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Comment Pékin soigne son image en Afrique à travers sa diplomatie des stades

Depuis la guerre froide, la Chine a compris l’importance stratégique du continent africain. Avec ses importants investissements, sa diplomatie orientée vers l’économie se dessine également à travers son expertise en BTP. Décryptage.

Après un relatif retrait vers la fin de la guerre froide, l’empire du Milieu durant ces deux dernières décennies est de retour en force sur le continent. Ayant pris différentes formes, la diplomatie chinoise en Afrique a bien évolué au fil des années. Longtemps basée sur la question de Taïwan, la politique africaine de la Chine dépasse aujourd’hui les anciennes thématiques qui étaient le socle de son expansion. Aujourd’hui, ayant placé la coopération économique au cœur de sa stratégie, Pékin dispose d’une véritable assise sur l’échiquier africain.

« La Chine œuvre à établir et développer un nouveau type de partenariat stratégique marqué par l’égalité et la confiance mutuelle sur le plan politique, la coopération dans un esprit gagnant-gagnant sur le plan économique », précise un livre blanc de la Chine portant sur sa politique africaine publié à Pékin en 2006. « La Chine dans son expansion a profité de l’absence d’acteurs étrangers (USA, Europe) pouvant la concurrencer et a réussi à s’installer dans plusieurs zones », nous confie Selin Ozyurt, économiste senior, responsable de la région Afrique chez Euler-Hermes.

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Et d’ajouter : « L’Europe a de moins en moins de place aujourd’hui en Afrique ». Et il faut d’ailleurs souligner que cette politique s’exerce avec une dose de magnanimité. Entre offensive économique, commerciale et même culturelle, le pays de Xi Jinping ne cache plus aujourd’hui ses ambitions de vouloir supplanter les puissances occidentales en Afrique. La Chine manie désormais avec subtilité et tactique le langage des grands travaux infrastructurels. Sa partie la plus visible : la « diplomatie des stades ». « Installée là où il y a des ressources naturelles, la Chine s’est impliquée dans les infrastructures. Et la construction des stades a été une voie qu’elle a décidé d’emprunter sachant que le football est le sport roi sur le continent. Quand vous touchez au football, c’est toute la jeunesse que vous touchez. Et il est clair que sur ce point la Chine a réussi à la fois à construire les stades et à conquérir les cœurs », nous explique une de nos sources en diplomatie.

Nouakchott, Cotonou, Kigali…

Rappelons que cette stratégie n’est pas récente puisque la Chine l’avait déjà testée auparavant en Tanzanie où elle concrétisa dans les années 70 les 15 000 places de l’Amaan Stadium. Et des années après cette toute première infrastructure sportive sur le continent, le géant asiatique a fait émerger plus d’une cinquantaine de stades dans la presque totalité des pays du continent entre 1970 et 2000. Pour la petite histoire, en 1983, la Chine permit à la Mauritanie de se doter du Stade Olympique de Nouakchott d’une capacité de 10 000 places. La même année, le Stade de l’Amitié (35 000 places) de Kouhounou à Cotonou au Bénin a été construit puis réhabilité en 2008 par la Chine. La stratégie de la diplomatie des stades fera également sensation du côté de l’Afrique de l’est avec la construction en 1986 du plus grand stade du Rwanda, l’Amahoro Stadium de Kigali (30 000 places) qui a pu accueillir la CHAN 2016.

En 1987, c’est au tour du Kenya, où la Chine inaugure le « Moi International Sports Centre » (60 000 places) à Kasarani pour les Jeux Africains de Nairobi pour ensuite financer les travaux de rénovation en 2010. Vers la fin de la période de la guerre froide, en bon stratège, l’empire du Milieu a accentué ses investissements, préparant ainsi son positionnement sur la scène internationale. « Cette diplomatie n’est pas récente, elle remonte à plus de 3 décennies », explique notre source. Dans la dernière décennie du 20e siècle, les stades « made in China » ont continué de surgir en Afrique. En 1990, l’île Maurice inaugure son stade d’Anjalay (15 000 places) dans la localité de Mapou tandis que Djibouti s’offre son Stade national El Hadj Hassan Gouled Aptidon en 1993 (rénové en 2002).

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En 1994, ce fut au tour de l’ancien Zaïre, appelé aujourd’hui RDC avec la construction du Stade des Martyrs (80 000 places). Rappelons qu’à ce jour cette politique est toujours d’actualité. Du côté de la lagune Ébrié, un tout nouveau complexe sportif porté par la Chine a accueilli la 34e édition de la Coupe. Baptisé Ebimpé, le stade où s’est jouée la finale de la compétition africaine dispose d’une capacité de 60 000 places. « Je suis fier et heureux de la coopération sino-ivoirienne… Je suis très touché par l’honneur qui m’a été fait », s’est réjoui le Président Alassane Ouattara dans son allocution lors de l’inauguration. Cependant, il faut bien admettre que même si le pays de Xi Jinping propose une sorte de nouveau deal aux pays africains en occurrence un partenariat présenté comme ‘’win-win’’, il n’en demeure pas pour autant désintéressé. Depuis la chute du bloc de l’Est qui a redessiné le contexte international, le monde aujourd’hui est en plein multipolarisation et la Chine sur l’échiquier mondial a décidé de se positionner au travers de son soft power économique. « Il n’y a pas de coopération saine. Mais quand il y a une présence, il faut juste savoir ce qu’il y a justement derrière. Une coopération ne se construit pas loin d’objectif et d’intérêt commun », martèle notre source.

