Dossier

Le crash du cash n’aura pas lieu

Les débats sur la disparition programmée de la monnaie scripturale ne sont que le nouvel épisode d’un vieux serpent de mer. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Les avis divergent entre ceux qui estiment que c’est l’occasion pour le Maroc de refaire un lifting de son système financier, et ceux pour qui rien de bon n’en sortira. 

Les billets de banque sont-ils menacés d’extinction ? La question est provocante et bien contraire à la réalité. Mais sans être capable de prédire l’avenir, on peut constater que, jusqu’à présent, les échanges se font toujours en bonne monnaie sonnante et trébuchante, comme il semble que les Marocains ont toujours trouvé le moyen de conserver la valeur du cash au-dessus de tous les autres moyens de paiement. 

La pandémie du Covid avait été appréhendée comme un mal pour un bien par les banques qui avaient vite vu dans les restrictions imposées par les services de santé, l’occasion rêvée de régler leur compte aux paiements par espèce. Ce qui avait conduit l’Observatoire de la sécurité Français des moyens de paiements à souligner combien la pandémie avait modifié la façon de payer les achats : moins de liquide et plus de cartes de crédit et même un accroissement du sans contact avec ces dernières.

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Si la baisse du poids des espèces dans les transactions correspond en Europe à une indéniable réalité, il ne faudrait pourtant pas en conclure que notre économie, elle aussi se dirige vers la fin du cash. Bien au contraire, contre toute attente, les incertitudes liées à la crise du Covid-19 ont poussé les Marocains à revenir aux usages de «bon papa»  avec une explosion de la demande de cash (+20% en 2020) et c’est ce que montrent des économistes de Bank Al-Maghrib, dans une récente étude à l’intitulé significatif: «Estimation du cash non transactionnel». 

Les chercheurs, qui se sont penchés sur l’utilisation des espèces par les marocains ont constaté que la demande en cash connait toujours un essor soutenu avec une croissance annuelle moyenne de la monnaie fiduciaire, durant les deux dernières décennies de l’ordre de 8%, soit le double du taux de croissance moyen du PIB sur cette même période. 

Ce qui correspond à une situation où chaque habitant marocain est censé être en possession d’un montant cash de 8780 DH. Il faut dire que par coupure, la demande pour la plus grosse, soit 200 DH a fortement progressé durant les dernières années. En effet, le billet de 200 DH représente 75% du total de la fiduciaire en 2022, contre seulement 47% en 2000.

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Dans le document, d’après les méthodes empiriques utilisées pour estimer le cash caché et celui utilisé effectivement, on constate que les petites coupures sont essentiellement utilisées pour des motifs de transaction, alors que les grandes sont détenues pour d’autres motifs, par exemple de précaution de spéculation ou encore de thésaurisation.  

Pour le dire crûment, le royaume est champion de la circulation fiduciaire dans le PIB, l’un des plus élevés du monde. A plusieurs reprises, la plus haute autorité bancaire du pays a tiré la sonnette d’alarme sur une situation critique. Ce qui faisait dire au Wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, lors d’un point de presse tenu à l’issue du dernier Conseil de BAM, que l’explosion du volume de monnaie fiduciaire en circulation au Maroc pesait lourdement sur les liquidités des banques et qu’il s’est accentué ces dernières années, à cause des effets de la montée inflationniste.

Surtout que ces dernières font face à un réel manque de liquidités, les contraignant à se financer davantage auprès de la Banque centrale. Ainsi, la circulation fiduciaire s’est établie à 393,5 milliards de DH à fin 2023, soit son plus haut niveau historique. Dans ce contexte, d’après Bank Al-Maghrib, le déficit de liquidité bancaire devrait continuer de se creuser pour s’établir à 92,6 milliards de DH à fin 2023 et à 121,3 milliards en 2024.

Pourquoi le cash fait autant de résistance ?  Il y a à cela plusieurs facteurs bien connus, dont le plus évident est le poids d’un informel dans l’économie estimé à 30% auquel on peut ajouter la volonté d’échapper au contrôle du fisc sans oublier les activités illicites comme le trafic de drogue. D’une manière générale, pour beaucoup de Marocains, le liquide est un instrument de liberté qui permet de payer sans laisser de trace même s’ils n’ont rien à cacher ou à se reprocher, ils ne se sentent pas obligés de dévoiler leurs moindres dépenses aux banques, aux réseaux sociaux , à leurs proches ou encore aux services du fisc. «J’ai été stupéfait par l’ampleur des demandes de transfert de fonds en liquide et ne provenant pas forcément des établissements bancaires », explique un ancien cadre supérieur français d’une entreprise internationale bien connue de transfert de fonds au Maroc.   

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Dans le lot, on peut aussi citer la progression soutenue des recettes du tourisme qui se font en majeure partie en cash et surtout l’explosion des transferts des MRE de ces dernières années, qui alimentent le cash en circulation dans le Royaume.  

Dans sa croisade contre le cash, Abdellatif Jouahri, préconise notamment de s’attaquer aux résistances d’ordre culturel: «Dans notre pays, le cash est une tradition parce qu’il est facile et sans risques. Un changement de mentalité est nécessaire, mais, explique-t-il, «c’est ce qu’il y a de plus difficile».

Dans ce domaine, il y a eu beaucoup de créativité de la part des Marocains même si les instruments fiscaux, bancaires, politiques, économiques pour passer à un système dématérialisé constitue toujours dans l’esprit de beaucoup d’élus et d’acteurs économiques, un pis-aller alors que le bon vieux cash reste un signe de bonne santé de la société, avec le sentiment, bien discutable, que tout le monde s’enrichit. Il faudra attendre les résultats de la nouvelle campagne sur «l’amnistie sur le cash » déclenchée il y a quelques jours de cela, qui a pour objectif justement de permettre aux personnes concernées de se fondre dans la sphère de l’économie formelle sans risquer de poursuites judiciaires. Ce «dispositif de régularisation fiscale volontaire» consiste à offrir aux opérateurs concernés l’opportunité de régulariser leur situation fiscale moyennant une incitation préférentielle. Les banques ont été appelées à recevoir les fonds destinés à être régularisés et à percevoir le montant de la contribution libératoire correspondante.

Au-delà de savoir si la disparition du cash est vraiment une bonne chose pour l’économie du pays, ce combat contre la circulation sous le manteau de sommes d’argent faramineuses est une longue guerre d’usure, qui nécessite ténacité et persévérance. Car, même si les services financiers du pays ont une mission spécifique à remplir, ce sont surtout les citoyens qui doivent être convaincus du cercle vertueux de passer à une économie démonétisée. Dans cette lutte, ils ne sauraient demeurer l’angle mort. Cela passe d’abord par le rétablissement de la confiance des ménages dans le système banquier, l’élargissement de l’inclusion financière des habitants et une adhésion plus large aux nouvelles solutions de paiement.

 
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