Gestion de l'eau

Distribution de l’électricité, de l’eau et assainissement. Adieu à la gestion déléguée !

C’est un tournant majeur que les communes s’apprêtent à opérer en termes de gestion de la distribution de l’électricité, de l’eau et assainissement au Maroc. Les sociétés régionales multiservices (SRM) prendront bientôt place. Comment les régions se préparent-elles à remunicipaliser ces services ? 

Le Conseil de la ville de Casablanca s’est réuni en session extraordinaire mardi 31 octobre, avec un seul point à l’ordre du jour : la création du groupement de collectivités territoriales «Casa-Settat Distribution». Il s’agit d’un préalable au lancement d’une société multiservices en charge de la distribution de l’eau, l’électricité et l’assainissement. Doté d’un budget de 10,7 millions de DH, cet organisme sera composé d’élus représentant les 157 1 communes de la région Casablanca-Settat.

A l’instar de cette région, 11 autres sociétés régionales dans autant de régions devraient progressivement voir le jour, selon le texte, publié dans le bulletin officiel du 17 juillet 2023. Il faut dire que le ministère de l’Intérieur s’active pour la mise en place de la loi nº 83-21 relative aux sociétés régionales multi-services. Les premières SRM devront voir le jour à partir du 1er janvier 2024 dans 4 régions pilotes, notamment la région Marrakech-Safi, la région Casablanca-Settat, Souss-Massa et l’Oriental.

Lire aussi | Enquête antitrust du Conseil de la concurrence. Les distributeurs de carburant acceptent de payer 1,840 MMDH

Durant octobre dernier, le ministère de l’Intérieur a multiplié les réunions dans les régions pour présenter les mécanismes de gestion de mise en œuvre de ladite loi. Depuis, les collectivités territoriales ont commencé à tenir des sessions extraordinaires en vue d’étudier et d’approuver la création du groupement des collectivités territoriales. Si, par exemple, le Conseil communal de Casablanca, a voté, récemment, en faveur de la création d’un groupement des communes territoriales « Casablanca-Settat Distribution », un préalable à la mise en place de la société régionale de la distribution d’eau et d’électricité dans la région, la région de l’Oriental, a fait de même en validant la création de son groupement, baptisé « Oriental de distribution. C’est le cas, pour les deux autres régions pilotes.

En effet, les collectivités territoriales (CT) de ces quatre régions sont soumises à un calendrier bien établi. C’est ainsi que chaque CT avait jusqu’au 3 novembre dernier pour créer un groupement des collectivités territoriales et proposer ses représentants. En plus, les conseils de ces collectivités territoriales devaient également remettre au ministère de l’Intérieur à compter du 6 novembre 2023, les accords et les décisions retenus afin d’acter la création du groupement. En effet, le ministère de l’Intérieur prévoit d’organiser avant le 30 novembre prochain, les élections des membres du bureau du groupement des CT (président et 4 adjoints) en plus du secrétaire du bureau et son adjoint.

Selon aussi le calendrier établi, durant le mois de décembre prochain, les Conseil des groupements des CT devront délibérer sur l’apport du groupement au capital de la société régionale multiservice à hauteur de 40 %, étudier et approuver les statuts de la société et enfin étudier et approuver la charte des actionnaires. Chaque conseil de région devrait aussi tenir une session extraordinaire pour délibérer sur l’apport au capital de sa société régionale multiservice à hauteur de 10% et étudier les statuts et la charte des actionnaires de l’entreprise.

Pour les groupements de collectivités, chacun d’entre eux doit tenir également une session extraordinaire concernant le contrat de gestion déléguée au service public de la société régionale multiservice de sa région. Puis le contrat de gestion délégué doit être signé et assigné avant son activation au plus tard le 31 décembre.

Les services publics des principales villes marocaines ont été concédés aux multinationales françaises Veolia et Suez environnement dans les années 1990 et au début des années 2000. Veolia fut chargée de gérer les services d’eau, d’assainissement et d’électricité de deux des principales agglomérations urbaines du Royaume, celles de Rabat-Salé et de Tanger-Tétouan, via deux filiales distinctes : Redal pour Rabat-Salé et Amendis pour Tanger-Tétouan. 

Dans la plus grande métropole, Casablanca, c’est Suez qui gère le service d’eau et d’électricité. Mais, pour la majorité des consommateurs, la gestion déléguée n’a finalement pas tenu ses promesses. Présenté au début comme une panacée pour en finir avec les déboires du fameux modèle des régies communales, ce mode de gestion des services publics locaux est loin d’être aussi une réussite aux yeux des pouvoirs publics. En effet, pour le ministère de l’Intérieur, « les opérations de suivi et d’évaluation ont montré que la performance du secteur de l’eau et de l’électricité est confrontée à une série de problèmes dans le cadre des expériences de gestion en cours ». Selon le département de Abdelouafi Laftit, cette situation «ne permet pas aux acteurs actuels d’accompagner le développement de la demande des services d’eau, d’assainissement et d’électricité d’autant plus qu’il empêche un équilibre dans la répartition de ces services au niveau territorial, notamment dans le monde rural ». Les études menées à cet égard, explique le ministère de l’Intérieur, ont mis en évidence la nécessité de réaliser d’importants investissements publics, car les approches d’investissement et de gestion adoptées à ce jour ne permettraient pas de répondre efficacement aux besoins du secteur, « compte tenu du manque de coordination et de l’enchevêtrement des réseaux d’intervention, ce qui entraîne des investissements injustifiés et d’une efficacité limitée ». 

