Energie renouvelable

Badr Ikken: «Le potentiel de production d’hydrogène vert pourrait dépasser les 10 millions de tonnes par an»

Un an après la réunion stratégique sur la filière hydrogène, l’offre Maroc vient d’être achevée par le gouvernement. Dans cette interview accordée à Challenge, Badr Ikken, ancien Directeur Général de l’Iresen et Managing Partner du Cabinet Gi2 spécialisé en transition énergétique, fait le point sur ce nouveau chantier hautement important pour le Maroc.

Quels enjeux pour la feuille de route de l’Offre Maroc ?

L’hydrogène vert représente une opportunité stratégique majeure pour le Maroc, compte tenu de ses abondantes ressources renouvelables, parmi les plus élevées au monde, et de sa proximité avec l’Union européenne, qui ambitionne de diversifier ses sources d’énergie et de réduire sa dépendance aux combustibles fossiles. En développant sa capacité de production d’hydrogène vert, notre pays pourra renforcer sa sécurité énergétique en réduisant sa dépendance aux importations de combustibles fossiles et décarboner son économie afin d’atteindre ses objectifs de lutte contre le changement climatique.

En mettant en place une stratégie claire et transparente, le Maroc rassure les investisseurs sur les processus de mise en œuvre et assure l’émergence d’une filière compétitive d’hydrogène vert dans notre pays. Les milliards d’investissements prévus par le secteur privé permettront un développement économique conséquent et une création de nouveaux emplois dans les technologies vertes sur tous les maillons de la chaîne de valeur, notamment dans les secteurs industriels des composants de centrales solaires et de parcs éoliens, d’osmoseurs pour le dessalement d’eau de mer, d’électrolyseurs, de compresseurs, de piles à combustibles, d’infrastructures énergétiques de transport et de stockage, ainsi que dans une multitude de services en amont et en aval.

La production et l’exportation d’hydrogène vert et de ses dérivés contribueront également à renforcer la position de notre pays en tant qu’acteur clé sur le marché énergétique mondial, notamment vis-à-vis de nos voisins européens, qui cherchent à sécuriser des sources alternatives et durables d’énergie.

L’objectif est de capter un maximum de valeur ajoutée, et l’approche intégrée développée par les pouvoirs publics est très pertinente car elle permet d’encourager le développement économique régional à travers la priorisation de l’allocation des terrains et une intégration industrielle massive de la chaîne de valeur de l’hydrogène vert dans le cadre de la charte d’investissement.

Plusieurs actions concrètes ont été initiées depuis cinq ans pour renforcer les capacités et mettre en place des infrastructures de recherche. Il sera nécessaire d’encourager encore plus la recherche et développement et d’allouer une part significative des investissements dans la R&D pour améliorer les technologies, baisser les coûts et accompagner l’industrie nationale afin de devenir un leader dans la production et l’exportation d’hydrogène vert, mais également un acteur majeur du développement des technologies propres et des services y afférents.

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Le foncier a toujours été une véritable problématique, comment dans le chantier de l’hydrogène, l’on compte dépasser cette contrainte ?

Pour éviter les contraintes de foncier et de terrain, notamment la préemption et la spéculation, dans le cadre du développement de projets d’hydrogène vert, l’offre Maroc adopte une approche structurée et cadrée, en s’inspirant des meilleures pratiques internationales. La planification et le zonage des terrains ont été effectués en tenant compte des aspects environnementaux, sociaux et économiques afin d’éviter les conflits d’usage, notamment la concurrence de zones agricoles ou la limitation du développement urbain. Les terrains non productifs et dégradés sont priorisés, mais nous assisterons également à des évolutions intégrées intéressantes qui permettront, par exemple, la valorisation agricole de terrains semi-désertiques, la réhabilitation minière et l’émergence de vallées et d’oasis d’hydrogène vert qui contribueront au développement économique de sites isolés et à l’essor de nouvelles villes adjacentes.

La mise en place d’un processus transparent impliquant, à toutes les étapes de sélection et d’allocation du foncier ainsi que de suivi des projets, les parties prenantes concernées, avec des comités de pilotage, d’investissement, l’autorité locale et un guichet unique qui est MASEN, encadrera efficacement la filière.

