Interview

Netiva Cukor : «Le futur port de Dakhla et le secteur de l’énergie pourraient être des catalyseurs majeurs pour renforcer davantage les liens économiques entre le Maroc et Israël»

Après la reconnaissance du Sahara par le premier ministre d’Israël, le 17 juillet dernier, la coopération entre les deux pays franchit une nouvelle étape. Dans cet entretien, accordé à Challenge, Netiva Cukor, responsable des affaires économiques au Bureau de liaison d’Israël, fait le point sur les incidences économiques de la lettre de reconnaissance.

Challenge : Aujourd’hui, Israël est très avancé sur la question de l’eau et la technologie qui en découle, y a-t-il des possibilités de coopération avec le Maroc sur la problématique du stress hydrique ?

Netiva Cukor : Israël possède une vaste expérience et une expertise avérée en matière de gestion hydraulique. Grâce à ses technologies innovantes, le pays a réussi à atteindre un niveau exceptionnellement bas de NRW (Non Revenue Water) à seulement 8%, comparé à une moyenne de 30% en Europe. Ce pourcentage représente la quantité d’eau perdue dans les canalisations et non facturée. De plus, afin de réduire sa dépendance à l’eau de mer, Israël a mis en place un système de recyclage des eaux usées pour un usage agricole satisfaisant ainsi 50% de ses besoins en eau. Le pays recycle près de 90% de ses eaux usées, établissant un record en la matière.

Israël s’est également illustré dans le domaine du dessalement, avec cinq centres de traitement opérationnels et d’autres en cours de construction. Grâce à sa maîtrise de ces techniques, le pays a réussi à considérablement réduire les coûts associés au dessalement. Par ailleurs, Israël est un précurseur en matière de gestion des crises et des situations d’urgence, y compris dans le secteur de l’eau, avec des mesures préventives et de traitement des attaques cyber, entre autres.

Les domaines de coopération potentiels entre le Maroc et Israël dans le domaine de l’eau comprennent le dessalement, le recyclage de l’eau à des fins agricoles et d’irrigation, ainsi que le traitement de l’eau pour les industries telles que la métallurgie, l’énergie et autres.

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Une collaboration entre nos deux pays permettrait de bénéficier des connaissances et des meilleures pratiques d’Israël en matière de gestion hydraulique, contribuant ainsi à la mise en place de solutions durables et innovantes pour la gestion de l’eau au Maroc. Une telle coopération serait mutuellement bénéfique et favoriserait notre engagement commun envers une utilisation efficace et responsable de cette ressource vitale.

Challenge : Quid de l’énergie renouvelable ? 

N.C. : Israël est mondialement reconnu pour ses avancées remarquables dans le domaine de l’énergie renouvelable, ainsi que dans les technologies associées (hardware & software). Parallèlement, le Maroc est également confronté à des défis similaires en matière d’énergie et de durabilité, d’autant plus que les deux pays partagent des climats similaires, ce qui les place face à des défis identiques. Dans ce contexte, des opportunités de coopération entre le Maroc et Israël émergent pour aborder la thématique énergétique.

Les domaines potentiels de coopération se concentrent particulièrement sur les énergies renouvelables. Israël est à la pointe de l’utilisation du soleil pour la production d’énergie domestique et possède une expertise avérée dans les énergies solaire, éolienne et biomasse, ainsi que dans les technologies de gestion optimale de l’énergie générée, la maintenance des technologies vertes et la maximisation des capacités de stockage énergétique. Le Maroc pourrait envisager des partenariats stratégiques pour tirer profit des connaissances et des technologies d’Israël dans ces domaines.

Les technologies de stockage de l’énergie sont également un domaine d’intérêt. Israël a développé, et continue de le faire, des solutions innovantes pour le stockage de l’énergie, et une collaboration avec le Maroc pourrait être bénéfique pour développer des solutions de stockage adaptées aux besoins spécifiques du pays. Enfin, un échange d’expériences, de pratiques et de technologies entre les deux pays pourrait être mutuellement bénéfique pour accélérer la transition énergétique du Maroc et d’Israël. Cette mise en commun des connaissances et des meilleures pratiques permettrait d’optimiser les efforts des deux nations vers une économie énergétique plus durable et respectueuse de l’environnement.

