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Malls: une floraison à haut risque

Au Maroc, l’essor rapide des malls transforme le paysage commercial et attire les consommateurs en quête de nouvelles expériences d’achat. Cependant, cette expansion rapide pose des questions essentielles concernant la durabilité à long terme de ce modèle et les risques pour les investisseurs et les enseignes impliquées. Ces interrogations prennent tout leur sens à la lumière des fermetures et des départs de franchises observés ces derniers temps. Panorama.

Au Maroc, les centres commerciaux poussent comme des champignons. Chaque ville, chaque quartier semble vouloir son propre temple de la consommation, attirant les grandes marques et les consommateurs en quête de nouveautés. Cependant, cette prolifération soulève des questions importantes quant à la viabilité de ce modèle commercial et à la planification urbaine.

Anouar El Basrhiri, Dg de TMS consulting explique à cet effet, que «la multiplication des centres commerciaux au Maroc particulièrement à Casablanca, Marrakech et Rabat soulève des questions importantes sur la capacité du marché à absorber tous ces nouveaux acteurs sans subir de conséquences négatives. Bien que l’ouverture de malls puisse dynamiser l’économie en créant des emplois et en offrant une expérience de shopping moderne, il existe un risque de saturation qui pourrait intensifier la concurrence avec le commerce de détail traditionnel et menacer les petits retailers, c’est pour cela qu’il faut s’assurer que la croissance rapide du nombre de malls ne dépasse pas la croissance de la demande. Pour éviter un impact négatif, il est crucial de réaliser des études de marché détaillées avant de développer de nouveaux centres commerciaux et d’adopter une planification urbaine qui équilibre les bénéfices des malls avec la croissance de la demande».

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Toutefois, avant d’en arriver à la viabilité de ces projets, il est nécessaire d’avoir un aperçu général de ce secteur. Amine Megzari, Fondateur de l’Agence MEEM et expert de plus de 22 ans dans le secteur de l’immobilier commercial au Maroc explique dans ce sens, que «près de 90% du secteur du retail au Maroc est composé d’enseignes internationales et seulement 10% d’enseignes nationales. Cette donnée est problématique en soit, car nous dépendons fortement de l’implantation d’enseignes étrangères».

Cartographie du Retail

Concernant le développement de ces enseignes internationales, l’expert nous explique qu’elles se sont développées au Maroc soit à travers des masters franchises, soit en propre «Il y a en premier, les groupes venus du Moyen Orient qui détiennent des masters franchises d’enseignes internationales pour toute la zone MENA. Ces groupes ont installé au Maroc plusieurs marques connues et ont fait ce que j’appelle du darwinisme, cela veut dire qu’ils ont installé plusieurs dizaines d’enseignes en laissant la sélection naturelle faire son travail sans prendre en considération la culture et le pouvoir d’achat des marocains. Rapidement, plusieurs d’entre-elles ont fermé laissant une vacance assez conséquente dans certains centres commerciaux», précise Amine Megzari.

Toujours selon ce dernier «il y a eu ensuite l’avènement des enseignes turques qui se sont installées en propre et qui ont bénéficié il y a plusieurs années, des accords de libre-échange entre les deux pays, mais également des aides de leur pays d’origine. Cette concurrence très forte basée sur le prix bas et sur des implantations sur des superficies très importantes ne laissent aucune chance aux autres enseignes ou groupes de se développer».

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L’expert souligne aussi «qu’il existe un grand groupe marocain qui détient un important portefeuille de marques prestigieuses, mais qui ne se développe qu’en propre, cela veut dire que ce groupe ne développe ces marques que dans ses propres actifs ». « Et enfin, la dernière catégorie qui est celle des groupes marocains détenant une ou plusieurs franchises d’enseignes internationales, est celle qui constitue la majorité du secteur et c’est celle qui souffre le plus car en plus de la taxation et des loyers qui peuvent parfois être très importants, elle fait face aux éléments conjoncturels au niveau mondial avec la faillite des maisons mères » précise-t-il.

De nouveaux entrants étrangers notamment européens, qui sont arrivés avec quelques cartes d’enseignes internationales mais leur impact sur le secteur est minime.

