Interview

Mohammed H. Belkadi : « Mes recommandations clés aux autorités pour la gestion post-séisme »

Cartographier les failles sismiques, standardiser les constructions, former les populations, établir des plans de mise à niveau des bâtiments vulnérables, promouvoir les constructions de typologies certifiées antisismiques, sensibiliser via les technologies de l’information, renforcer le cadre règlementaire de la construction, etc. Dans cette interview accordée à Challenge, l’architecte des écosystèmes urbains, expert judiciaire en architecture et urbanisme, Mohammed Hakim Belkadi, livre aux autorités les clés pour une gestion optimale des risques et de la période post-séisme, au lendemain de la catastrophe qui a frappé la province d’Al Haouz à Marrakech.

Challenge : S’il y avait suffisamment de constructions antisismiques dans les zones lourdement touchées par le séisme, aurait-on pu minimiser les dégâts matériels et pertes en vie humaine ? Comment ce type de constructions peuvent-elles minimiser les dégâts en cas de séisme ?

Mohammed Hakim Belkadi (M.H.B) : Les édifices conçus selon des normes antisismiques sont élaborés en vue de résister aux secousses sismiques et peuvent effectivement minimiser les dommages matériels et les pertes en vies humaines en cas de séisme. Ils contribuent à cet effet de la manière suivante :
• Absorption des secousses : Les édifices antisismiques sont pourvus de techniques et de matériaux spéciaux qui permettent d’absorber et de disperser l’énergie sismique, diminuant ainsi les vibrations et les forces exercées sur la structure.
• Renforcement structurel : Ces constructions intègrent des renforcements structurels tels que des poteaux et des poutres plus résistants, des murs de soutènement et des fondations profondes, afin de faire face aux forces sismiques.
• Dissipation d’énergie : Certains systèmes antisismiques incluent des dispositifs qui dissipent l’énergie sismique, comme des amortisseurs et des isolateurs sismiques, contribuant ainsi à la protection des édifices.
• Conception adaptée au site : Les constructions antisismiques prennent en considération les caractéristiques géologiques du site, ce qui permet de mieux résister aux séismes locaux.

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Si ces techniques de construction avaient été largement adoptées dans les zones sévèrement touchées par le séisme au Maroc, les dommages matériels et les pertes en vies humaines auraient pu être réduits, car ces édifices sont conçus pour résister aux forces sismiques et maintenir leur intégrité structurelle

pendant un tremblement de terre. Cependant, leur mise en œuvre peut être onéreuse et nécessite une planification adéquate ainsi qu’une stricte application des normes de construction antisismique.

Challenge : Selon vous, quelles sont les mesures que les autorités marocaines devraient prendre pour renforcer la résilience face aux séismes dans les régions montagneuses ?

M.H.B : La réalisation de rapports d’expertise commandés par des experts dépendant des autorités est une mesure d’une importance capitale pour la mise à niveau et la prévention des risques sismiques, notamment dans les zones à haut risque. Ces rapports peuvent jouer un rôle essentiel dans l’identification des bâtiments et des infrastructures vulnérables, ainsi que dans la recommandation de mesures de renforcement ou de rénovation. Voici généralement comment cela fonctionne :
Évaluation des bâtiments existants : Des spécialistes en génie parasismique mènent des inspections détaillées des bâtiments existants afin de déterminer leur degré de vulnérabilité aux séismes.
Rapports d’expertise : Sur la base de ces évaluations, les experts élaborent des rapports d’expertise détaillés, exposant les défauts structurels, les risques potentiels et les recommandations en matière de renforcement ou de rénovation.
Plan de mise à niveau : Les autorités locales ou nationales peuvent exploiter ces rapports pour élaborer des plans de mise à niveau sismique, qui définissent les étapes nécessaires pour renforcer les bâtiments vulnérables au fil du temps.
Règlementation et incitations : Les conclusions des rapports d’expertise peuvent également contribuer à l’établissement de réglementations du secteur de la construction plus rigoureuses pour les nouvelles constructions, ainsi qu’à la création d’incitations financières visant à encourager les propriétaires à renforcer leurs bâtiments existants.
Communication des risques : Les rapports d’expertise servent également à sensibiliser les propriétaires, les résidents et les entreprises aux risques sismiques spécifiques de leur région, ce qui peut inciter à une meilleure préparation.