Challenge : Dans le domaine de la technologie (Ntic), Israël est l’un des pays les plus avancés sur ces sujets… Envisagez-vous d’élargir la collaboration dans ce sens ?

N.C. : Israël occupe une place prépondérante dans l’industrie technologique mondiale, et actuellement, des partenariats stratégiques sont en cours de développement entre nos deux pays. Ces collaborations sont d’une importance capitale pour renforcer nos liens et favoriser l’innovation mutuelle. Dans cette optique, nous avons pour ambition d’intensifier davantage ces collaborations tout au long des prochaines années, et ce jusqu’à la fin de l’année 2023. Nous sommes confiants que cette expansion des échanges aboutira à des avancées significatives et bénéfiques pour les deux nations.

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Parmi les différentes initiatives en cours, nous aimerions mettre en place la création d’instituts de recherche conjoints. Ces instituts permettent de simuler des environnements similaires afin de faciliter le développement de solutions adaptées aux situations spécifiques. Les chercheurs des deux pays peuvent ainsi collaborer étroitement pour relever des défis communs et promouvoir l’innovation.

Les échanges de connaissances jouent également un rôle essentiel dans notre coopération. À cet égard, nous favorisons les interactions entre les écosystèmes des startups marocaines, tels que le Technopark et les incubateurs de l’UM6P, et les centres d’innovation en Israël. Ces échanges permettent de bénéficier des expertises respectives et de créer des synergies profitables à nos deux nations.

Au-delà des aspects commerciaux, nous envisageons des collaborations à différents niveaux. L’une des possibilités est la création de fonds d’investissement en capital-risque communs. Ces fonds offrent une opportunité de financement pour les startups prometteuses des deux pays, favorisant ainsi l’émergence d’entreprises innovantes.

En somme, nous souhaitons mettre en place une série de mesures visant à renforcer les collaborations entre nos deux pays. Ces initiatives prometteuses ouvrent la voie à un partenariat solide et fructueux, où le partage des connaissances, la recherche conjointe et les opportunités d’investissement sont au cœur de notre coopération.

Challenge : A ce jour, quels sont les secteurs prioritaires pour vous ? Et combien cela vaut en chiffres ?

N.C. : De nos jours, les secteurs significatifs pour l’activité économique englobent des problématiques essentielles à l’échelle mondiale, notamment l’agriculture, et en particulier la sécurité alimentaire, la réduction des pertes d’eau, le recyclage de l’eau pour la consommation humaine et les énergies renouvelables.

En ce qui concerne l’importation du Maroc en Israël, plus de 36 % du total des importations du pays proviennent des produits agricoles et alimentaires. Ce chiffre est extrêmement significatif, et nous constatons de plus en plus d’entreprises qui entrent en activité au Maroc, et certaines d’entre elles y réalisent des pilotes. Parmi ces entreprises, on retrouve notamment SupPlant, Tal-Ya, etc.

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Dans le domaine médical et spatial, nous observons également une tendance à la hausse. Au niveau médical, compte tenu de la dynamique du Maroc en faveur de l’innovation et de la transition vers des technologies médicales avancées, le ministre de la Santé israélien a signé un protocole d’accord avec son homologue marocain pour la collaboration dans la recherche, les infrastructures, etc.

Nous constatons également, une augmentation des entreprises de secteurs médicaux qui cherchent à trouver des distributeurs ou des clients potentiels.

De même, le secteur aérospatial est en plein essor, et il semble y avoir une forte possibilité de concrétiser des accords entre entreprises au cours de l’année 2023.

Challenge : Depuis 2020, Israël et le Maroc n’ont cessé de multiplier les accords de coopération dans divers secteurs. Quelle incidence économique la lettre de reconnaissance ouvre-t-elle pour les deux pays ?