Lire aussi | Remaniement ministériel. L’USFP sur le fil du rasoir

« Les nombreux dysfonctionnements pointés du doigt par les rapports de la Cour des comptes et du Conseil économique, social et environnemental auraient dû conduire tout simplement au renoncement de la gestion déléguée. Cette dernière a tout simplement été désastreuse », souligne Hicham Abdellaoui, Expert en gouvernance territoriale et politiques publiques.

En fait, c’est en 2019 que les pouvoirs publics ont commencé à étudier l’opportunité de remunicipaliser la gestion des services d’eau, d’assainissement et d’électricité. La filialisation de l’activité distribution d’électricité, d’eau potable et d’assainissement liquide au sein de l’ONEE, initialement envisagée, a été écartée. Et en juillet 2021, la décision de créer des Sociétés régionales multiservices (SRM), a été prise par les départements des Finances, de l’Intérieur et celui de l’Energie. A noter également, qu’une douzaine de régies de distribution opèrent parallèlement dans les grandes agglomérations à l’échelle nationale. L’autre acteur de taille est l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) délégataire de service public local.

Ainsi, les SRM assureront la gestion des services publics qui étaient confiés à l’ONEE et aux régies autonomes de distribution d’eau et d’électricité. Quant aux contrats des délégataires à savoir Amendis à Tanger-Tétouan, Lydec à Casablanca, et Redal à Rabat-Salé, ils prendront fin respectivement en 2026, 2027 et 2028 et ne seront pas renouvelés.

« L’idée de création des SRM est bonne. On pourra ainsi faire émerger des champions nationaux. Maintenant, c’est une période transitoire. La question est de se demander comment va-t-on faire en sorte que ces futures sociétés régionales soient compétitives ? Parce que dans un premier temps, il s’agira de récupérer tous les services, dont l’électricité, dans une région et donner cela à une entreprise pour que l’on puisse éviter des erreurs du passé », analyse Karim Chraibi, Expert en Energie. Et d’ajouter : « En constituant une grande entité dans chaque région, l’on va pouvoir faire techniquement, en mieux et de manière moins coûteuse, et aussi optimiser les réseaux de distribution. Une fois que ces types de structure deviendront des sociétés très compétitives, celles-ci pourront s’exporter ailleurs ». 

Aujourd’hui, en adoptant ce nouveau modèle de gestion des services d’eau, d’assainissement et d’électricité, le Maroc suit une tendance mondiale en plein essor. En effet, villes, régions et pays du monde entier sont de plus en plus nombreux à choisir de tourner la page de la gestion déléguée et de  remunicipaliser» leurs services, en reprenant le contrôle de la gestion de l’eau, l’électricité et de l’assainissement. Dans la plupart des cas, la remunicipalisation est une réponse aux fausses promesses des opérateurs privés et à leur incapacité à placer les besoins des citoyens avant la recherche de profit. 

Au cours des 15 dernières années, il y a eu au moins 200 cas de remunicipalisation de l’eau dans 40 pays, à la fois au Nord et au Sud de la planète, parmi lesquels certains exemples très médiatisés en Europe, Amérique, Asie et Afrique. Les grandes villes qui ont remunicipalisé leur eau incluent Accra (Ghana), Berlin (Allemagne), Buenos Aires (Argentine), Budapest (Hongrie), Kuala Lumpur (Malaisie), La Paz (Bolivie), Maputo (Mozambique) et Paris (France). En revanche, au cours de la même période, il y a eu très peu de cas de nouvelles gestions déléguées dans les grandes villes du monde : seulement Nagpur (Inde), où cette privatisation est fortement contestée, et Djeddah (Arabie saoudite). 

Lire aussi | Tanger à l’heure de la 8ème édition de la convention annuelle des Zones Économiques Spéciales Africaines

Malgré plus de trois décennies de promotion incessante de la privatisation et des partenariats public-privé (PPP) par les institutions financières internationales et les gouvernements, tout semble indiquer désormais que la remunicipalisation de ces services, en tant qu’option politique, est là pour durer. 

Plus encore, ce modèle risque même de faire des émules dans le Royaume dans d’autres secteurs comme le transport public urbain et interurbain. En effet, récemment, des représentants des associations de protection du consommateur ont considéré que le mode de gestion déléguée du transport public urbain et interurbain est marqué par l’intervention de l’autorité délégante à tous les niveaux : choix des conditions et des spécificités du service rendu, qualité du service et de son tarif et l’investissement à déployer. Selon l’avis de ces associations, cette intervention a participé à freiner la dynamique de liberté économique et la libre concurrence, causant ainsi, la diminution de l’attractivité du secteur pour les investisseurs privés. A partir de ce constat, les représentants de la Fédération Marocaine des Droits du Consommateur ont proposé de revoir ce mode de gestion des services du transport public urbain et interurbain par autobus, en s’inspirant du modèle de la Société Régionale Multiservices en cours de développement dans le secteur de la distribution de l’eau potable, de l’électricité et de l’assainissement du liquide pour pallier les difficultés rencontrées dans ce mode de gestion déléguée de ce secteur.



 
Article précédent

Maroc. Temps de plus en plus froid.. Pas de pluie encore ce vendredi 24 novembre

Article suivant

Délais de paiement : Les TPME placent leur espoir dans la nouvelle loi pour arrêter l'hémorragie