La mise en œuvre de ces rapports d’expertise peut constituer un élément crucial d’une stratégie globale de prévention des risques sismiques, contribuant ainsi à réduire les conséquences potentiellement dévastatrices des séismes dans les zones à haut risque.
Les zones montagneuses, en raison de leur topographie accidentée et de leur position géologique, peuvent présenter une vulnérabilité accrue aux séismes. Les conditions géologiques et sismiques varient d’une région à l’autre. Les régions montagneuses du Maroc ne font pas exception à cette règle.
La mise en place de constructions résilientes et antisismiques dans ces régions peut représenter un défi en raison des difficultés d’accès, de la complexité de la topographie et de l’impact sur les communautés locales. Dans certaines zones, les constructions peuvent être davantage de nature traditionnelle et moins conformes aux normes antisismiques.
Cependant, il est important de souligner que les autorités locales et nationales peuvent mettre en œuvre des initiatives visant à renforcer la résilience face aux séismes dans ces régions. Cela peut inclure la sensibilisation aux risques sismiques, la formation sur les mesures à prendre en cas de séisme, la promotion de constructions plus sûres et l’application de réglementations de construction plus strictes.
Afin d’obtenir des informations précises sur les zones montagneuses du Maroc touchées par des séismes récents et sur les mesures prises en matière de construction résiliente, je recommande de consulter les rapports des autorités locales, des organismes gouvernementaux ou des organismes internationaux spécialisés dans la gestion des catastrophes naturelles.

Challenge : Est-il possible de déterminer si les grandes villes du Royaume respectent les normes de construction requises pour faire face à l’augmentation des catastrophes naturelles ?

M.H.B : L’exploitation des systèmes d’information géographique (SIG), des technologies de l’information et des données cartographiques à des fins d’inventaire, de cartographie et de gestion des zones sismiques s’inscrit indubitablement dans le cadre de l’intelligence des territoires, également connue sous les appellations de « Smart Cities » ou de « Villes intelligentes ». L’intelligence des territoires vise à tirer parti de la technologie et des données pour améliorer la qualité de vie, la durabilité, la sécurité et la gestion efficiente des ressources dans les zones urbaines et rurales.
Dans le contexte de la prévention des risques sismiques et de la gestion territoriale, cela implique plusieurs aspects essentiels :

  1. Collecte de données intelligentes : L’exploitation de capteurs sismiques, de réseaux de surveillance et de données géospatiales afin d’obtenir des informations en temps réel sur les conditions sismiques.
  2. Analyse des données : L’utilisation d’outils d’analyse de données avancés en vue de comprendre les risques sismiques, de prévoir les impacts potentiels et de prendre des décisions éclairées.
  3. Planification urbaine intelligente : L’intégration de considérations sismiques dans la planification urbaine, la conception des bâtiments et la gestion des infrastructures, dans le but de minimiser les risques.
  4. Communication et sensibilisation : L’utilisation de plateformes numériques pour sensibiliser la population aux risques sismiques, partager des informations en temps réel et coordonner les interventions d’urgence.
  5. Gestion des crises : L’utilisation des technologies de l’information pour coordonner les efforts de secours et de rétablissement en cas de séisme.
    L’intelligence des territoires s’attache à transformer les villes et les régions en des environnements plus sûrs, résilients et durables. L’exploitation des données géospatiales et des technologies de l’information pour la prévention des risques sismiques s’inscrit parfaitement dans cette approche globale.

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Challenge : Quelles sont les best practice internationalement reconnues en matière de construction d’infrastructures résilientes ?