Il est fort probable qu’un système de leasing à long terme et de concessions aux développeurs d’hydrogène vert soit mis en place. Cela permettra de maintenir le contrôle sur l’utilisation du terrain et de prévenir la spéculation. Le contrôle du respect de la mise en œuvre des projets permettra également d’éviter la rétention spéculative des terrains.

Nous pouvons nous réjouir de l’approche holistique et inclusive adoptée par l’offre Maroc, qui prend en compte à la fois les opportunités de l’émergence d’une filière compétitive d’hydrogène vert, mais également les besoins de développement économique régional, les préoccupations environnementales et sociales et la préservation des écosystèmes locaux.

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Comment éviter l’expérience MASEN avec la non-maîtrise du coût de la technologie ?

Je souhaiterais, tout d’abord, rappeler le fait que MASEN a été mandaté par les pouvoirs publics pour développer des projets structurants et intégrés d’énergies renouvelables avec l’objectif primaire de baisser notre dépendance énergétique, décarboner une grande partie de notre mix énergétique afin de respecter nos engagements de lutte contre le changement climatique. La mise en œuvre du plan solaire Marocain intégré a permis de renforcer massivement les capacités dans le domaine du financement, de la structuration, de la réalisation de grands projets énergétiques d’envergure.

Les projets Noor ont permis de positionner notre pays sur l’échiquier mondial et la centaine d’investisseurs désirant aujourd’hui développer des projets d’hydrogène vert au Maroc ont priorisé, certes, notre pays pour ses ressources, sa stabilité politique et économique, mais surtout pour son expertise et expérience avérées dans le domaine des technologies propres. Grâce à la vision clairvoyante de Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, nous avons prouvé au monde entier que nous étions capables de gérer et de réaliser des projets d’envergure internationale.

L’approche adoptée dans le cadre de la feuille de route Hydrogène vert diffère de celle du plan solaire intégré dans la mesure où les pouvoirs publics ne vont pas réaliser les projets mais veilleront à la mise en place d’un environnement favorable et attractif pour l’émergence de la filière et accompagneront le secteur privé dans la réalisation des projets d’hydrogène vert et de dérivés. Cela aura l’avantage de ne pas alourdir les caisses de l’État et d’avoir un engagement et une approche pragmatique des porteurs de projets qui ne ménageront pas d’efforts pour garantir la rentabilité et la viabilité de leur projet.

Ces consortiums pourront, bien évidemment, profiter des incitations publiques au niveau national dans le cadre de la charte d’investissement, mais aussi international, encourageant l’amorçage des premiers projets d’hydrogène vert tout en s’appuyant sur des stratégies progressives, en commençant par répondre aux besoins de marchés immédiats, tels que l’ammoniac vert, offrant une facilité de stockage et de transport par rapport à l’hydrogène pur, et une utilisation établie dans les secteurs de l’agriculture comme engrais et de l’industrie chimique. Ensuite, il sera pertinent également de se positionner sur des dérivés à forte valeur ajoutée tels que le méthanol et les carburants durables pour l’aviation.

Une approche modulaire et progressive dans le développement de projets d’hydrogène vert permettra de tester, d’ajuster et d’optimiser les technologies et les processus avant de s’engager dans des déploiements à très grande échelle (approche pragmatique du Groupe OCP), limitant ainsi les risques financiers. La mise en œuvre de projets à grande échelle générera ensuite des économies d’échelle, réduisant ainsi les coûts unitaires. De plus, l’adoption de standards technologiques peut faciliter l’interopérabilité et réduire les coûts de développement et de maintenance. La coordination du secteur et le pilotage à travers des organes dédiés dans le cadre de l’offre Maroc permettront de répondre aux besoins des consortiums en mutualisant les investissements dans les infrastructures et de réduire les coûts.

La collaboration et les partenariats stratégiques entre différents acteurs industriels et académiques au niveau national et international permettront également d’établir des chaînes d’approvisionnement efficaces pour les équipements et les matériaux nécessaires pour la filière d’hydrogène vert et d’accéder à des technologies avancées et à des innovations en partageant les risques et les coûts.

En adoptant ces approches, le secteur privé pourra non seulement gérer efficacement les coûts associés au développement des projets d’hydrogène vert, mais aussi positionner notre industrie comme compétitive et durable au niveau international.

 
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