Gadget diplomatique ou vision stratégique ?

À l’heure où les partenariats d’antan commencent à battre de l’aile, l’offre chinoise séduit surtout que ces édifices de grand acabit leur permettent de rattraper le flagrant retard infrastructurel qui pèse sur le continent. Aujourd’hui, ce deal Chine/Afrique cache des intérêts souterrains. Derrière cette diplomatie chinoise très présente sur le continent se trouve une véritable convoitise qui se présente sous la forme du double intérêt : les ressources du sous-sol africain et son marché (1, 2 milliard de personnes). « La Chine est dans une dynamique axée sur les ressources naturelles », nous confie Françoise Huang, économiste en charge de l’Asie chez Euler Hermes. Et concernant le marché, il faut souligner qu’il représente un enjeu stratégique pour l’empire du Milieu. À ce jour, la Chine est présente dans plusieurs secteurs clés en Afrique, notamment celui de l’énergie, des transports, de l’immobilier et de la technologie. Selon un tableau de bord de l’American Enterprise Institute (un think tank néo-conservateur et néo-libéral), en Afrique subsaharienne, elle a investi dans ces secteurs respectifs de 2005 à 2020 : près de 88 milliards de dollars dans le domaine du transport, 32 milliards dans le domaine de l’immobilier et 103 milliards de dollars dans le secteur de l’énergie.

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Notons que la construction de ces stades est une fenêtre publicitaire qui permet à la Chine d’affirmer son savoir-faire dans l’ingénierie et la construction. Par ailleurs, les échanges commerciaux affichent une croissance fulgurante. Inférieurs à 10 milliards de dollars dans les années 2000, les échanges commerciaux ont dépassé les 204 milliards de dollars en 2018. Du côté de la région Mena, le dragon demeure aussi dynamique. En 2018, Pékin a investi près de 28,11 milliards de dollars dans la région. En outre, il faut également notifier que les entreprises chinoises sont très présentes dans le secteur des mines. Depuis quelques années, elles ont bâti un véritable patrimoine dans ce domaine.

Que ce soit le nickel, le lithium, le cobalt, les minéraux font partie des richesses africaines qui attisent les convoitises. La Chine importe chaque mois pour environ 4 milliards de dollars de minéraux, de minerais et de métaux, selon les données de Trading Economics. Rappelons qu’en décembre 2020, selon une enquête réalisée par le média africain Agence Ecofin, Shandong Gold, le deuxième plus grand producteur d’or de Chine, a bouclé le rachat de l’australien Cardinal Resources, actif au Ghana sur le projet d’or Namdini. Dans la même période, une autre grande compagnie chinoise, China Molybdenum, a débloqué 550 millions de dollars pour acquérir auprès de l’américain Freeport-McMoRan, le projet de cuivre-cobalt Kisanfu en RDC. Cependant, selon les économistes d’Allianz, la démarche de la Chine en Afrique pourrait connaître certains changements majeurs dans les années à venir.

« Selon une de nos études, dans les prochaines années, leurs investissements en Afrique devraient baisser. Et ce pour deux raisons : décision du Parti communiste souhaitant privilégier le marché domestique et ensuite le ralentissement de la croissance en Chine », soutient Huang. De son côté, Ozyurt nous a fait savoir que la Chine sera plus sélective et adoptera une attitude moins rapide quant aux investissements en Afrique. « L’empire du Milieu fait face aujourd’hui à un sérieux problème de remboursement de la dette en Afrique et ne disposant d’aucun levier de pression a décidé de prendre ses responsabilités », fait-elle savoir.

Comment éviter le flop après la réalisation de grands chantiers ?

Livrés à des milliards de Fcfa, ces grands projets sportifs ont une courte durée. Tout le monde se rappelle du reportage de France 24 sur les stades en ruine au Gabon après la Coupe d’Afrique. En Côte d’Ivoire, dans un discours, Son Excellence Alassane Ouattara a appelé à la préservation des acquis de la CAN. « Dans le but de consolider les acquis de cette CAN, je demande à Monsieur le Premier Ministre de faire en sorte que l’entretien, la maintenance et l’exploitation optimale des infrastructures de grande qualité dont nous disposons désormais soient une priorité immédiate ».

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Rappelons que depuis 1960, la Côte d’Ivoire comptait dix-neuf stades de compétition. Tous construits sous l’ère Houphouët Boigny. Toutes ces infrastructures étaient mal entretenues et/ou abandonnées. Pour éviter le même sort, le gouvernement a décidé de créer une entité spécialisée pour l’entretien et l’exploitation des infrastructures afin que l’héritage de la plus belle CAN que nous avons organisée soit préservé et serve le football ivoirien.

 
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