M.H.B : Les meilleures pratiques internationales en matière de construction d’infrastructures résilientes varient en fonction des exigences locales, des réglementations nationales et des conditions géographiques spécifiques. Cependant, certaines approches sont généralement préconisées afin d’accroître la résilience des infrastructures face à divers risques tels que les séismes, les inondations, les ouragans et autres catastrophes naturelles. Voici quelques-unes de ces pratiques :

  1. Adoption de normes de construction résilientes : Il est recommandé d’adopter des normes de construction robustes qui prennent en compte les risques spécifiques de la région, y compris les normes antisismiques, parasismiques et les normes de résistance aux intempéries.
  2. Conception adaptée au site : Il convient de concevoir les infrastructures en tenant compte des caractéristiques géographiques et géologiques du site, ainsi que des régimes de vent, des risques d’inondation, des mouvements du sol, etc.
  3. Utilisation de matériaux durables : Il est préférable de choisir des matériaux de construction de haute qualité et durables qui résistent aux chocs, à la corrosion et à la détérioration.
  4. Renforcement structurel : Il est recommandé d’incorporer des techniques de renforcement structurel afin d’améliorer la résilience des bâtiments et des ponts face aux séismes et autres contraintes.
  5. Planification de l’urgence et de la continuité des activités : Il convient d’établir des plans d’urgence pour faire face aux catastrophes, notamment en assurant la sauvegarde des données, l’évacuation des personnes et la gestion des crises.
  6. Surveillance et entretien réguliers : Il est important de mettre en place des programmes de surveillance et d’entretien réguliers afin de garantir le bon fonctionnement des infrastructures.
  7. Innovation technologique : Il est recommandé d’intégrer des technologies avancées telles que les capteurs, les systèmes d’alerte précoce et les solutions de gestion intelligente pour surveiller les infrastructures en temps réel et améliorer la réactivité en cas de problème.
  8. Participation communautaire : Il est essentiel d’impliquer les communautés locales dans la planification, la conception et la maintenance des infrastructures afin de répondre à leurs besoins et préoccupations.
  9. Respect strict des réglementations : Il est impératif de veiller à l’application rigoureuse des réglementations en matière de construction et de sécurité, ainsi qu’à l’inspection et à la certification des projets de construction.
  10. Formation et sensibilisation : Il est recommandé de former les professionnels de la construction, les gestionnaires de catastrophes et le public aux meilleures pratiques en matière de résilience.
    Il convient de noter que la résilience des infrastructures est un domaine en constante évolution, et que les meilleures pratiques peuvent être adaptées en fonction des avancées technologiques, des enseignements tirés des catastrophes passées et de l’évolution des réglementations. La collaboration internationale et le partage des connaissances jouent également un rôle essentiel dans l’amélioration de la résilience des infrastructures à l’échelle mondiale.

Challenge : Dans l’attente des opérations de sauvetage en cours, je souhaiterais recueillir vos recommandations à l’intention des autorités pour la période de reconstruction future.

