Chronique | Le Monde qui vient - Notes de lecture

Ce qui nous attend [Par Eric Besson]

11 septembre 2001. Les Etats-Unis subissent en plusieurs points de leur territoire des attentats terroristes d’une ampleur inégalée. Ebahi, le monde entier assiste à l’effondrement des « Twin towers », du World Trade Center, à Manhattan, au cœur de New-York. Ces attentats, revendiqués par « Al-Qaida », vont provoquer la mort d’environ 3.000 personnes. L’inimaginable vient de se produire. La première puissance mondiale, celle qui domine sans conteste le monde depuis 1945, celle que l’ancien ministre Hubert Védrine qualifiait « d’hyperpuissance » après la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’URSS, vient d’être frappée en son point névralgique.

Le soir même, comme le rappelle le Général Dominique Trinquand, militaire et diplomate français dans « Ce qui nous attend » (Editions Robert Laffont, 2023), le Président américain George W. Bush prend la parole et affirme : « les attentats terroristes peuvent secouer les fondations de nos immeubles les plus hauts mais ils ne peuvent pas ébranler les fondations de l’Amérique ». Le livre montre que ce ne sera pas tout à fait exact. Certes, les Etats-Unis demeurent en 2023 la première puissance économique et militaire mondiale. Certes, leur créativité, leurs universités, leur énergie vitale continuent de promouvoir un « rêve américain » attractif qui draine à lui de nombreux talents, mais le pays est miné par ses divisions et sur le plan géopolitique sa toute-puissance est largement remise en cause par l’émergence d’autres grandes puissances (Chine, Inde notamment) et la volonté des pays dits du « Sud global » d’établir un nouvel ordre mondial basé sur le multilatéralisme.

L’auteur voit dans ce 11 septembre le premier exemple de « l’effet papillon », de conflits qui vont transformer la face du monde, car, en représailles, les Etats-Unis vont déclencher, un mois après, une intervention militaire en Afghanistan pour y renverser le régime des talibans, considérés comme le siège opérationnel de l’organisation Al-Qaida. Ils tenteront ensuite d’y établir une démocratie avant de quitter Kaboul à l’été 2021 dans des conditions catastrophiques … et d’assister au retour des talibans. Ce qui fait dire au Général Trinquand, qui ne ménage pas les Américains : « Les interventions militaires américaines sont certes impressionnantes, mais les résultats sont loin d’être positifs. L’usage de cette force démesurée permet de gagner des batailles mais est loin de gagner la guerre ». Puis George W. Bush, qui a nommé ce qu’il appelait alors « l’axe du mal » : la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak, décide – prétextant la détention par Bagdad d’armes de destruction massives dont la preuve ne sera jamais apportée – d’intervenir en Irak. L’alliance occidentale se fissure ; la France, par la voix de Jacques Chirac et Dominique de Villepin, s’oppose à cette intervention. Le livre rappelle des anecdotes cocasses presque oubliées aujourd’hui. La position de la France indigne tellement les Américains que les frites, « French fries » en anglais, sont alors rebaptisées pendant quelque temps « Freedom fries », frites de la Liberté.

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Les Etats-Unis vont enfin entamer leur crédibilité de très grande puissance lors de deux épisodes, deux « volte-face ». Lors du premier, en 2013, le Président Obama édicte une « ligne rouge » : il prévient le Président syrien Bachar al-Assad que les Etats-Unis et ses alliés interviendront s’il utilise des armes chimiques contre sa population. Dans la foulée, l’utilisation de gaz sarin en banlieue de Damas contre des opposants syriens (le « massacre de la Ghouta ») est alors considérée par la communauté internationale comme un clair franchissement de cette « ligne rouge ». Mais Barack Obama stoppera l’intervention aérienne des alliés alors que les avions sont déjà en vol…. En 2014, ensuite, les Etats-Unis, pourtant signataires avec le Royaume-Uni des accords de Budapest, garantissant notamment l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ne réagiront que très faiblement à l’annexion de la Crimée par la Russie. Conséquence : les Etats-Unis font moins peur, la fiabilité de leur parole donnée remise en cause. De nombreux pays en tireront des leçons, notamment dans le Golfe. A contrario, la Russie n’hésitera pas à aider brutalement, en 2015, Assad à conserver son pouvoir.