N.C. : Selon les chiffres du premier trimestre 2023, les échanges commerciaux entre le Maroc et Israël ont connu une progression significative. Les importations en provenance d’Israël ont atteint 19 millions de dollars, soit une augmentation remarquable de 1203% par rapport à la même période de l’année précédente (1.4M$ en 2022). De même, les exportations marocaines vers Israël ont enregistré une croissance de 14%, atteignant une valeur de 41 millions de dollars. Ces données témoignent de l’importance croissante des échanges commerciaux bilatéraux, mettant en évidence une dynamique positive dans les relations économiques entre les deux pays.

La lettre de reconnaissance pourrait jouer un rôle crucial dans l’expansion de ces opportunités économiques. Elle offrirait aux entreprises, aux entrepreneurs et aux investisseurs israéliens la possibilité d’explorer un nouveau territoire avec un potentiel de développement étendu. Par exemple, le projet de développement d’un port à Dakhla et les opportunités dans le domaine de l’énergie pourraient être des catalyseurs majeurs pour renforcer davantage les liens économiques entre le Maroc et Israël, créant ainsi un partenariat prometteur pour les deux nations.

Challenge : L’industrie touristique marocaine a travaillé à l’accueil des touristes israéliens. Constatez-vous également une nouvelle forme de tourisme marocain en Israël ? Quelle est la part que ces mouvements représentent en termes de secteurs et de PIB pour les deux pays ?

N.C. : Selon les données disponibles, les statistiques révèlent qu’en 2022, environ 70 000 touristes israéliens ont visité le Maroc (hors citoyens israéliens possédant d’autres nationalités). En parallèle, les chiffres indiquent que seulement environ 1 400 personnes ont voyagé de manière réciproque, en provenance du Maroc vers Israël, au cours de la même année. Toutefois, au cours du premier trimestre de l’année 2023, nous avons observé une augmentation des visiteurs marocains en Israël, s’élevant à environ 1 100 personnes (hors citoyens marocains possédant d’autres nationalités). Cette tendance positive laisse entrevoir un potentiel de croissance prometteur pour le tourisme marocain en Israël.

Il est important de souligner que le tourisme marocain en Israël n’a pas encore atteint son plein essor, mais nous constatons avec satisfaction les efforts déployés par les sociétés touristiques israéliennes pour promouvoir les voyages de touristes marocains vers notre pays. Ces initiatives visent à permettre aux visiteurs marocains de découvrir les richesses culturelles et touristiques d’Israël, favorisant ainsi les échanges culturels et renforçant les liens entre nos deux nations.

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Nous restons optimistes quant au développement futur du secteur touristique entre le Maroc et Israël, et nous continuerons à encourager les initiatives visant à accroître les flux touristiques bilatéraux pour le bénéfice mutuel de nos peuples.

Challenge :Quelles seront les industries israéliennes susceptibles de croître plus rapidement grâce à la lettre de reconnaissance ? Quelles opportunités d’investissement et partenariats envisagez-vous dans un futur proche ? 

N.C. : Il est encore prématuré d’établir une évaluation définitive, mais il est indéniable que le secteur du tourisme aura un impact significatif dans nos échanges bilatéraux. La récente ouverture de l’hôtel Selina à Dakhla par le réseau israélien démontre un intérêt croissant pour le potentiel touristique du Maroc.

En outre, nous prévoyons des investissements substantiels dans des domaines clés tels que l’agriculture et la résolution des problèmes liés à l’eau, qui représentent des enjeux importants pour le développement des deux pays. Ces initiatives favoriseront une coopération renforcée dans des secteurs stratégiques et contribueront à notre prospérité mutuelle. Par ailleurs, nous envisageons un développement potentiel dans le secteur de la pêche, étant donné l’importance de cette industrie pour nos économies respectives. La collaboration dans ce domaine ouvrirait de nouvelles opportunités et renforcerait nos liens dans le contexte de développement économique durable.

En somme, les perspectives de coopération sont prometteuses, et nous sommes déterminés à explorer davantage d’opportunités pour favoriser une croissance mutuelle bénéfique aux deux côtés. Nous restons ouverts à de nouvelles collaborations et initiatives stratégiques qui soutiendront le développement économique.

 
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