussi de toute une génération, une génération qui a changé son rapport avec l’entreprise. Si avant, l’entreprise était un moyen cela veut dire qu’on s’engage dans une entreprise en échange de la sécurité de l’employabilité. Or la jeune génération attend des entreprises qu’elles soient porteuses de sens et qu’elles leur permettent de grandir en tant qu’homme et femme. Nous sommes face à une génération pour laquelle travailler doit être source d’impact et d’utilité.

Et pour le faire, nous avons besoin d’une entreprise basée sur la communauté, des entreprises et des entrepreneurs au sens noble, au sens humain. Nous avons besoin d’entreprises qui s’engagent sur le territoire pour avoir de l’impact dans un monde à reconstruire, une entreprise et des entrepreneurs humbles, et il est important dans l’entreprise de développer la culture du «care» et reconsidérer notre rapport à l’autre. Je crois profondément dans la volonté de bâtir des projets collectifs qui font sens au sein de l’entreprise.

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Challenge : Justement, quels conseils donneriez-vous aux jeunes entrepreneurs pour leur assurer la réussite dans leur projet ? 

N.E.H : Je n’aime pas la posture de donneur de leçons, mais si je dois exprimer quelques idées, pas seulement aux jeunes entrepreneurs, l’entrepreneuriat seul n’est pas une cause pour moi, c’est le potentiel humain qui est essentiel, entrepreneur, étudiant, homme, femme… Le mental intuitif, c’est un don sacré et le mental rationnel est un serviteur fidèle. Je crois beaucoup en la voix interne, couplée à l’effort et à la simplicité.

Challenge : Allez-vous continuer à œuvrer pour les jeunes dirigeants d’entreprises ? Quelles sont désormais vos nouvelles ambitions ?

N.E.H : S’engager et avancer est un chemin de vie, je continuerai à m’engager et à croire en la jeunesse de mon pays dans toutes ses composantes, dirigeantes ou pas, diplômée ou pas. C’est un devoir moral, c’est une responsabilité. J’ai eu l’occasion de recevoir et j’en suis très reconnaissant, et maintenant il faut donner, redonner. La notion de l’héritage est importante, allumer des âmes libres, accompagner, monitorer, diriger, éclairer, c’est notre devoir à tous. Contribuer au développement de notre pays est un devoir et si je peux aider un jeune à ouvrir des horizons ou juste redonner espoir, c’est un bel accomplissement pour moi. Je me dois de continuer sur le même élan, je crois beaucoup à la jeunesse de notre pays, en la société civile, j’ai grandi dans une famille où j’ai été élevé avec le goût du don, du partage et de la réciprocité.

Son parcours 
Natif de Tanger, Naoufal El Heziti, âgé de 46 ans, est titulaire d’un Exécutif Economy & Finance de Harvard Business School de Boston, d’un DESS en Ingénierie financière de Montpellier 1 et d’une licence appliquée en Management financier à l’Université Mohammed V de Rabat. CEO de Global Business Delivery, il intervient depuis plus de 22 ans en qualité d’expert international sur les projets de refonte des business models et modèles économiques, il a participé à plusieurs projets structurants au Maroc, notamment «le Programme Émergence Maroc», ainsi qu’aux projets avec forte composante économique et financière. Il a notamment été consultant senior chez Mazars, CFO Logica GO (Maroc et Inde), directeur financier de la CGI / Groupe CDG et directeur Filiales & Participations de la CGI / Groupe CDG.
Président national du Centre des jeunes dirigeants Maroc, membre du Conseil d’administration du CJD international, de Maroc PME, de l’IMA et administrateur dans plusieurs sociétés, en plus d’être conférencier international, souvent invité à animer et enrichir les débats économiques avec des intervenants de renom (Jacques Attali, Daniel Cohen…).

Son actu 
Son mandat à la tête du CJD ayant arrivé à terme le 30 juin dernier, Naoufal El Heziti a cédé son fauteuil de président national au profit de Zaineb Lazreq. 

 
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