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Chine : un autre regard sur «l’éléphant qui entre dans la pièce» [Par Eric Besson]

Dans sa chronique, Eric Besson remet en question le « China bashing » qui s’est développé dans les médias occidentaux en raison de convictions, d’ignorance ou en réaction à la propagande communiste.

« Par conviction, par ignorance ou en réaction à la propagande communiste, le ‘’China bashing’’ s’est peu à peu imposé dans nombre de médias occidentaux ». Or, « non, le Parti communiste ne contrôle pas tout dans l’Empire du milieu. Non, la Chine n’est pas une immense prison à ciel ouvert. Non, la censure n’a pas lobotomisé les Chinois. Si le pays doit faire face à d’immenses problèmes aussi bien politiques, économiques, démographiques qu’environnementaux, les progrès qu’il réalise depuis une trentaine d’années sont stupéfiants et sautent aux yeux, y compris au fin fond des campagnes. » Pékin et Shangaï ? « Des villes qui offrent un réel confort de vie », « dotées d’infrastructures dernier cri, impeccables, beaucoup moins polluées qu’une décennie plus tôt, silencieuses (grâce aux véhicules électriques), totalement sûres », grâce à des caméras omniprésentes.

L’auteur de ces lignes n’est pas un porte-parole chinois mais un journaliste du journal Le Monde, Frédéric Lemaître, qui, comme l’indique le titre de l’ouvrage, a passé « Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping » (Editions Tallandier, 2024) et en dresse un portrait étonnant. Le livre n’élude aucun des reproches ou griefs que les démocrates occidentaux, notamment, adressent à la Chine et à son pouvoir autoritaire, qu’il s’agisse de la censure, du statut des opposants, du sort des minorités ou du retour du culte de la personnalité. Mais le livre n’est pas centré sur ces questions et son originalité réside dans le parti-pris de l’auteur : il ne s’agit pas d’un essai géopolitique, même si Frédéric Lemaître est bien conscient du « basculement de la planète », provoqué par l’affirmation de la grande puissance chinoise : « La Chine est l’éléphant qui entre dans la pièce. Elle fascine et inquiète ». Sera-t-elle, en 2049, la puissance mondiale dominante comme l’avait prédit son Président, Xi Jinping ? Le journaliste du Monde avoue humblement qu’il n’en sait rien et ne hasarde même pas à un quelconque pronostic : « J’ignore si, demain, la Chine dominera le monde ou si elle va s’effondrer sous peu ». Ce qu’il nous propose est donc plutôt une « balade sur le pachyderme », truffée d’histoires de la vie quotidienne chinoise. Une balade d’accès facile, agréable à lire.

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L’éléphant chinois se méfie du monde occidental, lui conteste son caractère démocratique, prétend bâtir avec les pays dit « non-alignés » ou du « Sud global » un nouvel ordre international. Sa lecture de l’histoire est donc diamétralement opposée à celle des Occidentaux. A l’image de l’héritage de Mao. Pour les Occidentaux, il incarne l’échec du développement et les millions de morts du « Grand Bond en avant » (1958-1962) puis de la « Révolution culturelle » (1966-1976). Pour les Chinois, nous dit l’auteur, il en va bien autrement : « Pour eux, Mao est surtout l’homme qui a rendu sa fierté à la Chine en la repositionnant comme une grande puissance mondiale ». Même les architectes étrangers et leurs « bâtiments bizarres » n’ont plus la cote dans la Chine de Xi Jinping. Il est vrai que le numéro 1 chinois rappelle régulièrement que l’art, en Chine, doit « diffuser les valeurs chinoises contemporaines, incarner la culture chinoise traditionnelle et refléter l’activité esthétique du peuple chinois ». Anecdote savoureuse rapportée par l’auteur : « chacun sait que Xi déteste le siège de CCTV, la télévision d’Etat, ces tours construites par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas de 2004 à 2009 à l’est de la capitale et que les Chinois surnomment le « Grand Pantalon ». Ce bâtiment est devenu iconique, les Chinois adorent se faire prendre en photo devant lui, mais Xi refuse d’y mettre les pieds et quand il doit se rendre à CCTV, il opte pour des bureaux et des studios bien plus classiques à l’ouest de la ville ».

La population chinoise, elle, ne rejetterait pas le monde occidental, ses valeurs ou son mode de vie mais ce serait plutôt « un lent désamour » : l’Occident « continue d’intéresser les Chinois mais ne les fait plus forcément rêver ». D’autant que la propagande chinoise fait son miel des « débats autour du Brexit en Grande-Bretagne, la violence par armes à feu aux Etats-Unis, les mouvements sociaux en France… ». Quelques éléments du soft power américain, par exemple les matchs de basket de la NBA ou les films d’Hollywood, au moins ceux qui ne sont pas censurés, continuent d’attirer les Chinois. Et certaines enseignes, comme Starbucks, KFC, Apple stores ou les marques de luxe française y sont aussi valorisées. Mais pour les automobiles, ils sont de plus en plus nombreux à opter pour les voitures locales « désormais tout aussi performantes et moins chères ».