Cette cartographie du secteur du Retail ne laisse guère le choix pour le consommateur final, car en fin de compte il se retrouve avec une offre réduite ou une offre qui ne correspond pas à son pouvoir d’achat. Il ne faut pas oublier que le Maroc est avant tout un marché mass market avec un pouvoir d’achat plus que limité.

Solutions urgentes

Aujourd’hui, selon Amine Megzari « il faut un plan marshal pour dynamiser ce secteur et le rendre viable à la fois en soutenant la création d’enseignes et marques 100% marocaines dans le Retail et qui vont répondre aux besoins des marocains (comme ce que la Turquie a fait dès les années 90) mais également en allégeant la taxation pour les groupes marocains détenant des cartes d’enseignes internationales, afin que ces derniers puissent proposer des produits aux bons prix ».

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Abondant dans le même sens, Anouar El Basrhiri explique pour sa part que face à cette crise du retail au Maroc, plusieurs initiatives et solutions peuvent être envisagées pour atténuer ses effets négatifs. «Je vais me limiter à deux actions importantes qui peuvent jouer un rôle crucial dans la relance du secteur. Premièrement, une intervention gouvernementale est indispensable pour réduire les taxes et les impôts pour les détaillants, ainsi que de mettre en place des programmes spéciaux en collaboration avec les banques. Ces programmes pourraient offrir des crédits adaptés au retail. Deuxièmement, il est essentiel que les dirigeants des commerces devraient être accompagnés pour développer et mettre en œuvre des stratégies commerciales et marketing adaptées aux évolutions du marché et de fournir à ces commerçants les outils et les connaissances nécessaires pour innover dans leur approche du marché, améliorer l’expérience client et augmenter leur compétitivité», souligne ce dernier.

Plusieurs défis

Mais avant de présenter les solutions, il est important de mettre en avant les défis à relever pour ce secteur. Amine Megzari explique à cet effet « Il y a d’abord la taxation qui grève l’activité et qui impacte fortement le business, mais ce n’est pas tout. Il y a ensuite le loyer car il occupe une des premières places lorsqu’il est question de charge fixe pour l’enseigne. Le taux d’effort (une corrélation entre le CA et le loyer) ne doit pas dépasser un certain seuil pour assurer la rentabilité d’une activité (autour de 10% en moyenne)». De plus, «certaines foncières ou groupes détenant plusieurs centres commerciaux prennent en considération cette notion en proposant des loyers ajustés en fonction de plusieurs paramètres comme l’historique de l’enseigne avec le groupe, le nombre de points de vente, la superficie …

Ce n’est pas le cas pour le propriétaire d’un actif qui, lui, n’a pas toute cette data ou historique avec l’enseigne et qui propose des loyers qui peuvent être plus élevés mais qui sont justifiés par la nature de l’actif, son ciblage ou de son potentiel clients», précise ce dernier .

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En résumé, l’enseigne doit pouvoir payer un loyer proportionné et raisonnable en fonction de son activité et de l’autre côté, le propriétaire du centre commercial doit également s’y retrouver dans les loyers collectés pour rembourser son investissement. Un échange franc et continu entre l’enseigne et le centre commercial permet de lever les sujets de discorde liés à ce point.

Mais il n’y a pas que les taxes ou les loyers, «il y a aussi parfois des problèmes structurels chez certaines enseignes : une offre et un achalandage inadéquat pour une clientèle marocaine dorénavant ultra connectée, un service client peu performant, un personnel non formé, une absence de middle management, une absence d’enquête terrain pour analyser l’activité, un non-respect des dates des soldes …», précise le fondateur de MEEM.

Au final, un client veut pouvoir entrer dans un magasin et être bien accueilli, trouver une offre commerciale diversifiée avec des prix raisonnables et un personnel à l’écoute.

De son côté, Anouar El Basrhiri explique que «la crise du secteur du retail au Maroc est due à plusieurs facteurs critiques qui contribuent à des fermetures répétées de magasins. Tout d’abord, la concurrence qui est devenue très accrue, due à l’essor des grands centres commerciaux et des plateformes de e-commerce, impacte considérablement les petits commerces traditionnels. Ces derniers luttent pour rivaliser en termes de prix, de diversité des produits et de qualité du service client». «J’ajoute également que les coûts opérationnels dans le secteur du retail ont connu une hausse significative, notamment les loyers dans les emplacements stratégiques, ainsi que les coûts des matières premières et de la main-d’œuvre et sans oublier également l’augmentation des impôts dans certains secteurs. Cette augmentation des dépenses réduit les marges bénéficiaires», souligne-t-il.