Deuxième conflit à « effet papillon » : le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. Selon l’auteur, Poutine souhaite « réaliser un coup d’Etat » et « changer le pouvoir dans ce pays qu’il trouve bien trop tourné vers l’Europe ». Il considère « comme une menace pour son propre pays la perspective d’européanisation de l’Ukraine ». Nul n’imagine alors que Zelensky puisse incarner la nation ukrainienne et personnifier la résistance de son peuple : « Qui peut croire que cet acteur, producteur, humoriste dont l’élection a suscité tant de ricanements en 2019, sera capable d’endosser le costume de chef de guerre ? ». On sait ce qu’il advint et en ce mois de novembre 2023 tout semble indiquer que l’on s’achemine vers une guerre longue. L’intérêt du livre porte sur les conséquences géopolitiques de ce conflit. Malgré ses déconvenues militaires, Poutine aura cherché une nouvelle fois à enfoncer un coin entre ce qu’il appelle désormais « l’Occident global » et le reste du monde, même si la Russie en aura payé le prix fort en s’abritant désormais derrière le leadership chinois, elle qui se voyait naguère puissance dominante. Dans tous ses discours, Poutine aura veillé à présenter un Occident décadent, en proie au wokisme, à l’activisme des minorités dites « LGBTQIA+ », aux querelles du genre etc. Face à cet Occident décadent se dresseraient les pays attachés aux valeurs familiales traditionnelles, au rang desquels la Russie mais aussi de nombreux pays d’Asie, d’Afrique ou du Moyen-Orient. Cette guerre perçue comme une « guerre entre Européens » par de nombreux pays aura aussi renforcé le non-alignement voire le « multi-alignement ». Le Général Trinquand rappelle à juste titre le poids du NAM, « Non Aligned Movement », qui à l’ONU représente 120 pays (et donc 2/3 des sièges) et 60% de la population du monde. Plusieurs d’entre eux refuseront lors des votes de résolutions de voter condamnations ou sanctions à l’égard de la Russie.

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Le livre passe en revue les différentes puissances du monde qui nous attend, ce monde polycentré, dominé cependant par la rivalité américano-chinoise. La Chine, justement, probablement grande gagnante de la guerre en Ukraine (et sans doute de celle en cours au Proche-Orient) et qui profite de la situation pour « conforter son statut de grande puissance politico-diplomatique », comme le montre par exemple, sous son égide, la reprise des relations entre les frères ennemis que sont l’Arabie Saoudite sunnite et l’Iran chiite. Grande puissance économique aussi, malgré ses fortes turbulences actuelles, et très grande puissance militaire en devenir même si l’auteur rappelle que la Chine n’a plus l’expérience de la guerre : « elle n’a pas fait la guerre depuis sa confrontation avec le Vietnam en 1979 et celle-ci s’est soldée par sa défaite ». Emancipés de la tutelle américaine, les pays du Golfe sont en pleine mutation et préoccupés de diversifier leur économie avant que la manne financière du pétrole et du gaz ne se tarisse, avant le milieu du siècle probablement. Ainsi l’Arabie Saoudite et le Qatar empruntent le chemin de la diversification qu’avaient tracé les Emirats Arabes Unis. Quant à l’Arabie Saoudite, elle prend désormais progressivement en compte les aspirations de sa population, et notamment celles de sa jeunesse. Cette « modernisation contrôlée » du pays a été précédée d’une émancipation du pouvoir politique à l’égard du pouvoir religieux, marquant ainsi « la fin du pacte entre les Wahhabites et les Saoud ». Seul dans la région, l’Iran des mollahs semble incapable d’évoluer et de se moderniser.

En 2050, l’Afrique sera le continent le plus peuplé du monde. Sa démographie sera un atout à l’avenir ; à court terme elle freine son développement. Il lui faudra relever de nombreux défis et notamment celui de l’urbanisation croissante – avec tous les investissements en infrastructures que cela comporte – et de l’émergence de mégalopoles. Son développement économique devra mieux tirer parti des richesses naturelles exceptionnelles qu’elle recèle. Ainsi, par exemple, « le continent détiendrait entre 20% et 90% des onze minéraux indispensables à la transition énergétique comme le cobalt, le chrome ou encore le zircon, ou ceux du groupe platine (à l’instar de l’iridium) ». Tous ces éléments « sont nécessaires à la fabrication des piles à combustible, des dispositifs qui entrent dans la production de l’hydrogène vert ou encore des catalyseurs automobiles ».

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L’ouvrage s’achève par un examen rapide – et sans doute trop rapide – des périls qui nous guettent. « Péril autoritariste », avec la remise en cause des vertus du système démocratique et l’avènement « d’hommes forts », péril du terrorisme et « péril individualiste ». L’auteur incrimine le rôle des réseaux sociaux : ils étaient supposés favoriser l’échange, une meilleure diffusion de l’information. Mais, selon lui, « désormais les réseaux sociaux organisent le formatage de la pensée ». Les algorithmes créent des « écosystèmes fermés » et nous conduisent à interagir principalement avec des personnes qui pensent comme nous. Ainsi, ils nous enferment dans nos schémas de pensée. Au bilan, « Ce qui nous attend » est un livre qui ne recèle aucune surprise, aucune thèse originale, mais constitue une synthèse claire, accessible et agréable à lire des mouvements tectoniques de la géopolitique de cette fin de premier quart de siècle.

 
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