Les Chinois ont à présent « le culte de la modernité ». Ils sont fiers de leur application WeChat : « équivalent à la fois de Facebook, de WhatsApp et d’Amazon, elle est l’incontournable sésame pour communiquer, faire ses achats en ligne et payer toutes ses dépenses ». Un outil de contrôle social aussi : « il arrive à WeChat de bloquer les comptes des « mauvais citoyens » un jour ou deux. Sans raison ni préavis ». Ils sont aussi fiers de leurs trains à grande vitesse : « long de 42.000 kilomètres et en constant développement, le réseau chinois est d’ores et déjà le plus important au monde ». Des trains décrits comme « ponctuels, d’une propreté impeccable et peu onéreux ».

Les dirigeants chinois entendent « faire de la Chine un pays aussi, voire plus, innovant que les grands pays occidentaux ». Résultat : selon un rapport australien, « la Chine domine 37 secteurs sur 44 technologies clés, loin devant les Etats-Unis qui dominent les 7 autres ». La Chine avance d’autant plus vite que ses chercheurs ne sont pas entravés par une régulation contraignante ou des règles de prudence que de nombreux pays occidentaux s’efforcent de respecter : « rien n’est plus étranger à la Chine que le principe de précaution. Dans l’empire du milieu, on innove d’abord, on régule après ». Cette foi dans le progrès technique, qui conduit le Président chinois à s’entourer de nombreux ingénieurs et techniciens, conduit l’auteur à affirmer : « Mao régnait sur une nation de paysans miséreux. Deng Xiaoping les a transformés en ouvriers et petits-bourgeois. Xi, lui, veut faire de leurs enfants un peuple d’ingénieurs ».

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Malgré les difficultés et turbulences actuelles, le décollage économique et social de la Chine, mesuré sur les deux dernières décennies, est incontestable. Qu’on en juge : « Au début du XXIe siècle, un Chinois n’était pas plus riche qu’un Sri-Lankais. Le produit intérieur brut (PIB) chinois par habitant était inférieur à 1000 dollars (889 euros), trente-six fois moindre que son équivalent américain (36.334 dollars). En 2022, le premier atteint 12.500 dollars et l’écart n’est plus que de un à six. Autre comparaison édifiante : lorsque la Chine a adhéré à l’OMC, en 2001, son poids économique était comparable à celui de la France. Aujourd’hui elle pèse davantage que l’ensemble de la zone euro et pourrait, selon certaines estimations, dépasser les Etats-Unis avant la fin de la décennie. Et l’espérance de vie, qui n’était que de 35 ans en 1949, a plus que doublé, atteignant aujourd’hui 77 ans. Davantage qu’aux Etats-Unis ».

« L’Airpocalypse c’est fini ». Selon Frédéric Lemaître, il faut en finir avec l’image de villes terriblement polluées, à l’air irrespirable, qui colle à la Chine et à ses principales agglomérations, Pékin et Shangaï notamment. La pollution, nous dit-il, a nettement diminué, les centres-villes sont moins denses et dotés de nombreux espaces verts, la biodiversité est mieux protégée, les zones humides restaurées, les rivières beaucoup plus propres etc.  Plus connu : la Chine est devenue championne des énergies renouvelables : elle a « investi 495 milliards de dollars dans les énergies renouvelables en 2022, ce qui représente 55% des investissements mondiaux réalisés dans ces secteurs ». La Chine est-elle pour autant devenue le nouveau paradis vert ? Non. Son talon d’Achille reste le charbon : « le problème est que, championne des énergies vertes, la Chine reste « accro au charbon » ». De ce fait, elle reste très fort émettrice de dioxyde de carbone ; mais « Pékin s’est engagée à atteindre le pic d’émission avant 2030 et à parvenir à la neutralité carbone avant 2060. Le chemin qui lui reste à parcourir est considérable ».

Autre affirmation à contre-courant alors que « nombre d’Occidentaux voient la Chine comme une immense prison dont les habitants rêvent de s’échapper » : selon l’auteur, « rien n’est plus faux. La plupart des Chinois sont en fait satisfaits de leur sort ». Un indice parmi d’autres : « chaque année, des centaines de milliers de Chinois entreprennent des études supérieures à l’étranger ». « Une migration dont se félicite le Parti communiste » chinois. Or, « l’immense majorité, qu’ils soient étudiants ou touristes, rentre désormais au pays. Par choix ». « Sans nécessairement approuver l’ensemble de la politique menée par le Parti communiste, ils estiment que, tout compte fait, les avantages l’emportent sur les inconvénients ». De façon cohérente, « leur opinion est étroitement corrélée à leurs conditions de vie matérielle ». Plus marquant encore : selon une étude réalisée par l’European Council of Foreign Relations début 2023, « 77% des Chinois interrogés (en ligne) pensent que leur pays est « une vraie démocratie » et que cette dernière est supérieure aux modèles politiques américains et européens ».

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Que cela plaise ou non, l’éléphant chinois « est dans la pièce » de la scène internationale, et pour longtemps. Et comme l’écrivit mon parrain, Alexandre Vialatte, dans l’une de ses chroniques : « L’Eléphant est irréfutable ».

 
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