Un autre élément critique selon l’expert, est le changement des habitudes de consommation qui commence à prendre une place importante dans tous les secteurs, influencé par une démographie de plus en plus jeune et connectée. «La croissance des achats en ligne a entraîné une diminution de la fréquentation des boutiques physiques, ce qui pèse lourdement sur le retail traditionnel», précise El Basrhiri.

Haro sur la réglementation !

L a réglementation concernant les enseignes du retail et la fiscalité contraignante peuvent présenter des défis majeurs pour les acteurs du secteur. Les franchises, en particulier, sont souvent les premières à souffrir de ces contraintes, ce qui pourrait entraîner leur départ prématuré du marché marocain. Cette instabilité peut non seulement affecter la diversité de l’offre commerciale dans les malls, mais aussi mettre en péril la pérennité de ces centres de shopping. Amine Megzari souligne à cet effet que dans PLF 2024, il était prévu que les droits de douane à l’importation passent de 40% à 30%. « C’est un coup de pouce qui a été donné pour soutenir les enseignes internationales notamment après les effets du Covid, mais ce n’est à mon sens pas suffisant pour sortir ces enseignes de la crise dont ils font face depuis plusieurs années », précise-t-il.

Il est donc crucial que les développeurs, les enseignes et les autorités compétentes collaborent étroitement pour garantir la durabilité du secteur du retail au Maroc. Des mesures telles que des études de marché approfondies, des incitations fiscales pour attirer les investisseurs et un cadre réglementaire plus favorable pour les enseignes étrangères pourraient contribuer à assurer une croissance plus maîtrisée et équilibrée du marché des malls dans le pays.

Q&R À Anouar El Basrhiri, DG de TMS Consulting

«Certaines franchises n’ont pas pu s’adapter aux spécificités du marché marocain»

Challenge : Les franchises sont-elles plus vulnérables que les autres formes de commerce face à cette crise du retail au Maroc ? Pourquoi ?
A.E.B :
Les franchises au Maroc, tout comme les autres formes de commerce, ressentent l’impact de la crise, mais avec des vulnérabilités et des avantages spécifiques.
D’une part, certaines franchises peuvent paraître plus vulnérables en raison de leur dépendance à des modèles d’affaires et des structures de coûts fixés par les franchiseurs. Cela inclut souvent des frais de franchise récurrents, des achats de stock auprès des franchiseurs ou des fournisseurs agréés, et des exigences strictes en termes de marketing et d’aménagement du point de vente, qui peuvent limiter la flexibilité des franchisés face aux changements économiques et spécificités du marché marocain.
D’autre part, les franchises bénéficient également de plusieurs atouts qui peuvent les aider à mieux résister à la crise. Elles profitent souvent d’une reconnaissance de marque et d’une fidélité clientèle déjà établies, qui peuvent être des atouts précieux lorsque les consommateurs sont plus prudents quant à leurs dépenses. De plus, les franchisés bénéficient du soutien du franchiseur en termes de formation, de marketing et de stratégies commerciales éprouvées.
Mais certaines franchises n’ont pas pu s’adapter aux spécificités du marché marocain ou elles sont mal accompagnées par leurs franchiseurs.

Challenge : Quels enseignements peuvent être tirés de cette crise du retail pour aider à prévenir de telles situations à l’avenir et à renforcer la résilience du secteur commercial ?
A.E.B :
La crise actuelle du retail au Maroc souligne l’importance vitale de la digitalisation et de l’adaptabilité des modèles d’affaires de retailers. La transformation digitale des retails n’est plus un choix, mais une obligation pour rester compétitif dans un marché en évolution rapide. En outre, la capacité d’adapter rapidement les stratégies commerciales est un atout majeur pour la survie et le développement des entreprises. Les entreprises qui ont pu rapidement adapter leur modèle d’affaires, que ce soit par la diversification des produits ou des services, ou par l’ajustement de leurs stratégies de marché, ont mieux résisté. La flexibilité et l’agilité doivent être intégrées dans la planification stratégique des retailers pour leur permettre de répondre rapidement à des changements imprévus.

 
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