M.H.B : La mise en place de constructions types labellisées par les autorités constitue une mesure d’une importance capitale pour assurer un contrôle efficace de la construction en amont et garantir la qualité des bâtiments en termes de résilience aux séismes. Ce type d’approche est fréquemment utilisé afin de standardiser et d’améliorer la sécurité des constructions dans les zones présentant un risque sismique élevé. Voici le fonctionnement général de cette démarche :
Conception standardisée : Les autorités compétentes, en collaboration avec des experts en génie parasismique, élaborent des conceptions de bâtiments standardisées et labellisées qui répondent aux normes antisismiques.
Certification : Les constructeurs ont la possibilité d’opter pour l’utilisation de ces conceptions standardisées dans leurs projets. Une fois que le bâtiment est construit conformément à ces normes, il peut obtenir une certification ou un label délivré par les autorités.
Contrôles et inspections : Les autorités mettent en place des mécanismes de contrôle et d’inspection afin de vérifier que les bâtiments construits respectent effectivement les conceptions labellisées et les normes antisismiques.
Sensibilisation et encouragement : Les propriétaires, les constructeurs et les professionnels de la construction sont encouragés à recourir à ces conceptions labellisées grâce à des incitations telles que des avantages fiscaux ou des réductions des coûts de construction.
Éducation et formation : Les professionnels du secteur de la construction reçoivent une formation sur les techniques de construction antisismique et les spécifications des conceptions labellisées.
Cette approche contribue à garantir que les bâtiments nouvellement construits sont résilients aux séismes et qu’ils respectent les normes de sécurité en vigueur. Elle favorise également une construction plus cohérente et uniforme, aspect essentiel dans les zones à haut risque sismique afin de réduire les dommages en cas de séisme.
L’établissement d’un inventaire et d’une cartographie des zones sismiques à l’échelle nationale constitue des étapes cruciales pour une prévention efficace des risques sismiques et une meilleure gouvernance territoriale. L’utilisation des systèmes d’information géographique (SIG) et des technologies de l’information peut grandement faciliter cette tâche. Voici comment cela peut être mis en œuvre :
Collecte de données sismiques : Les autorités nationales peuvent recueillir des données sismiques historiques et actuelles afin d’identifier les zones à risque. Cela comprend l’enregistrement des séismes passés, la surveillance sismique en temps réel et l’analyse de l’activité sismique.
Cartographie des zones sismiques : Grâce à l’utilisation de SIG, il est possible de cartographier avec précision les zones sismiques à risque élevé en prenant en compte des facteurs tels que la géologie, la topographie et la densité de la population.
Sensibilisation et planification : Une fois que les zones à risque ont été identifiées, les autorités peuvent utiliser ces informations pour sensibiliser la population, élaborer des plans d’urgence et de préparation aux séismes, et orienter la planification urbaine et la construction de manière à réduire la vulnérabilité.
Technologies de l’information : Les technologies de l’information, y compris les applications mobiles et les plateformes en ligne, peuvent être employées pour diffuser des informations sur les risques sismiques, éduquer la population et recueillir des données en temps réel pendant un séisme.
Formation et renforcement des capacités : Les acteurs locaux, tels que les autorités locales et les gestionnaires de catastrophes, doivent être formés à l’utilisation des informations géospatiales pour une meilleure gestion des risques sismiques.
Gestion territoriale : Les données cartographiques sur les zones sismiques peuvent également être utilisées pour une gestion plus efficace du territoire, notamment pour la planification des infrastructures, la réduction des risques dans les zones rurales et la prise de décisions éclairées. En mettant en place ces mesures, les autorités peuvent améliorer la prévention des risques sismiques, renforcer la résilience des communautés et favoriser une meilleure gouvernance territoriale en utilisant des données précises et des technologies avancées pour prendre des décisions informées.

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Challenge : Quelles sont les mesures spécifiques que l’écosystème éducatif devrait mettre en place pour sensibiliser et éduquer efficacement la population face à l’exacerbation des catastrophes naturelles ?

M.H.B : La sensibilisation et l’éducation sur la prévention des risques naturels nécessitent souvent un écosystème éducationnel complet. Cette entreprise exige la mise en place de programmes pédagogiques en salle de classe, de démonstrations, de films de sensibilisation, d’exercices pratiques ainsi que de ressources pédagogiques, le tout en favorisant la coopération entre les établissements scolaires, les autorités locales et les organismes de gestion des catastrophes. Une coordination efficace peut contribuer à former les étudiants et les communautés en leur apprenant à réagir de manière adéquate lors de catastrophes naturelles, ce qui peut potentiellement sauver des vies et réduire les impacts négatifs.
L’éducation relative à la prévention des risques naturels s’avère également bénéfique pour la population civile dans son ensemble. En sensibilisant les individus aux risques naturels et en leur enseignant comment se préparer et réagir en cas de catastrophe, il est possible de réduire les pertes humaines et matérielles. Cette approche contribue à l’émergence de communautés plus résilientes et mieux préparées à affronter les défis engendrés par les catastrophes naturelles. Des campagnes de sensibilisation, des ateliers communautaires et des ressources éducatives représentent autant de moyens d’impliquer la population civile dans la prévention des risques naturels.
La création de villes intelligentes et résilientes face aux risques naturels requiert une approche holistique et écosystémique qui intègre tous les aspects susmentionnés. L’éducation et la sensibilisation jouent un rôle essentiel dans la préparation de la population à réagir de manière appropriée. Les technologies de prévention, une planification territoriale adéquate ainsi qu’une surveillance continue contribuent à minimiser les risques. Par ailleurs, la proximité de services de santé et de secours renforce la capacité de réponse en cas de catastrophe. Cette approche globale vise à protéger les populations et à atténuer les conséquences des catastrophes naturelles, ce qui revêt une importance cruciale pour le développement de villes intelligentes.

 
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